Quand les ressources sont limitées, il faut les gérer. C’est une réflexion de bon sens. Le manque de médecins pèse sur l’organisation et la dynamique des équipes depuis plusieurs années. La fédération des maisons médicales est saisie de cette question … pas simple.
En 2011, le Congrès est une étape dans le travail des pistes pour prendre en compte cette réalité. L’objectif est de questionner notre modèle et ses évolutions. On y interroge, notamment, l’interdisciplinarité.
Dans le rapport qui rend compte de l’étude réalisée pour l’occasion [1], on y lit (p. 10) que les maisons médicales fonctionnent selon un principe d’autogestion qui implique une participation de tous dans la gestion, une non-hiérarchisation, mais également un partage des responsabilités et une solidarité parmi les travailleurs. L’autogestion jette ainsi les bases pour une collaboration interdisciplinaire. L’étude nous rappelle qu’interdisciplinarité et autogestion sont donc liées. Et d’ajouter : Pour une efficacité dans les soins, plusieurs formes de dialogue interdisciplinaire s’organisent. Cette interdisciplinarité transparaît dans la charte des maisons médicales francophones, dans les 11 critères des Wijkgezondheidscentra (WGC) et dans divers projets des maisons médicales (MM) et WGC. Et une nouvelle fonction émergente, celle de coordinateur de soins, semble prendre un rôle important dans la mise en place et le fonctionnement de ce dialogue interdisciplinaire. L’objectif de l’étude est notamment d’évaluer le rôle et le profil de la fonction de coordinateur de soins dans la mise en œuvre et le soutien à l’interdisciplinarité.
En 2013, le colloque de la Fédération dont le sujet est l’autogestion revient notamment sur la politique salariale, les conditions de travail, les modes décisionnels, la gouvernance … autant d’aspects qui ont acquis une couleur particulière à la lumière de la pénurie des soignants. Cela est tangible dans certains ateliers.
Dans le même temps l’Inter Groupe Liégeois (Igl) est secoué par l’onde de ce qui a souvent été nommé « la crise ». Une crise qui émerge au sein du secteur médical d’une maison médicale et qui résonne dans l’ensemble du secteur. Certains médecins ont sollicité les permanents de l’Igl pour organiser l’analyse des évènements. De son côté, le CA de la maison médicale concernée, acculé à certaines décisions, s’est tourné vers l’igl pour élargir le cadre de la recherche de solutions.
A l’analyse, ici aussi, et de manière douloureuse, on est face à la mise en question de l’autogestion, de l’identité des médecins et de la fonction de coordination de soins.
C’est pour cela qu’un groupe de travail a été mis sur pied. C’est ainsi qu’à la recherche de points d’appui pour démarrer, le groupe a mis à la lumière le rapport interdisciplinarité de la Fédération des Maisons Médicales (FMM). Mais aussi une fiche de fonction réalisée par l’IF-IC [2] décrivant les missions, responsabilités, tâches d’un coordinateur de soins.
C’est comme ça que de la crise, une nouvelle histoire commence…
Il y a eu 4 rencontres regroupant quatre travailleurs de maison médicale (deux administratives, une infirmière, un médecin et un animateur de l’igl. Le groupe a été mandaté par le CA de l’Igl pour formuler des propositions de normes communes d’organisation en maisons médicales liégeoises. Parmi les contenus possibles, le groupe a décidé de se pencher sur la définition de la fonction de coordination de soins parce que c’est un élément structurant de l’organisation de nos équipes, et qu’on peut s’appuyer sur des documents récents.
Un enjeu transversal à la mise en œuvre de cette fonction a été formulé : élaborer une réponse de qualité (satisfaisante, efficiente, praticable, respectueuse de nos valeurs, …) à l’élargissement des équipes en nombre de personnes, en diversité de compétences, en complexité, en réponse à la croissance et à la complexification des besoins des usagers.
Le groupe a écarté l’idée d’une coordination par pathologie, notamment évoquée dans l’article sur les nouveaux métiers. Il est parti de l’étude interdisciplinarité des fédérations et, surtout, de la description de fonction de l’IF-IC pour le-la coordinateur-trice de soins, pour arriver à formuler une fonction de coordination adaptée à notre contexte et propre à l’améliorer.
Les objectifs qui suivent pourraient servir à l’évaluation future de la fonction. Responsabilités et tâches pourraient faire partie d’un profil de fonction, par exemple pour un recrutement.
Objectifs généraux :
La fonction est décrite dans la situation où la coordination générale est peu développée, et, en tous cas, pas confiée à une personne. Si cette coordination générale est plus développée (que ce soit par un CA très opérationnel ou une personne), un certain nombre de responsabilités et de tâches (marquées d’une *) pourraient être de son ressort.
