Chez nous, la « politique alcool » est au mieux inexistante et, au pire, déterminée par les acteurs brassicoles. Pour preuve : ce « plan alcool » qui végète depuis des années. Pourtant des mesures urgentes s’imposent.
Pour dénoncer cette situation, une dizaine d’associations, dont la Fédération des maisons médicales, ont cosigné une carte blanche à l’initiative de la FEDITO BXL (Fédération Bruxelloise des Institutions pour Toxicomanes).
Une prise de position publiée ce 22 mars dans les pages de La Libre et reprise en intégralité ici :
125 000 ! C’est grosso modo le nombre de Belges qui auront participé à la campagne « Tournée Minérale ». Bravo à ces 125 000 personnes qui ont relevé le défi initié par la Fondation contre le Cancer. Et bravo à la Fondation qui a rappelé, non seulement les dangers de l’alcool (son caractère cancérigène n’en est qu’un parmi de nombreux), mais aussi la possibilité de s’en passer en questionnant la place qu’il tient dans nos vies.
Le challenge désormais est qu’à ce mois d’abstinence succède une réduction instituée au quotidien et sur le long terme : un ou plusieurs jours par semaine sans alcool, par exemple. Car « Tournée Minérale » aura permis à de nombreux participants prendre conscience du caractère routinier de leur consommation. C’est particulièrement vrai en Belgique : d’après les statistiques récentes de l’OCDE (2014), chaque Belge de plus de 15 ans a bu en moyenne 12,6 litres d’équivalent alcool par an. Seule la Russie supplante la Belgique avec 13,8 litres / an ! En France, on descend à 11,5 litres ; en Allemagne, à 10,9 ; aux Pays-Bas, à 8,4…
L’explication ne serait-elle que culturelle ? Certainement pas, puisque nos voisins avec lesquels nous partageons nos trois langues nationales ont des consommations sensiblement moindres. L’explication serait-elle liée à l’industrie brassicole belge ? Pas plus, puisque la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont eux aussi une industrie alcoolière florissante, mais des consommations de 10 à 30 % plus faibles. La culture et l’existence d’une forte industrie brassicole n’expliquent pas, seules, les fortes consommations enregistrées en Belgique… sauf quand il est dans notre culture (politique) de laisser l’industrie influer sur les politiques de santé publique.
Car en Belgique, la politique alcool est au mieux inexistante, au pire fortement déterminée par les acteurs brassicoles. Un bel exemple est le rejet en 2013 du Plan Alcool : les libéraux flamands avaient alors été pointés du doigt, spécifiquement Sven Gatz, qui s’était mis en congé de toute fonction parlementaire pour devenir directeur de la Fédération des Brasseurs Belges, au moment des négociations du Plan…
Depuis l’année dernière, c’est au tour d’une autre libérale flamande, Maggy De Block, de piloter en tant que ministre de la santé publique les concertations nécessaires à un nouveau Plan Alcool. Un premier round a eu lieu en octobre dernier, lors duquel les gouvernements wallon et bruxellois ont proposé des mesures réduisant la vente d’alcool et réglementant davantage les campagnes de marketing… L’open-VLD s’y est opposé.
Maggy De Block a alors eu cette promesse : « Les discussions vont se poursuivre à court terme pour aboutir à un accord », en l’occurrence pour la Conférence Inter Ministérielle du 27 mars prochain. Mais il semble qu’en fin février, aucune nouvelle concertation sérieuse n’avait encore été organisée par le fédéral. On se dirige droit vers un fiasco en rase campagne…
Or le coût sanitaire et social lié à l’alcool se monte à 4,2 milliards annuellement à charge de l’Etat, 3 fois plus que les recettes qu’il n’engendre. 10 % des Belges de plus de 15 ans ont une consommation problématique (plus de 14 ou 21 verres par semaine respectivement pour les femmes et les hommes). Parmi ces personnes, seule 1 sur 12 recherche de l’aide, après une période de latence de plus de 18 ans.
L’alcool fait partie intégrante de notre culture : il ne s’agit pas d’éradiquer sa consommation mais de réduire son usage problématique. Il s’agit dès lors d’interdire la publicité pour l’alcool, à l’instar du tabac : malgré l’impact forcément bien connu du marketing sur la consommation, la plus grande compétition de football est sponsorisée par une marque de bière, et la publicité pour l’alcool reste tellement omniprésente qu’elle est difficile à « déguster avec sagesse »…
Il s’agit de clarifier une législation complexe qui autorise la vente d’alcools dès 16 ans, sauf pour les spiritueux autorisés à partir de 18 ans : une loi peu claire est une loi peu respectée, et dans les faits, plus de 80 % des établissements Horeca et des détaillants vendent illégalement de l’alcool à des mineurs.
Il s’agit de renforcer les actions des opérateurs de santé. A ce propos, associer une campagne de santé à une collecte de fonds ne coule pas de source ; c’est pourtant ce à quoi a dû se résoudre la Fondation contre le Cancer à l’occasion de la « Tournée Minérale ». C’est à l’image d’un secteur de la santé précarisé : les sensibilisations aux médecins prodiguées par la Société Scientifique de Médecine Générale, le certificat interuniversitaire en alcoologie (SSMG avec l’ULB, l’Ulg et l’UCL), les stratégies innovantes de promotion de la santé développées par le réseau « Jeunes, Alcool & Société », et plus généralement l’offre sanitaire reposent sur des budgets limités, empêchant leur réel déploiement.
Il s’agit plus généralement de développer un Plan Alcool tel que le préconise l’Organisation Mondiale de la Santé. Le Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE) suggère un Plan concerté entre entités fédérale et fédérées, comportant notamment des campagnes d’informations, une réglementation plus stricte de la publicité et une restriction de la vente d’alcool.
Ces recommandations sont ignorées par le politique. Car ainsi vogue en Belgique le radeau de la santé publique sur l’océan de l’alcool : à défaut de politique publique, les objectifs de réduction des risques ou de la consommation reposent sur des épaules trop frêles : celles d’associations et ONG, riches en créativité mais pauvres en moyens ; celles de citoyens, motivés comme l’a démontré « Tournée Minérale » mais responsables avant tout pour eux-mêmes et éventuellement leurs proches ; celles enfin de certains ministres régionaux de la santé, engagés mais dépendants d’une concertation fédérale qui n’est pas réunie en temps et en heure… En Belgique, pour contrer les méfaits liés à l’alcool, on se base davantage sur les bonnes résolutions des individus qui le peuvent et le veulent bien, que sur une politique de santé publique cohérente.