Début des années ’70, deux intervenants majeurs sont à l’origine de la naissance des premières structures de soins de santé. D’une part, des professionnels de terrain (des médecins, des infirmières, etc…) et d’autre part le Groupe d’Etude pour une Réforme de la Médecine (GERM). Des acteurs et des penseurs, tous deux avec des revendications fortes pour une diminution des inégalités à différents niveaux : entre soignants et soignés ; entre hôpital et première ligne de soins ; entre professionnels au sein d’une structure de soins ; entre riches et pauvres.
En plus de cette lutte contre les inégalités, il y avait la volonté de soutenir la promotion de la santé et la prévention. A l’époque, le système quasi exclusif de paiement, dans notre système de soins de santé, est à l’acte. Tout est codifié dans la nomenclature des soins de santé et on justifie un paiement par quelque chose que l’on a fait en présence du patient (réfléchir à un problème de santé, faire des sutures, faire un pansement, etc…). Mais rien n’est prévu en matière de promotion à la santé et de prévention. Ce n’est pas nécessairement dans l’intérêt du soignant d’aller dans ce sens. Cela diminuerait le nombre d’actes prestés, et donc les revenus des travailleurs qui sont engagés dans les soins.
Très rapidement un groupe se constitue pour réfléchir le financement des centres, créer des alternatives, des opportunités, et surtout des modes de rétribution en adéquation avec les objectifs de société et de service à la population qui se développent. Un règlement est voté à l’INAMI en 1982 et la première structure passe au forfait dès 1984.
Le contexte évolue et de nouvelles réalités nous amènent à adapter le système de financement de la première ligne.
Le calcul actuel est intimement lié à la consommation de soins dans le système à l’acte. Or nous faisons face à une profession de première ligne dont le nombre de professionnels diminue et la population qui augmente ; des budgets qui sont en augmentation proportionnellement beaucoup plus forte à l’hôpital, une diminution du nombre d’actes totaux car la durée de ceux-ci augmente, une volonté d’aller de plus en plus aussi vers des plus petits temps de travail. Tout ceci a un effet de diminution du budget global de la médecine générale à l’acte, et donc du montant du forfait calculé sur cette base, alors que la charge de travail ne diminue pas.
Une autre évolution est que le modèle de financement forfaitaire fait de plus en plus d’émules, dont les objectifs ne sont pas nécessairement louables. Il est important que le modèle de financement se construise continuellement de manière à en diminuer le plus possible les effets pervers et à en accentuer les avantages.
Après près de 30 ans d’un système basé sur la médecine à l’acte, une nouvelle page s’ouvre, nos représentants à l’inami reviennent avec un nouveau modèle. C’est la réforme du calcul du forfait.
Le nouveau mode de calcul sera mis en application pour toutes les pratiques forfaitaires au deuxième trimestre 2013 (voir infra encadré avec le timing). D’ici là, la Fédération des maisons médicales, avec ses intergroupes et ses représentants à l’inami, auront pour tâche d’informer au mieux et d’accompagner les maisons médicale dans cette évolution.
Nouveau calcul. Pour quel résultat ? Avec quelles implications ? Allez-vous perdre de l’argent ? Votre pratique va-t-elle changer ? Est-ce que le nouveau forfait sera suffisant et permettra-t-il de répondre mieux aux missions de nos équipes ?
Début des années 80, le financement au forfait, mode de financement alternatif au paiement à l’acte, est négocié avec les acteurs du monde politique. L’idée est de permettre un financement plus cohérent par rapport à notre modèle de soins globaux, intégrés, continus et accessibles. Cela permet une plus grande accessibilité financière aux soins et un renforcement de la solidarité entre les bien-portants et les malades.
Le forfait finance les médecins généralistes, les kinésithérapeutes et les infirmier-ère-s. Le montant du forfait est calculé sur la médecine à l’acte. On parle de forfait à la capitation. C’est un paiement par patient. Il favorise la prise en charge sur la durée, la prévention et permet au patient de sanctionner le service de soins en rompant son contrat.
Si le financement est délié de l’acte, son montant dépend néanmoins des évolutions de la consommation dans le système à l’acte.
Entre 1990 et 1997, des adaptations (revalorisation de 30%) ont été réalisées en fonction du statut social des patients, pour compenser les économies qui ont été réalisées en deuxième ligne, et pour compenser le fait qu’une partie de la population ne consulte jamais le médecin généraliste.
Le type de populations qui bénéficiaient des soins n’était pas strictement superposable avec la population qui servait de base pour le calcul des moyennes nationales. Dès lors 10% supplémentaires furent accordés à la moyenne nationale par patient pour ce que l’on appelle le ’biais social’. Les patients les plus pauvres étant aussi les plus malades.10% en plus pour avoir observé une diminution des frais liés à la consommation de soins à l’hôpital mais aussi de prescription de médicaments et de consommation d’imagerie médicale. Le travail en équipe, la coordination des informations en serait des raisons. Pour le calcul de la moyenne (et donc du montant du forfait par patient), l’ensemble des actes prestés étaient divisés par l’ensemble de la population belge, même celle qui n’utilisait pas du tout des services de soins de santé de première ligne. Il a été décidé donc d’appliquer un correctif pour ajuster le calcul, en retirant 10% du dénominateur. On divise donc l’ensemble des actes par l’ensemble des consommateurs de soins et on ôte du dénominateur les non-consommateurs.