Objectifs opérationnels :
Responsabilités :
Tâches :
Conditions
On considère que la coordination des soins concerne et implique toutes les personnes qui sont en lien direct avec les patients.
La qualité des soins doit être préalablement définie (en termes d’accessibilité, de conditions d’accès, d’objectifs sanitaires). Il faudra d’abord déterminer si c’est en AG ou en équipe qu’on élabore la stratégie globale.
Il faut faire quelque chose pour éviter de renforcer l’isolement du secteur administratif et du personnel d’entretien, qui ne sont généralement impliqués dans aucune coordination.
Dans toutes les configurations, il faut en tous cas prendre la mesure de l’impact de la mise en œuvre de cette fonction sur les prérogatives et moyens des autres lieux et instances : réunions de secteurs et d’équipe, CA, Conseil de Gestion, …
« Dans toutes les configurations, il faut en tous cas prendre la mesure de l’impact de la mise en œuvre de cette fonction sur les prérogatives et moyens des autres lieux et instances : réunions de secteurs et d’équipe, CA, CG … »
C’est peu dire, et c’est tout dire. Tout est là, en quelque sorte. Actuellement, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de coordination des soins dans les maisons médicales. Les responsabilités décrites par le groupe de travail sont réalisées, avec plus ou moins de qualité (de continuité, de permanence, de sécurité, de pérennité, de légitimité, …), en articulation, souvent implicite, entre différentes entités : le CA, les réunions d’équipe, de secteurs, les relations informelles dans les secteurs, les éventuels groupes à tâche.
Cette articulation s’est construite historiquement, pas à pas, en fonction d’éléments historiques, humains, au gré des péripéties de la vie de la maison médicale. En simplifiant, on peut dire qu’elle s’est construite de manière inductive, à partir de la pratique. Le moment arrive, où, pour rencontrer l’enjeu transversal, il est nécessaire d’en élaborer aussi une vision déductive, à partir du projet de la maison médicale. Une vision qui vient rencontrer et transformer l’existant.
La coordination telle qu’elle existe a été marquée par l’histoire des personnes et de la maison médicale. C’est-à-dire, aussi, par les valeurs et les principes qui la fondent. La collégialité, la prise en compte de la diversité, la concertation, comptent souvent parmi ces principes.
En particulier, le rôle des secteurs est à penser dans l’organisation. Ce sont des groupes plus petits, où certaines questions culturelles qui compliquent les réunions d’équipe ne sont pas actives. Dans les équipes qui grandissent, les secteurs deviennent le lieu de l’échange interpersonnel. Ils sont aussi des lieux symboliques, porteurs de l’identité professionnelle.
Ces dimensions essentielles ne peuvent pas être mises à mal. La fonction de coordination de soins a à s’articuler avec ces lieux pour construire l’équilibre entre des procédures cohérentes et des pratiques concertées. Plus concrètement, on peut décrire, par exemple, une structure où chaque secteur conserve un champ d’action spécifique important coordonné par la fonction de coordination de soins, ou une structure où le coordinateur de soins travaille au sein d’un groupe où sont représentés chacun des secteurs, dont le champ d’action est réduit.
Enfin, la fonction de coordination de soins est une fonction d’expertise, qu’on pourrait qualifier de technocratique. Elle doit aussi s’articuler avec le pouvoir démocratique. Le CA de la maison médicale est l’organe de la légitimité démocratique, qui mandate, couvre, contrôle et évalue la coordination de soins. Et, comme on l’a dit plus haut, un certain nombre de tâches sont à répartir entre elle et le CA, en fonction du modèle d’organisation.
On peut envisager la mise en œuvre de la fonction sur une seule personne ou sur un collectif. Il n’y a pas d’accord dans le groupe sur cette question. Le collectif peut être un tandem ou un petit groupe. On peut facilement imaginer ce qu’on gagne et perd ou risque dans l’une et l’autre situation.
Dans les deux cas, une compétence spécifique doit s’y trouver : une compétence en santé publique. Mais on n’a pas nécessairement besoin de quelqu’un qui est titulaire d’un master. Ce n’est pas nécessairement un médecin généraliste ou un-e infirmière. L’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, l’ULB, l’école de santé publique de Nancy (ce sont des exemples) organisent des modules partiels de formation en santé publique. Cette formation peut s’acquérir en parallèle de la mise en place de la fonction.
D’autres formations spécifiques, apportant un regard global sur la pratique, et des outils d’analyse et d’intervention, pourraient être prises en compte, comme le Master en ingénierie et action sociales (en co-diplomation entre la Haute Ecole de la Province de Liège et la Haute Ecole Libre Mosane) ou en économie sociale (HEC-ULg) ou la FOPES (faculté ouverte de politique économique et sociale - UCL).
