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Réforme de l’état : et la solidarité dans tout cela ?

14 décembre 2012
Isabelle Heymans

médecin généraliste, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales

2015 devrait voir l’application de la 6ème réforme de l’Etat, décidée en 2011. Pour la première fois, la sécurité sociale est concernée puisqu’il est notamment prévu que l’entièreté des allocations familiales et certaines branches de l’assurance-maladie soient régionalisés / communautarisés. Côté francophone, la mise en œuvre de ces transferts pose question : faut-il confier cela aux régions ou aux communautés ? Comment ces budgets, hérités du modèle de concertation de la sécu, vont-ils être gérés ? Et enfin, comment vont-ils être financés ? Fin 2012, les mutualités chrétiennes et socialistes ont organisé des soirées débats sur le sujet, nous sommes allés les écouter. Cet article étudiera principalement le domaine de l’assurance maladie. Les questions qui se posent touchent aux valeurs de solidarité, d’équité et d’accessibilité pour tous.


A chaque réforme, il y a eu des « transferts de compétences » du fédéral vers les communautés, à chaque fois des transferts financiers étaient prévus, selon des modalités négociées et décrites dans une « loi de financement ». Côté francophone, en 1993, il a été prévu que des compétences confiées à la Communauté française, trop désargentée, soient transférées, en tout ou en partie, aux régions, moins mal loties, selon ce qu’on appelle les « Accords de la Saint-Quentin ». Cette fois, c’est la première fois que la réforme concerne la sécurité sociale [1] : il est notamment prévu que l’entièreté des allocations familiales, ainsi que certaines branches de l’assurance-maladie soient confiées aux communautés. Ces deux aspects représentent environ 10 milliards d’euros [2], à peu près 8% du budget de la sécurité sociale.

La sécurité sociale en Belgique : quelques notions

En Belgique, le système de sécurité sociale fonctionne selon un modèle dit « bismarckien » (parce qu’inventé par le Comte Otto Von Bismarck, premier ministre de Prusse de 1862 à 1890). En théorie, il est basé sur les cotisations des travailleurs et des employeurs, et donc sur l’emploi. Il s’adresse surtout aux travailleurs, ex-travailleurs (retraités, chômeurs ou invalides victimes d’accidents du travail) et leurs familles et sa gestion est confiée à des représentants des employeurs et des travailleurs, avec une présence de l’Etat relativement faible. En pratique, ce modèle de financement mis en place en Belgique dans une époque de plein emploi ne suffit plus aujourd’hui que pour 65% du budget de la sécurité sociale. Le reste est financé par l’Etat fédéral à partir de recettes diverses, dont essentiellement celles de la TVA [3]. Pour ce qui est de la population couverte, le modèle est devenu universel, c’est-à-dire qu’il s’adresse à toute la population et plus seulement aux travailleurs. Il y a donc deux budgets au niveau fédéral : celui de l’Etat et celui de la sécurité sociale. Le premier est principalement nourri par l’impôt et géré par le Gouvernement, sous le contrôle démocratique du parlement. Le deuxième est nourri surtout par les cotisations sur le travail et géré en parité par des représentants des employeurs et des représentants des travailleurs (les syndicats).

La sécurité sociale comporte sept branches [4]

  1. les pensions de retraite et de survie ;
  2. le chômage ;
  3. l’assurance contre les accidents du travail ;
  4. l’assurance contre les maladies professionnelles ;
  5. les prestations familiales ;
  6. l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités :
    1. les soins de santé
    2. les indemnités pour maladie et les indemnités pour maternité ;
  7. les vacances annuelles.

Lorsque l’on parle de l’« aide sociale », également appelée les « régimes résiduaires », financée par l’impôt et donc en dehors du budget de la sécurité sociale, on entend :

  • le revenu d’intégration
  • (et l’aide sociale au sens large) ;
  • la garantie de revenus aux personnes âgées ;
  • les prestations familiales garanties ;
  • les allocations aux personnes handicapées.