Le système forfaitaire répond à l’objectif de qualité des soins. Il permet en effet, grâce à une meilleure accessibilité financière, une continuité dans le suivi des patients qui hésiteront moins à se rendre chez leur médecin généraliste parce qu’ils n’en ont pas les moyens.
Dans un groupement, la prise en charge pluridisciplinaire est possible puisque trois fonctions soignantes sont financées.
Le forfait permet de mettre l’argent où c’est nécessaire, à des projets qui répondent aux besoins des patients. En plus de la lutte contre les inégalités, il y a l’idée de favoriser la promotion de la santé et la prévention par des activités d’informations, de formations et d’échanges pour et avec les patient. Même s’il n’est pas suffisant pour répondre à toutes les missions de nos structures.
Jusqu’ici, c’est le nombre de patients inscrits et le statut social de ceux-ci qui déterminent la hauteur des subventions. Il y a quatre catégories de patients et donc quatre prix (forfait).
L’application du forfait, c’est une réponse à des valeurs (solidarité entre patients, entre soignants, entre maison médicale ; justice sociale : chacun selon ses moyens et ses besoins,…).
Le système forfaitaire nous laisse la liberté d’affecter les moyens du forfait à ce que nous voulons. Ce qui nous permet de diversifier notre offre, et de mieux répondre à la diversité des besoins rencontrés. Dans le système au forfait, l’argent revient à la structure qui redistribue comme elle l’entend et surtout en fonction du projet de l’équipe et du profil des patients. Cela favorise l’esprit de coopération et élimine la concurrence entre sous-secteurs (médecin, infirmier,…). Cela permet une meilleure répartition des tâches et la revalorisation des différents métiers.
Pour les patients, il y a une accessibilité financière maximale, une offre diversifiée de services et une meilleure prise en charge globale de leurs santés (mentale, économique, sociale….). Un contrat est signé et une relation de confiance initiée.
Pourquoi changer de mode de calcul ? Pour avoir plus d’argent ? Non. Pour une meilleure répartition, qui corresponde mieux à la réalité des structures ? Probablement. Pour une assurance de remplir mieux nos missions, de répondre au plus près des besoins des gens ? C’est le souhait en tout cas.
Faire le lien entre la représentation politique et le terrain, être pro actif et constructif dans les négociations avec les pouvoirs publics et avoir une approche transversale, sont différents aspects du travail des Fédérations. En 2009, la commission forfait décide de lancer une recherche visant à développer un nouveau mode de calcul du forfait à la capitation basé davantage sur les besoins des populations concernées.
Voici donc quelques années déjà qu’un groupe de travail se réunit à l’INAMI avec des représentants des maisons médicales francophones, néerlandophones, MPLP et les mutuelles, en vue de mettre en place un nouveau mode de calcul du forfait.
L’Inami souhaitait plus de transparence, tout comme les mutuelles, et une simplification administrative. Les Fédérations francophones avaient pour objectif que le système soit moins dépendant des dépenses générées par les prestataires à l’acte dans un contexte de pénurie de soignants et qu’il permette de mieux rencontrer la charge de travail générée par la patientèle inscrite dans chaque maison médicale. Jusque-là, toutes les pratiques forfaitaires n’ont pas le même rapport au forfait, comme rendre les soins accessibles à tous. Le nouveau système, basé sur les besoins réels, est un moyen d’endiguer des pratiques qui ne voyaient dans le forfait que le moyen d’obtenir de l’argent. L’ancien forfait n’était pas assez stimulant pour augmenter la qualité.
La volonté de toutes les parties (mutuelles, fédérations,…) a été d’aboutir à un calcul qui tienne mieux compte de nos pratiques et permette une répartition plus équitable entre les structures. Le nombre de parties en présences, les intérêts de chacun, les pouvoirs des uns et des autres, l’importance du sujet, ont ralenti le débat. Les négociations prennent du temps.
Il y a aussi les aspects politiques (gouvernement en affaires courantes) et les implications financières qui font trainer les choses (la crise économique et ses incidences sur les priorités budgétaires).
La Fédération est présente au comité d’accompagnement (agence inter mutualiste, Inami, représentants des Fédérations – VWGC, FMM et MPLP -, le banc scientifique avec le KCE et le département de santé public de l’ULB) émanant de la commission forfait de l’Inami. Groupe de travail chargé de la réforme du forfait dans lequel la Fédération n’a pas de pouvoir décisionnel. Nos représentants interpellent, argumentent, proposent, influencent le débat mais ne décident pas. (voir infra, schéma)
Le dossier forfait a été présenté à plusieurs reprises à l’Inami, chaque année en juin. Cette année, c’était le bon moment pour finaliser.