Il semble préférable de ne pas recruter en interne de l’équipe, mais il sera difficile également de débarquer dans une équipe pour cette fonction. L’appropriation collective de la décision est un enjeu fondamental.
Nous estimons que cette fonction peut demander environ ½ ETP, quelle que soit la taille de l’équipe. C’est plus le contexte de la fonction, et, notamment, le niveau de coordination générale qui est déterminant. Le temps de travail nécessaire pourrait être plus important au départ, pour mettre en place les dispositifs. Dans la suite, une présence quotidienne est indispensable. C’est donc un poste budgétaire relativement important. On peut, en partie, le doter en rassemblant des forces de travail éclatées (en étant attentifs aux situations individuelles). On pourrait, pour l’avenir, investiguer les perspectives de financement public, mais on peut estimer qu’il y a un coût supplémentaire sur fonds propre.
Le bénéfice qu’on en tire est un confort de travail, une clarification des rôles, et une meilleure répartition de responsabilités et tâches qui sont parfois assumées à l’arraché (cfr enjeu transversal). En fin de compte, c’est la qualité du service.
Interdisciplinarité en première ligne de soins et place du coordinateur de soins Une étude exploratoire dans les maisons médicales et wijkgezondheidscentra (extraits)
[3]
Il est nécessaire de formaliser davantage et de soutenir l’interdisciplinarité dans l’environnement de soins de première ligne en Belgique car si d’un point de vue théorique, l’interdisciplinarité est un concept fondamental qui se comprend, d’un point de vue pratique, sa mise en application ne semble pas toujours aisée.[ ]
Dans les WGC, la fonction spécifique de coordination de soins a émergé en 2002 dans un centre, et entre 2009 et 2011 dans 5 autres. Suite à l’augmentation de nombre de disciplines et du nombre de patients, la nécessité de coordonner les soins de plus en plus chroniques et complexes, impliquant parfois des professionnels hors de l’institution comme dans les « trajets de soins » devenait évidente. De plus en plus de centres réfléchissent donc actuellement à la possibilité d’intégrer la fonction de coordinateur de soins dans leur équipe.[ ]
Les tâches du coordinateur sont assez diversifiées et peuvent varier d’un centre à l’autre. Dans les WGC, ils sont en contact avec les patients puisqu’ils exercent au sein du centre une fonction soignante. Dans les MM, le coordinateur a un rôle dans la gestion de l’équipe (y compris une gestion administrative et financière), tandis que dans les WGC, le coordinateur de soins est vraiment impliqué dans les soins et collabore avec le coordinateur général). Un profil pour chacune des régions a été dégagé d’après les observations sur le terrain et des échanges avec des professionnels. L’ampleur de la tâche est la principale difficulté évoquée. Les coordinateurs actuels attendent de leur institution qu’elles définissent leur profil et mandat, les collaborations attendues, les liens avec le conseil d’administration, …
L’étude met en évidence quelques-uns des enjeux de la mise en œuvre de cette fonction :
Favoriser un modèle interdisciplinaire cohérent
Le modèle devra être élaboré par l’équipe en fonction de ses besoins du moment. Il s’agit de définir des missions partagées et d’avoir des outils et règles communs, respectés de tous pour le fonctionnement de l’équipe. La littérature souligne un certain nombre de prérequis sur lesquels l’équipe doit s’entendre et des éléments à considérer à chaque étape du processus (comme clarifier les responsabilités, reconnaître la diversité, résister à la tentation du consensus et éviter les discussions théoriques, …).
Prendre en charge la compétence individuelle pour composer la compétence collective Une équipe interdisciplinaire ne sera compétente que si ses membres le sont dans leur propre discipline et son efficacité repose notamment sur la capacité de ses membres à alimenter la réflexion collective par une analyse pertinente de l’information. Elle a donc besoin de personnes porteuses d’un savoir de grande qualité et fondé sur une maîtrise forte des disciplines ; il est indispensable d’investir dans la formation des membres.
L’apprentissage de l’interdisciplinarité
L’équipe doit pouvoir profiter de la diversité de ses membres en termes d’expérimentation, d’évaluation et de capitalisation, pour de meilleurs résultats. Les compétences sollicitées de chacun vont au-delà des compétences professionnelles strictes. Du temps sera nécessaire pour les phases indispensables d’apprentissage (ouverture à la diversité, procédure d’évaluation, reconnaissance de l’interdépendance, soutien mutuel, …).