2015, les transferts de l’assurance-maladie

Les parties de l’assurance maladie qui seront transférées concernent la « politique des personnes âgées » (notamment les maisons de repos, les maisons de repos et de soins, les centres de jours, etc.) ; la politique hospitalière (travaux d’infrastructures, normes d’agrément, le financement des soins restant à l’INAMI) ; tout ce qui concerne l’organisation de la première ligne de soins (par exemple les cercles, ou les primes Impulséo, le financement des prestations restant à l’INAMI) ; une partie de la politique de la santé mentale (notamment les habitations protégées, les maisons de soins psychiatriques) ; la politique de la prévention… A l’heure d’écrire ces lignes le Gouvernement travaille à lister tout ce que ces « paquets » comprennent précisément.

Le danger : la privatisation !

La première question fondamentale est celle des moyens qui seront transférés aux communautés pour assurer ces nouvelles compétences. Et là, se trouve le premier et grand danger.

La « loi de financement » prévoit la « dotation » de moyens de l’Etat fédéral vers les communautés selon des « clés de répartition » différentes selon les domaines.

Pour toute une série de compétences transférées, hors sécurité sociale, il s’agit d’une dotation en fonction de la « clé fiscale » : le montant est proportionnel aux impôts générés par la communauté. Ce qui signifie que la communauté qui paie le plus d’impôts, reçoit aussi la plus grande part de la dotation. La Wallonie, qui compte plus de chômeurs (qui paient moins d’impôts) que la Flandre verra donc ses moyens diminuer proportionnellement à ce qui lui était attribué tant que c’était fédéral. Bruxelles également : même si elle génère beaucoup de richesses, celles-ci bénéficient en grande partie à des travailleurs qui habitent (et paient leurs impôts) dans les régions voisines, et de manière plus importante en Flandre.

Pour les allocations familiales, le calcul de la dotation se fera selon la « clé population » (c’est-à-dire le nombre de personnes entre 0 et 18 ans). Bruxelles sera légèrement avantagée parce que l’on comptera aussi les enfants qui ne bénéficient pas des allocations familiales de notre système belge : les enfants de fonctionnaires européens.

Pour les compétences santé, le calcul se fera selon une clé démographique également : toutes les personnes de chaque communauté. Pour les compétences concernant spécifiquement les personnes âgées, la clé population sera le groupe des plus de 80 ans (dont la prise en charge est plus coûteuse et dont le nombre est plus important en Flandre). La volonté était de se baser sur des critères dits « objectifs », et au nom de cela, on ne tiendra pas compte des critères de morbidité et des critères sociaux, qui auraient permis d’allouer plus de moyens vers la Communauté française et Bruxelles [5].

Ce montant transféré évoluera également au fil des années en tenant compte de l’inflation, et de 82,5% de « la croissance réelle », c’est-à-dire la croissance du produit intérieur brut [6]. Ce qui signifie que ces budgets vont connaître une croissance très inférieure à celle de 4,5% puis de 2% que nous avons connues au niveau fédéral, et certainement inférieure à la croissance des besoins.

Certes, un financement complémentaire « de transition » sur l’ensemble des compétences transférées est prévu pour les entités fédérées qui subiraient des pertes. Il ne s’agit pas de combler le fossé entre le transfert financier et les besoins. Il s’agit juste d’adoucir l’atterrissage vers le nouveau modèle. Le calcul de la différence entre l’ancien et le nouveau montant se fera une seule fois en 2015 et sera la référence. Cette différence sera ajoutée au financement pendant 10 ans, sans indexation. Après les 10 ans, il diminuera de 10% chaque année jusqu’à s’éteindre. La réforme prévoit également un refinancement de Bruxelles, mais qui ne sera probablement pas suffisant compte tenu des défis à relever dans la capitale.

