Depuis 2013, le dépistage pour le cancer du col de l’utérus n’est plus remboursé que tous les trois ans – et l’intervalle risque d’être encore allongé. Quels sont les risques pour la santé des femmes ?
La mobilisation contre les violences faites aux femmes est l’occasion de rappeler qu’il ne s’agit pas simplement d’une question pénale, mais aussi de leur auto-détermination et de leur intégrité physique et mentale dans un sens plus large. Les discussions parlementaires autour de la dépénalisation de l’avortement ont également remis en lumière les enjeux de la liberté reproductive, mais pour que les femmes puissent être actrices de leur santé, il est indispensable qu’elles aient accès à une prévention simple et égalitaire. La prévention des cancers du col de l’utérus en fait partie.
Le cancer du col de l’utérus est à l’origine du décès de près de 200 femmes en Belgique chaque année. [1] En 2017, 622 nouveaux cas ont été diagnostiqués [2] Ce cancer se détecte relativement facilement et ses effets les plus néfastes ont de bonnes chances d’être évités par une détection des facteurs de risque et un traitement précoces. La très grande majorité des cancers du col l’utérus est causée par des papillomavirus (HPV), sexuellement transmissibles [3]. Ces infections virales peuvent passer inaperçues et guérir spontanément. Mais, dans certains cas, elles peuvent entraîner des modifications des cellules du col de l’utérus qui peuvent évoluer vers des lésions précancéreuses (dysplasies/neoplasia), qui peuvent à leur tour évoluer vers des cancers mortels. Un frottis effectué lors d’un examen gynécologique permet de détecter ce processus de modification des cellules avant qu’il ne devienne cancéreux afin de le surveiller ou de le traiter [4]. Lors d’un frottis, un échantillon est prélevé et envoyé au laboratoire pour analyse des anomalies dans les cellules sur la surface du col de l’utérus. Pour que la prévention soit efficace et pour éviter que d’éventuelles lésions progressent au point de mettre en danger la vie de la patiente ou de nécessiter une hystérectomie, ces examens doivent être réalisés à une fréquence suffisante.
Depuis 2013, le frottis pour dépister le cancer du col de l’utérus est remboursé tous les trois ans au lieu de deux depuis 2009. Il est désormais intégralement remboursé. Lorsqu’une anomalie est détectée, un frottis de suivi est alors remboursé tous les six mois [5] . Pour Laurette Onkelinx, alors ministre de la Santé, « ce dépistage permet d’éviter jusqu’à 1 400 nouveaux cancers » [6]. Le passage à une fréquence de trois ans plutôt qu’annuelle ou bisannuelle vise principalement à produire des économies et à éviter une « surconsommation », correspondant ainsi aux recommandations européennes [7]. Le remboursement intégral devait garantir une meilleure accessibilité et une meilleure couverture (pourcentage de femmes qui recourent au dépistage parmi la population visée). On a en effet constaté plusieurs années de suite que pas plus de 60% de la population ciblée – les femmes de 25 à 65 ans – se faisaient dépister régulièrement (au moins tous les 3 ans [8].) et qu’une partie d’entre elles réalisait un dépistage plus souvent que l’intervalle prévu (« surconsommation »).
Après plusieurs années d’application, ces objectifs méritent d’être mis en perspective. Alors que la réduction des coûts est présentée comme un impératif, il reste préférable, de manière globale, de financer la prévention que d’assumer le coût financier et social des traitements. D’autant plus dans le cas du frottis cervical, un examen sans risque propre qui peut s’intégrer dans l’encouragement d’un suivi gynécologique régulier. La « surconsommation » de frottis, se définit quant à elle toujours par rapport à un intervalle déterminé (deux ou trois ans) et non pas par rapport à la situation des femmes. La fréquence expérimentée comme nécessaire dépend en effet des patientes et participe à l’opportunité de faire valoir leur expertise personnelle par rapport à leur corps et à leur santé.