Jusqu’ici, le forfait est basé sur des moyennes de consommation nationales dans le système à l’acte. Aujourd’hui, la prédictibilité est faible.
Le nouveau modèle se veut basé sur les besoins des patients.
Actuellement, on est dans un modèle basé sur les statuts mutuellistes des patients : assuré ordinaire, assuré ordinaire avec tarif préférentiel (vipomex), vipo et vipo avec tarif préférentiel.
Avec le nouveau système, il y a la variable d’âge et de sexes, des variables liées au statut socio- économique de la personne (personne veuve, handicapée, avec revenu d’intégration…) et des variables dites de santé (le patient est diabétique, cardiaque…) qui entrent en ligne de compte. Soit 41 variables. Au plus près de la réalité de nos structures.
C’est un changement radical. On s’y prépare depuis longtemps. C’est un peu effrayant car on touche à l’argent. Avant, il s’agissait d’un financement basé sur l’activité, on passe dans un système qui essaye d’approcher les besoins.
L’ancien système de calcul n’était pas adapté et pas équitable (trop linéaire). Il ne s’agissait pas d’un calcul en fonction de l’activité nécessaire pour faire fonctionner une maison médicale. L’objectif du nouveau système : être un stimulant à une bonne pratique plutôt qu’un frein. Nous ne sommes pas les seuls à aller dans cette direction. C’est le cas ailleurs en Europe. Différents pays européens financent les acteurs sur base de forfaits à la capitation et le mode de calcul de ce forfait varie à chaque fois, en fonction notamment des données disponibles et du mode d’organisation du système de santé.
Les avantages du nouveau système :
Le nouveau mode de financement risque d’être détourné. Il y a un risque, même si c’est interdit, que les maisons médicales acceptent plutôt des patients à lourdes pathologies pour recevoir un meilleur financement et n’acceptent plus ou moins des patients en bonne santé, que notre souhait de mixité disparaisse. Cependant, c’est peu probable puisque les patients qui ont des maladies lourdes demandent plus de travail dont plus de visites à domicile. Le confort des soignants s’en trouverait amoindri.
Ce n’est pas une question de moyens financiers mais comment ils sont utilisés. Les missions seront mieux remplies.
Le système s’applique à toutes les pratiques forfaitaires. Il assurera sans conteste une répartition plus équitable entre pratiques. Le risque de sélection de patients devrait diminuer puisque ce seront plutôt les cas lourds qui rapporteront de l’argent. Mais ce nouveau mode de calcul n’est pas parfait. Certaines activités de prévention et de promotion de la santé risquent de disparaître. On y mettra peut-être moins de moyens. Le rééquilibrage des moyens créera probablement des tensions entre pratiques.
En effet, comme la prescription sera une indication dans le nouveau système de la présence de telle ou telle pathologie au sein de la structure, les soignants seront peut-être plus incités à en faire. La sur-prescription, ou prescription prématurée, la sur-déclaration des forfaits infirmiers B et C et les pathologies kinés E, la sur-hospitalisation et le manque d’encouragement à la guérison sont autant de risques liés au nouveau modèle.
Un comité de pilotage est prévu chargé de suivre la mise en place du nouveau mode de calcul, de suivre le processus, d’en identifier les écueils et si possible d’adapter et de faire évoluer le système.
Mais au-delà de ça, le fait de bien signaler (d’encoder) les forfaits infirmiers B & C et les pathologies lourdes kinés E permettra d’être au plus près de la réalité. Arriver à un modèle déclaratif et non plus estimatif.
Il y aura des différences puisque le nouveau modèle sera basé sur la situation réelle, pour ce qui nous concerne, de chaque maison médicale. Cependant, il est impératif que l’enveloppe augmente pour éviter de trop pénaliser certaines équipes lorsque le système sera en place. Mais nous n’avons aucune garantie à ce sujet.
Ce que l’on sait, c’est que les équipes ne perdront pas plus de 1% des montants par an. Il n’y aura plus qu’un prix par patient (prix moyen).
Le nouveau forfait n’est pas un bon ou un mauvais choix. Sauf qu’il va de l’avant. Il s’agit du modèle qui a le moins d’impacts négatifs sur les maisons médicales. La Fédération a pu influencer le débat. On passe d’un système basé sur l’offre à un système qui essaie d’approcher les besoins. Le nouveau forfait répare des inégalités. On renonce à l’égalité au profit de l’équité.
Mais ce nouveau forfait, même s’il correspondra mieux à la charge de travail réelle avec les patients concernés (fonction de l’âge, du type de maladie…), est loin d’être parfait notamment pour mesurer l’état de santé du patient et ses besoins. Ce qui est sur la table aujourd’hui est donc une première étape pour changer la logique mais il est impératif de faire évoluer rapidement le modèle pour atteindre réellement les objectifs annoncés.