Concrètement, tout cela signifie que les moyens vont diminuer, alors que les enjeux à gérer vont avoir des coûts croissants. Par exemple, concernant les besoins en maisons de repos, toutes les projections sont alarmantes, compte tenu de l’évolution démographique de la population. Or, ces moyens vont diminuer dès 2016. A moins de trouver d’autres sources de financement, et / ou d’autres moyens de prendre en charge nos aînés, les pouvoirs publics ne pourront pas suivre.

Des alternatives sont à inventer. Mais en attendant, le secteur privé à but lucratif, surtout des multinationales occupent déjà et occuperont de plus en plus le terrain [7]. Alors tout le monde est d’accord pour tirer la sonnette d’alarme : le premier danger de cette réforme est bien l’intensification de la privatisation à but lucratif. Aux dépens de l’équité et de l’accessibilité à une même qualité pour tous.

De Bismarck à Beveridge… ou quelque part entre les deux ?

La deuxième question à se poser touche aux modes de gestion de ce financement.

Nous l’avons dit, la sécurité sociale belge est construite sur le modèle bismarckien et donc sur une gouvernance paritaire entre employeurs et syndicats.

Mais il est probable que la dotation de l’Etat fédéral aux entités fédérées ne viendra pas de la caisse de la sécurité sociale (cela étant possible puisque stricto sensu, une grande partie de la sécurité sociale était déjà financée par le budget des impôts et taxes). Elle viendra du budget de l’Etat. Ce qui signifie qu’elle sera versée au budget de la communauté (ou de la région si on active les « Accords de la Saint-Quentin ») et s’y retrouvera au même titre que le budget de l’enseignement, de l’urbanisme, des transports publics. La dotation sera donc intégrée à un budget global dont la source est la fiscalité, et sera gérée par le Gouvernement. Ce qui équivaut au modèle « béveridgien ». Cela a trois conséquences potentielles importantes.

Le modèle de Beveridge

Dans d’autres pays, comme le nord de l’Europe, l’Angleterre, l’Espagne ou le Portugal, c’est le modèle de Beveridge qui est d’application. Lord William Henry Beveridge, en 1942, imagina un système de sécurité sociale public, inclus dans le budget global de l’état, basé sur les recettes de l’impôt, et géré par le gouvernement. Cela signifie que tous les citoyens sont concernés tant à la source que pour en bénéficier et qu’il n’y a pas de cotisations sur le travail en plus de l’impôt. Cela signifie aussi que le c’est le gouvernement qui décide de l’allocation des moyens.

Première d’entre elles, le budget de la sécurité sociale (pour la partie communautarisée) n’est plus « immunisé » du reste du budget de l’Etat. Pour caricaturer, cela signifie que le gouvernement pourrait décider que les soins aux personnes âgées ne sont pas une priorité et que du coup l’argent servira à faire une nouvelle autoroute. Ainsi Mme Thatcher, dans les années 80, dans une logique libérale a fortement réduit les financements du National Health Service, NHS, le système de santé public anglais, ce qui a conduit les Anglais à une bien piètre accessibilité aux soins de qualité pendant des années. De même, en 2012 l’Etat espagnol a décidé de privatiser de grands pans du système de santé pour équilibrer leurs budgets mis en difficulté par la crise financière.

Deuxièmement, le financement étant basé sur l’impôt, il sera basé sur une assiette plus grande de citoyens… surtout si on décide de lever des impôts sur les autres revenus que le travail. Cela devrait permettre au gouvernement de décider d’allouer des moyens financiers plus importants à la santé (et de ne pas construire d’autoroute…). Cela pourrait également faciliter l’intégration entre soins de santé et promotion de la santé…

Enfin, c’est en théorie la fin de la concertation sociale pour ces budgets. Ce qui en Belgique semble particulièrement difficile à imaginer : depuis le début du système, les partenaires sociaux, employeurs, syndicats, mutualités, associations professionnelles sont co-gestionnaires de la sécurité sociale pour les uns, de l’assurance-maladie pour les autres. Ce modèle montre certaines limites, certes, mais aussi des avantages. Il permet aux acteurs du système d’être impliqués dans sa gestion et sa préservation. Il favorise l’adhésion des professionnels et institutions aux décisions prises. Il permet aussi une certaine continuité en limitant les éventuels soubresauts à chaque changement de majorité politique.