L’intervalle de remboursement représente en outre un enjeu de lisibilité. Suivre le dépistage par intervalle de trois ans suppose de faire la distinction entre un examen gynécologique, un frottis bactérien et un frottis du col. Cela suppose aussi une visite régulière chez un gynécologue qui vérifie le suivi du dépistage. Cette visite régulière n’est pas réalisée par toutes les femmes. Il peut donc s’avérer difficile pour elles comme pour les médecins de vérifier la réalisation du dépistage à intervalle régulier, d’autant plus lors de changements de médecin qui peuvent entraîner de la confusion autour du droit au remboursement et entrainer la réalisation d’un frottis au-delà de la fréquence prévue. Les expériences de non-remboursement peuvent par ailleurs décourager les examens nécessaires par la suite.
Si le changement de 2013 vise surtout à baisser les coûts en réduisant le nombre de dépistages, on constate qu’il ne tient pas compte des difficultés spécifiques sur le terrain et tend plutôt à avoir un effet défavorable sur la couverture. Suite au passage du remboursement à une fréquence de deux ans en 2009, le nombre total des frottis avait diminué drastiquement en quelques années [9], mais la couverture a diminué également. Selon l’enquête de santé de Sciensano (sur base de déclarations et non de données AIM [10]), la couverture ne s’est pas améliorée de manière significative depuis 2013. En Région bruxelloise et Région wallonne, le taux de couverture a même diminué entre 2013 et 2018 [11].
La couverture par le dépistage ne peut être envisagée sans prendre en compte les inégalités sociales structurelles de santé. Les pays aux plus hauts niveaux de revenus sont aussi ceux qui ont adopté depuis le plus longtemps le dépistage avec un examen cytologique et qui ont introduit la vaccination contre des HPV à partir de 2009. Les pays aux plus faibles niveaux de revenus ont à l’inverse une moindre couverture de vaccination et de dépistage ainsi que des taux d’incidence et de mortalité plus importants [12]. Ces divergences mettent en avant les inégalités sociales affectant la santé des femmes et la nécessité des programmes de dépistage et de vaccination. Les inégalités au sein des sociétés montrent que ces mesures, seules, ne suffisent pas à permettre un accès égalitaire à la prévention. Le remboursement intégral du frottis et de son analyse n’élimine pas de manière isolée les inégalités sociales face au dépistage et on continue de constater des inégalités structurelles d’accès à la prévention. Les femmes de milieu socioéconomique faible (BIM [13] ) participent toujours moins au dépistage [14] : selon le rapport de l’AIM sur les inégalités sociales en santé en 2019, les femmes issues de la classe 1 ont 17% de chances en moins que celles de la classe 5 à recourir à un dépistage du cancer du col de l’utérus. A Bruxelles, ce gradient est encore plus accentué (23% d’écart entre les deux classes) [15] [16] . En outre, les femmes les plus à risque sont les moins touchées par le dépistage : alors que l’incidence du cancer est la plus grande pour elles [17], les femmes de plus de 50 ans consultent leur gynécologue moins régulièrement une fois l’âge de fertilité dépassé, et la couverture du dépistage diminue progressivement avec l’âge [18]. Le fait que la santé féminine soit étroitement associée à la reproduction implique des risques concrets. Ces éléments montrent à quel point la continuité des soins est importante pour permettre une prévention efficace et qu’une approche de santé globale est indispensable pour tenir compte des conditions sociales en lien avec la prévention de la maladie. Aujourd’hui, le dépistage est presqu’exclusivement réalisé par les gynécologues en Wallonie et à Bruxelles, mais les consultations irrégulières et inégalement réparties chez les spécialistes tendent à montrer que les généralistes ont également un rôle à jouer dans la prévention. Intervalle et méthode de dépistage ne peuvent s’envisager en dehors d’un cadrage de santé globale et les recommandations en termes de techniques et d’intervalles sont à nuancer le plus souvent par la nécessité de mettre en œuvre un programme de dépistage plus général. [19]
Méthode et intervalle de détection, quel avenir ?