Manager la taille de l’équipe et des disciplines
Etant donné la complexité que peut représenter une grande équipe pour le travail interdisciplinaire, les équipes doivent veiller à se constituer un cadre favorable compte tenu de différents facteurs.
Importance d’un leadership et place du coordinateur de soins
On observe la présence et l’intérêt d’un leader dans la plupart des projets analysés. Le coordinateur peut être ce leader mais son rôle est surtout de soutenir l’interdisciplinarité en favorisant les leviers et en levant les freins.
Chou vert et vert chou ?
L’étude des fédérations met en évidence que la fonction de coordination de soins est surtout développée en Flandres, en complément à celle de coordination générale, présente dans tous les WGC. « Dans le cas des maisons médicales francophones, le terme de coordinateur n’est pas encore défini de manière claire et uniforme. Cette fonction est apparue récemment dans le paysage des MM et plusieurs appellations sont utilisées pour désigner différents professionnels qui remplissent tout ou partie de cette nouvelle fonction : directeur, gestionnaire, coordinateur de soins, coordinateur d’équipe. Il est donc fondamental de clarifier le concept en partant du contenu et du rôle de cette fonction. La fonction de coordinateur reste plus générale que celle de coordinateur de soins des WGC. Par contre elle se rapproche de la fonction de coordinateur (général) présente dans toutes les WGC. »
Critères Coordinateur général Coordinateur de soins Efficience Organise et gère les tâches administratives consommatrices de temps, permettant aux prestataires de soins d’être plus disponibles auprès des patients. Il assure la communication entre les différents prestataires et permet un gain de temps et de ressources. La coordination des interventions autour du patient permet une gestion efficiente des soins. En effet, cela permet aussi aux prestataires de conjuguer de façon efficace leurs visions. Ils s’enrichissent mutuellement et assurent des soins appropriés. Globalité Le coordinateur évalue les besoins des professionnels et des patients. Il œuvre à la disponibilité des compétences nécessaires pour prendre en charge le patient dans ses dimensions biomédicales et psychosociales. Le coordinateur de soins, jouant un rôle d’interface entre le patient et les professionnels est amené à identifier les différents besoins de santé, sociaux et éducationnels du patient et organise la réponse adéquate. Continuité Le coordinateur joue un rôle dans la continuité des soins par la gestion du dossier du patient qui permet d’organiser les soins dans la durée et aussi par la coordination des interventions des prestataires qui connaissent mieux les besoins du patient sur la durée. Le coordinateur de soins s’assure que les soins au patient continuent de se faire entre les différents professionnels aussi longtemps que nécessaire. Il s’assure aussi que le patient peut bénéficier à l’extérieur (hôpital, domicile) des soins nécessaires dans les meilleures conditions. Intégration En gérant les horaires, le coordinateur veille à ce qu’il y ait un équilibre entre les différents secteurs (prévention, curatif et promotion de la santé/santé communautaire). Il s’assure aussi d’une bonne interconnexion entre eux de sorte que chaque patient puisse bénéficier de façon intégrée des soins adéquats nécessaires. L’objet de la coordination prend en compte l’intégration des soins. En effet, le coordinateur s’assure que les différentes composantes de soins (curatifs, préventifs et de promotion de santé) sont offerts au patient au sein de la structure. Et en cas de nécessité, il établit la liaison avec un centre extérieur pour assurer les soins au patient. Subsidiarité En aidant à planifier des soins à un patient, le coordinateur s’assure que le soignant le plus adapté (compétence spécifique, connaissance du patient) est disponible. Il organise aussi la répartition des tâches, ce qui permet à chacun de situer son rôle dans la chaîne de soins dans une perspective interdisciplinaire. Les protocoles de soins multidisciplinaires élaborés par le coordinateur de soins permettent de repérer aisément les professionnels les plus indiqués pour les différents actes de soins à poser. Satisfaction La satisfaction de la patientèle fait partir des points d’évaluation de la MM et le coordinateur veille à trouver des solutions aux attentes posées tant par les patients que par les professionnels. La satisfaction de la patientèle fait partie des responsabilités du coordinateur de soins. Il évalue des écarts entre les normes et les soins offerts tout en prenant en compte l’avis du patient qui est responsabilisé dans le processus de soins et veille à trouver des solutions aux attentes des patients et des professionnels. [1] Réalisée par la Vereniging van wijkgezondheidscentra en collaboration avec la Fédération des maisons médicales à la demande du Service public fédéral - Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement. Y. Elysée SOMASSE, Isabelle DEGEEST, Paul DE MUNCK, Yves GOSSELAIN, Nele GERITS. janvier 2012
[2] Institut de classification de fonctions pour le secteur du non-marchand