Sur ce terrain les mutualités socialistes et chrétiennes sont d’accord : il faut maintenir un modèle de concertation.

Nous serons donc peut-être amenés à innover : un financement basé sur l’impôt, mais géré en concertation… pourquoi pas ? Peut-être est-ce une manière d’augmenter la solidarité, en la basant sur une assiette fiscale plus large que les seules cotisations sur le travail. Tout en maintenant un modèle de gestion qui soutienne l’implication des partenaires sociaux. Pourquoi ne pas inventer un nouveau modèle de concertation avec ces acteurs et d’autres autour de la table ?

Ce qui n’est pas encore clair c’est quelle institution publique hébergerait cette concertation. Un nouvel organisme d’intérêt public, comme l’Agence wallonne à l’intégration des personnes handicapées - AWIPH ou l’INAMI ? L’administration régionale ou communautaire, qui gère déjà une partie des compétences santé transférées précédemment ? Tout est possible.

Région ou communauté ?

Côté francophone, il reste encore la question du territoire qui accueillerait ces compétences. Et c’est là que cela se complique. Sur base de valeurs et d’objectifs communs, les stratégies divergent [8].

Certains, dont les mutualités chrétiennes, défendent le fait que les compétences doivent rester au niveau de la Fédération Wallonie–Bruxelles. Les arguments touchent notamment à la mobilité des citoyens (par exemple, un grand nombre d’usagers des hôpitaux universitaires bruxellois n’habitent pas Bruxelles [9]), à la nécessité d’avoir des couvertures similaires entre les deux régions et au fait que Bruxelles génère de grandes richesses qui profitent à la Région wallonne. A priori nous y voyons aussi une plus grande solidarité inter-francophones et une assiette plus large pour la sécurité sociale.

D’autres, dont les mutualités socialistes, la FGTB wallonne ou la ministre socialiste Eliane Tillieux [10] défendent une organisation sur base du territoire régional. Notamment parce que la région dispose d’une autonomie fiscale (d’ailleurs renforcée par la réforme de l’état) dont la communauté ne dispose pas, et qui sera probablement bien nécessaire pour combler les déficits annoncés plus haut. Également parce que les enjeux et les besoins ne sont pas tout à fait les mêmes dans les deux régions, et que les politiques menées pourront mieux y être adaptées.

Mais surtout, à cause du fonctionnement bruxellois, qui mérite qu’on s’y arrête quelque peu. En effet, lors des négociations de la réforme institutionnelle, le choix de l’entité fédérée qui recevrait ces nouvelles compétences à Bruxelles s’est posé. L’accord prévoit que les « matières personnalisables », donc de la compétence des communautés doivent être transférées (avec leurs financements) à la Commission communautaire Commune (ou CoCom [11]). C’est le cas, par exemple, pour les allocations familiales et pour l’allocation d’aide aux personnes âgées. En théorie, les autres compétences pourraient être transférées à la CoCof et la Cocon. L’enjeu à Bruxelles est aussi de ne pas avoir deux régimes différents pour l’assurance-maladie ou les allocations familiales. L’idéal serait donc que la gouvernance soit confiée à une entité unique et commune.

Mais, si la CoCom et la Région Bruxelloise ont le même territoire, le même gouvernement et le même parlement, le poids des deux communautés linguistiques dans les décisions à prendre y est très différent. En effet, pour la Région bruxelloise, les décisions au parlement se prennent à la majorité absolue de l’ensemble du parlement, composé de 89 députés dont 18 flamands. A la CoCom, les décisions se prennent à la majorité sur chacun des deux bancs linguistiques [12], mais surtout, il faut la signature des deux ministres compétents.