Les pratiques et les règles de remboursement concernant la prévention du cancer du col seront encore amenées à évoluer, suscitant de nouvelles controverses. L’un des débats actuels concerne la méthode de détection. L’examen cytologique en milieu liquide remplace déjà depuis 2018 le frottis cervico-vaginal traditionnel via frottis PAP (pour lequel le médecin devait lui-même fixer l’échantillon sur une plaquette de verre avant l’envoi au laboratoire) (circulaire INAMI du 12 mars 2018) [20]. Ce débat confronte surtout les avantages respectifs du procédé actuel qui s’appuie sur l’examen cytologique (vérification de la présence de cellules anormales dans le frottis indiquant de (futures) lésions) et du test génétique HPV, qui permet de déterminer si la patiente est porteuse de virus HPV (à haut risque). Aujourd’hui, le test HPV est réalisé suite à une analyse cytologique de frottis pour les cas ASC-US [21] [22] et doit être suivi par une colposcopie en cas de test positif. Dans plusieurs pays, des méthodes alternatives ont été étudiées [23] et le diagnostic HPV fait partie des solutions avancées. En Belgique, une étude du Centre fédéral d’expertise en soins de santé (KCE) [24] recommande que le test HPV remplace le PAP comme test primaire pour les femmes de plus de 30 ans. En avançant une meilleure sensibilité, l’étude affirme qu’il permettrait de passer faire ’intervalle de remboursement de trois ans à cinq ans, avec des économies considérables pour la Sécurité sociale (le test en lui-même reste aujourd’hui plus cher que la cytologie en milieu liquide). Le passage du test de dépistage PAP-VPH vers le test VPH est ensuite adopté comme objectif par la conférence interministérielle [25].
Des acteurs, y compris Solidaris, plaident pour que les recommandations du KCE soient prises en considération (dans le cadre d’une politique d’accessibilité) [26], mais cela incite cependant à certaines précautions. Alors que ce changement est très fortement appuyé par certains experts [27], d’autres soulèvent des doutes quant à l’efficacité de la mesure, y compris en termes d’économies pour la Sécurité sociale [28]. En même temps, ce changement se ferait suite à une vague de vaccination HPV en cours dont les effets ne sont pas encore assez connus. Finalement, au vu des doutes que soulève déjà le passage à une fréquence de trois ans, il semble nécessaire de faire preuve de prudence face à un passage à cinq ans et de prendre en considération les implications en dehors des effets budgétaires.
[1] Valérie Fabri et al., Dépistage du cancer du col de l’utérus 2006-2012, Agence Intermutualite IMA-AIM, Bruxelles, 2015), https://www.ima-aim.be/IMG/pdf/depistage_col_uterus_rapport_3_aim_10022015.pdf.
[3] Il existe différents types de papillomavirus dont certains comportent un risque plus élevé de cancer.
[4] Lorsque des lésions précancéreuses sont détectés par cytologie ou par colposcopie (examen visuel du col), une conisation (enlever chirurgicalement une portion du col utérin) peut être réalisée dans le but d’éviter l’évolution vers un cancer, mais sans exclure la récurrence de lésions (Lennart Kjellberg et Björn Tavelin, « ‘See and treat’ regime by LEEP conisation is a safe and time saving procedure among women with cytological high-grade squamous intraepithelial lesion », Acta Obstetricia et Gynecologica Scandinavica 86, no 9 (1 janvier 2007) : 1140‑44, https://doi.org/10.1080/00016340701505267). Cette procédure n’empêche pas une grossesse ultérieure et n’implique pas nécessairement de complications pour la grossesse et l’accouchement (P. Sagot et al., « Obstetrical Prognosis for Carbon Dioxide Laser Conisation of the Uterine Cervix », European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology 58, no 1 (1 janvier 1995) : 53‑58, https://doi.org/10.1016/0028-2243(94)01986-H.).
[5] Un suivi plus fréquent est également nécessaire pour les patients immunodéprimés.
[6] « Frottis, mammographie : à quel rythme faut-il effectuer ces dépistages ? », sudinfo.be, consulté le 21 octobre 2019, http://www.sudinfo.be/art/1601320/article/2016-06-17/frottis-mammographie-a-quel-rythme-faut-il-effectuer-ces-depistages.
[7] Marc Arbyn et et.al., « European Guidelines for quality assurance in cervical cancer screening », European Commission - DG Health and Consumer Protection/International Agency for Research on Cancer, 2008.
[8] Fabri et al., op cit.
[9] Fabri et al., op cit.
[10] Agence intermualiste
[11] Finaba Berete, Stefaan Demarest, Jean Tafforeau, « Enquête de santé 2018 : Dépistage du cancer », Sciensano, Bruxelles, www.enquetesante.be.