Si l’on reprend la première piste, à savoir la logique communautaire, c’est-à-dire si la gestion (d’une partie) de l’assurance-maladie se réalise au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour l’ensemble de son territoire, alors toute décision concernant la Wallonie devrait avoir l’accord de la CoCom où les parlementaires flamands siègent pour moitié… et auraient donc indirectement, une influence sur les politiques menées en Région wallonne ! Mais ce n’est même pas le scénario actuel : puisque ces compétences ont été confiées à la CoCom pour le territoire bruxellois, alors la Fédération Wallonie-Bruxelles ne prendrait des décisions que pour seul le territoire wallon… ce qui signifie que des parlementaires bruxellois voteraient pour (ou contre) les décisions qui ne concernent pas leur territoire, et retourneraient voter une deuxième fois à la CoCom pour Bruxelles.

La logique régionale semble donc la logique la plus pragmatique. C’est la seconde piste envisagée. Elle a ses avantages : elle correspond à une logique territoriale, avec une population bien identifiée, ce que nous défendons à la Fédération depuis longtemps [13]. Mais cette logique a aussi ses limites, on l’a vu, notamment celles avancées par les mutualités chrétiennes. Et aussi, peut-être, une perte de solidarité inter-régionale. D’après le constitutionnaliste Behrendt, la loi de financement et la constitution ne prévoient pas que la solidarité financière soit possible entre entités fédérées. Ce qui voudrait dire que si les compétences et les financements sont régionalisés, les deux régions wallonne et bruxelloise ne pourraient pas se soutenir mutuellement dans l’avenir.

Or, cette solidarité pourrait être nécessaire, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Aujourd’hui, Bruxelles génère 20% du produit intérieur brut national, mais elle n’en bénéficie pas tant que cela. Le taux de chômage, de pauvreté, et les inégalités sociales y sont très importants. Et si la réforme institutionnelle prévoit le refinancement de la région, il ne suffira probablement pas à faire face aux problèmes et besoins de sa population. Bruxelles pourrait donc avoir besoin des régions voisines.

Fusion entre communauté et région : impossible ?

Pourquoi ne pas fusionner la communauté et la région, comme la Flandre ? La Flandre et Bruxelles, ce n’est pas la Wallonie et Bruxelles. En fait, la Flandre n’a pas « fusionné » la région et la communauté, mais a organisé une « union budgétaire » et elle a un seul parlement. Mais Bruxelles pèse peu dans les décisions, parce qu’il y a peu de Flamands à Bruxelles : 6 parlementaires bruxellois pour 118 parlementaires flamands. Ce qui signifie que cette « fusion » ne coûte pas grand-chose aux flamands en termes d’autonomie de gestion de leur région. Ce qui ne veut pas dire la même chose pour les Wallons…

Au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les Bruxellois ont bien plus de poids : 19 députés pour 75 députés wallons. Le sort des Wallons dépend donc bien plus des Bruxellois, qui devront tenir compte de leurs réalités locales mais aussi de la volonté du banc flamand à Bruxelles puisque la CoCom est paritaire.

Enfin, ceci ne simplifierait de toute façon pas la gestion de Bruxelles, qui reste co-gérée par les deux communautés…

Mais inversement, on pourrait imaginer que l’avenir voie la Région bruxelloise prospérer, notamment sur base de son statut de capitale européenne, et bénéficier de cette richesse via certains mécanismes. Cela pourrait alors être à elle d’en faire profiter ses régions voisines...

Les deux propositions mises actuellement sur la table semblent donc toutes deux être insatisfaisantes. Encore une fois, c’est l’occasion d’être créatifs. Un milieu ou une troisième voie est à trouver. Au travers des échanges, de bonnes idées surgiront. Peut-être via une organisation régionale, associée à des mécanismes de solidarité interrégionale (y compris des transferts financiers [14]). Tout en garantissant une certaine cohérence des politiques entre les deux régions. Peut-être en prévoyant une organisation selon des niveaux différents (national, Fédération Wallonie-Bruxelles, régional, sous-régional, bassin de vie...) qui permette d’être au plus près des caractéristiques de chaque groupe de population et de chaque contexte local.

Certes, comme expliqué plus haut, les modalités de financement des compétences transférées sont telles que les deux régions seront mises en difficulté. À court terme, toute solidarité financière restera donc difficile… mais que cela ne nous empêche pas de la prévoir !

C’est aussi l’occasion de se demander de quelle solidarité il s’agit. Longtemps on a parlé de « solidarité entre francophones de Wallonie et de Bruxelles ». Mais il n’y a pas que des francophones et des flamands à Bruxelles. Il y a une multitude de groupes sociaux, culturels, linguistiques. Il n’y a pas que des francophones en Wallonie non plus. Nous souhaitions maintenir la solidarité entre les trois communautés et régions, au niveau de la Belgique. Nous n’y parvenons pas. Gardons la solidarité entre la Wallonie et Bruxelles. Entre les Wallons et les Bruxellois. Quelle que soit leur langue...

Enfin, si les « accords de la Saint-Quentin » sont activés, que certaines matières sont régionalisées, la question est de définir lesquelles. En effet, comme certaines compétences santé sont déjà régionales et que d’autres sont communautaires, si de nouvelles se présentent, c’est probablement l’occasion de regrouper ces matières dans le sens de plus de cohérence et d’intégration. Tout en veillant à ce que cela ne se fasse pas au détriment de certaines d’entre elles, la promotion de la santé par exemple, dans le contexte budgétaire que nous connaissons.

Place à la créativité…

Les francophones n’ont pas voulu le détricotage de la solidarité au niveau du pays, ni le transfert de compétences liées à la sécurité sociale. La sécurité sociale est plus forte et plus solidaire, lorsqu’elle s’appuie sur une base large. Les recettes devraient rester les plus larges possibles, couvrir la plus grande population possible, tant géographiquement que socialement ou économiquement. Et rester au niveau fédéral. Tandis que la redistribution devrait suivre les besoins, liés à l’âge, aux maladies, aux situations sociales. Il n’en sera pas ainsi.

La nouvelle réforme de l’Etat pose différents défis : le risque d’une plus grande privatisation et la recherche des modalités de gestion des moyens transférés, notamment.

Secret de polichinelle ? On s’attend à une septième réforme de l’état après les élections de 2014. Il s’agira peut-être de transférer encore plus. C’est pour cela que les questions d’aujourd’hui sont importantes : nous ne construisons pas le modèle pour 10% de la sécurité sociale ; on se prépare à ce que le reste suive, en plus grande partie. Même si on ne le veut pas.

Les acteurs francophones se retrouvent aujourd’hui face à des possibilités de choix trop étroites. Avec en toile de fond une réduction de leurs moyens. Le système de santé aura besoin de réformes d’ampleur pour être préservé. Nous aurons besoin d’une vision, d’un cap : de clarifier nos objectifs et nos priorités, de repenser le système de santé. Nous pouvons vivre un moment historique, décider que cela peut être une opportunité pour réduire les inégalités, choisir la solidarité. A nous d’être créatifs, pour inventer une politique de demain.

Les mutualités ont lancé le débat sur la place publique. Et c’est bien. Les politiques travaillent et cherchent aussi. Place à la créativité, place à l’audace. Toutes les bonnes idées sont bienvenues. Parce que si nous n’y répondons pas, les besoins seront de toute façon là. La solidarité, l’équité, l’accessibilité ont besoin d’être préservées. Et les “marchands”, qui font d’autres choix, ne nous attendront pas.

Quels délais ?