[12] Emma Altobelli et al., « HPV ‐vaccination and Cancer Cervical Screening in 53 WHO European Countries : An Update on Prevention Programs According to Income Level », Cancer Medicine 8, no 5 (2019) : 2524‑34, http://dx.doi.org.ezproxy.ulb.ac.be/10.1002/cam4.2048.
[13] Bénéficiaires de l’intervention majorée
[14] Fabri et al., op cit.
[15] Hervé Avalosse et al., « Inégalités sociales en santé », Agence Intermutualite IMA-AIM, Bruxelles, mai 2019.
[16] Dans le cadre de l’analyse de l’AIM, la première classe regroupe la population qui réside dans les secteurs statistiques où les revenus fiscaux médians sont les plus faibles, la cinquième classe résidant dans les secteurs où les revenus sont les plus élevés.
[17] « Cancer Fact Sheet Cervical Cancer 2017 », Registre du Cancer, Bruxelles, 2019, https://kankerregister.org/media/docs/CancerFactSheets/2017/Cancer_Fact_Sheet_CervicalCancer_2017.pdf.
[18] Fabri et al., op cit.
[19] En 2008, le Plan national de lutte contre le cancer annonçait, parmi d’autres mesures, un « programme systématique de dépistage du cancer du col de l’utérus pour les femmes âgées de 25 à 64 ans », appuyé par un cofinancement fédéral, annoncé en 2009. Mais contrairement à la Flandre, qui organise depuis mars 2013 un programme de dépistage avec invitation des femmes du groupe cible qui n’ont pas effectué de frottis dans les trois dernières années , il n’existe pas à présent de programme de dépistage organisé à Bruxelles et en Wallonie.
[20] Un nouveau code INAMI est alors créé pour la technique de cytologie en phase liquide et, comparé avec la technique du frottis cervico-vaginal traditionnel via frottis PAP, l’honoraire est revalorisé de 5,65 € ; H. De Ridder, « Circulaire aux médecins spécialistes en anatomie-pathologique et aux médecins spécialistes en gynécologie obstétrique », INAMI, Bruxelles, 12 mars 2018.
[21] Atypical Squamous Cell of Unknowned Significance, ou : des anomalies de cellules de signification inconnu ; un résultat « douteux ».
[22] K Vandeweyer et W Tjalma, « PMD37 - Cost-Effectiveness Analysis Of Primary HPV Screening With Dual-Stain Cytology Triage In The Cervical Cancer Screening Program Of Belgium », Value in Health 20, no 9 (1 octobre 2017) : A578, https://doi.org/10.1016/j.jval.2017.08.1021.
[23] Alaina J. Brown et Cornelia L. Trimble, « New Technologies for Cervical Cancer Screening », Best practice & research. Clinical obstetrics & gynaecology 26, no 2 (avril 2012) : 233‑42, https://doi.org/10.1016/j.bpobgyn.2011.11.001.
[24] Marc Arbyn et al., « Cervical cancer screening program and Human Papillomavirus (HPV) testing, part II : Update on HPV primary screening » (Bruxelles : Belgian Health Care Knowledge Centre (KCE), 2015).
[25] « Engagements conjoints des Communautés/Régions et de l’autorité fédérale : Préparent une décision de principe afin de passer du test de dépistage PAP-VPH vers le test VPH. » ; « Protocole d’accord entre l’Autorite fédérale et les Autorités visées aux articles 128, 130 et 135 de la Constitution en matière de prévention », Pub. L. No. 2016024206 (2016), Section 2 http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2016032113&table_name=loi Chapitre 4, Section 2.
[26] Solidaris, « Cancer du col de l’utérus : seules 60% des femmes se font dépister », Communiqué de Presse, 2 avril 2015.
[27] Nicolas Wentzensen et al., « Eurogin 2016 Roadmap : How HPV Knowledge Is Changing Screening Practice », International Journal of Cancer 140, no 10 (2017) : 2192‑2200, https://doi.org/10.1002/ijc.30579.
[28] Vandeweyer et Tjalma, « PMD37 - Cost-Effectiveness Analysis Of Primary HPV Screening With Dual-Stain Cytology Triage In The Cervical Cancer Screening Program Of Belgium ».