Un « article 94 » de la loi spéciale des réformes institutionnelles [15] prévoit que lorsque des transferts de compétences sont prévus, il faut que l’entité qui accueillera ces compétences soit prête à réceptionner ce transfert. En attendant, cela continue à être géré comme auparavant, au niveau fédéral. Ce qui signifie que, s’il est temps de se préparer, il ne faut pas paniquer non plus : tout cela sera effectif lorsque nous serons prêts. Il est prévu que les transferts soient effectifs au plus tôt en 2015, c’est-à-dire après les élections de 2014, dont il faudra peut-être tenir compte...


NB : Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les enjeux liés aux allocations familiales un site internet est disponible : www.lesallocsenmieux.be.


[1Les compétences santé qui avaient été transférées précédemment n’émanaient pas du budget de la sécurité sociale mais de celui de l’Etat.

[2Le budget total de la sécurité sociale s’élève environ à 122 milliards d’euros en 2012 http://socialsecurity.fgov.be/docs/nl/publicaties/vademecum/2012/I_SocBeschNl_VMed2012.pdf (décembre 2013)

[3Ce qu’on appelle communément « les financements alternatifs » de la sécurité sociale.

[4La sécurité sociale : tout ce que vous avez toujours voulu savoir. Février 2012, Service public fédéral Sécurité sociale. http://www.socialezekerheid.fgov.be/docs/fr/publicaties/alwa/alwa2012_feb_fr.pdf

[5En fait les critères sociaux et de morbidité sont aussi des critères objectifs. Mais la morbidité et la situation sociale sont (au moins partiellement) vulnérables aux actions du politique, et cette réforme se base aussi sur une volonté de responsabiliser les décideurs politiques régionaux…

[6Par exemple, si le produit intérieur brut croît de 1%, le budget transféré du fédéral vers la communauté va croître de 0,8%. A titre indicatif, le Bureau du plan prévoit une croissance du produit intérieur brut de 0,7% pour 2013 (http://www.nbb.be/belgostat/PublicatieSelectieLinker ?LinkID=221000054|910000082&Lang=F, 11 janvier 2013).

[7A ce propos, voir en podcast Question à la une du mercredi 12 décembre 2012 : « Maisons de repos : une affaire en or ? ».

[8Voir l’article de Véronique Lamquin et Ricardo Guttierez, en page 2 dans Le Soir du 16 novembre 2012.

[9Les compétences transférées actuellement ne concernent pas les hôpitaux. Mais il est bien évident que les bases jetées pour la gestion des compétences transférées actuellement seraient les mêmes pour la gouvernance d’éventuels transferts complémentaires dans l’avenir… comme expliqué plus loin.

[10Voir l’article de Pascal Lorent, en p.4 dans Le Soir, le 11 décembre 2012.

[11Pour comprendre les instances régionales et communautaires bruxelloises : http://www.bruxelles.irisnet.be/a-propos-de-la-region/les-institutions-communautaires-a-bruxelles

[12En fait, en cas de blocage, il peut y avoir un second vote avec une majorité globale et tiers de voix favorables sur caque banc linguistique. Mais au niveau du gouvernement il faut la signature des deux ministres.

[13Lire à ce propos un article vieux de 14 ans… et terriblement d’actualité : Jacques Morel, Ri De Ridder et Pierre Drielsma. « Des voix au-dessus des frontières. » dans un cahier sur la sécurité sociale : cette dame est à jeter ?, Santé conjuguée n° 5, 1998, p 39-40. http://www.maisonmedicale.org/-La-securite-sociale-Cette-dame-est-.html. Il y est mention de la possibilité de régionaliser l’organisation si l’équité est préservée au niveau fédéral, mais aussi du danger de régionaliser les soins de santé primaires si les hôpitaux restent fédéraux…

[14Les mutualités socialistes, qui défendent la régionalisation ont d’ailleurs parlé de « faire des ponts » entre Bruxelles et la Wallonie. Reste à trouver comment. Le CDH a proposé un « modèle fédéré de protection sociale », qui ne fait pas l’unanimité… Mais des idées sont peut-être à prendre ?