A la lumière des évolutions actuelles du paysage des soins de première ligne, Jean Hemesse épingle quatre enjeux pour les maisons médicales : développer l’offre de soins intégrés, susciter de nouvelles formes de pratiques de groupe, améliorer l’accessibilité aux soins et renforcer la lutte contre les inégalités sociales de santé. Des enjeux qui prouvent, selon le numéro un des Mutualités chrétiennes, la pertinence du modèle.
Le vieillissement de la population, les progrès de la médecine ainsi que l’évolution des styles de vie prolonge, « chronicise », le décours de certaines maladies telles que le cancer. On observe également une progression importante de maladies produites par le comportement sociétal (obésité, sucre, stress, etc.). Les malades chroniques font souvent face à de multiples pathologies et doivent être suivies de très près. C’est pour répondre à ces problématiques que se sont développés ces dernières années la politique des trajets de soins (diabète et incontinence), mais également les programmes de disease management qui ont pour objectif de mettre le patient au centre de l’organisation des soins, afin que la coordination s’articule avec lui et autour de lui.
Ces évolutions constituent un premier enjeu pour le développement des maisons médicales. Elles ont depuis toujours favorisé l’interdisciplinarité et constituent en ce sens un laboratoire en matière de soins intégrés et de suivi du patient. La future organisation des soins peut s’en s’inspirer. Une étude [1] récente du Centre d’expertise (KCE) montre en effet que le rapport qualité/coût est plus élevé en maisons médicales par rapport au système à l’acte. Si les dépenses sociales sont similaires dans les deux systèmes, la part à charge du patient est moins élevée en maison médicale : il n’y pas de ticket modérateur en première ligne et les patients consomment moins de soins en seconde ligne. L’étude montre aussi que les patients soignés en maison médicale consomment moins d’antibiotiques et que les médecins ont une propension plus grande à prescrire des génériques.
D’autres types d’offres de soins et de prises en charge comme l’hôpital voient le financement à la pathologie, ou « all-in » se développer de plus en plus. Ce qui montre la nécessité de revoir le fonctionnement de notre système de santé en profondeur. En ce qui concerne particulièrement les maisons médicales, on pourrait aller plus loin et renforcer leur financement global en prévoyant un forfait pour les médicaments ou les analyses de biologie clinique.
Tout cela implique la mise en place d’indicateurs d’évaluation de la qualité des soins (vaccinations, consommation d’antibiotiques, etc.) à développer pour tous les prestataires. Dans ce cadre, les maisons médicales devraient, sur base de l’enregistrement de leurs activités et des données statistiques qu’elles récoltent, renforcer leur travail d’information sur l’impact qualitatif et financier de leur prise en charge. Un travail d’information scientifique qui doit se faire vers le politique, mais aussi vers les autres prestataires de soins. De ce point de vue, le financement à la pathologie et la politique pay for performance qui incite à la qualité des soins est à encourager et développer.
Autre enjeu auquel nous devrons faire face : la pénurie attendue des prestataires de soins de première ligne, principalement les médecins généralistes et les infirmières. D’ici dix ans, près de 30% des médecins généralistes actuellement en activité seront pensionnés. Ajoutons à cela qu’un nombre croissant de médecins optent dès le début de leur activité pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et qu’ils adoptent des durées et horaires de travail semblables à ceux des employés. Ces nouveaux éléments ne peuvent être pris en considération que dans le cadre d’un travail en équipe et interdisciplinaire. Cette approche rencontre aussi leur besoin de pouvoir échanger entre pairs et de se sentir davantage soutenus.
Conséquence, des pratiques de groupes, à michemin entre les maisons médicales et la pratique privée, se sont mises en place ces dernières années. Ce nouveau mode organisationnel constitue une opportunité pour le développement de nouvelles maisons médicales.
Un troisième enjeu, lié aux deux premiers, est l’accessibilité aux soins de première ligne en dehors des grandes villes, zones où les maisons médicales ne sont pas encore suffisamment présentes. C’est en ce sens que se sont développées toute une série d’initiatives comme les postes de garde ou encore les aides à l’installation de jeunes médecins généralistes dans des zones en pénurie (Impulseo). Mais également les services intégrés de soins à domicile (SISD) et des réseaux multidisciplinaires locaux (RML) qui ont comme objectif premier d’assurer la coordination de l’offre des soins en première ligne.
Parallèlement à la mise en place de telles initiatives, le modèle des maisons médicales devrait pouvoir être pensé et adapté dans des zones plus rurales, dans une structure éloignée ou adossée à l’hôpital. En Flandre par exemple, un modèle d’organisation médico-sociale Regiohuis voit le jour. L’idée est de pouvoir proposer un premier point de contact, bien identifiable, avec la structure de l’aide et des soins.
Au-delà de la prestation des soins, la santé d’un individu dépend de toute une série d’autres facteurs : le logement, les conditions de travail et le réseau social. Toutes les études le montrent, il ne suffit pas d’assurer un accès financier et suffisant à l’offre de soins, il faut également pouvoir créer une prise en charge capable, par exemple, d’enrichir le réseau social de chaque patient au niveau local. A titre préventif, mais également pour pouvoir assurer le bien-être et le bien-vivre de chacun. Les maisons médicales ont donc un rôle central à jouer dans la mise en place d’une politique transversale, proche du terrain, de lutte contre les inégalités sociales en matière de santé.
Il y a donc de l’avenir pour le modèle des maisons médicales. Elles ont un rôle central à jouer en tant que premier point de contact. Et elles sont une réponse à notre souci permanent de mettre à disponibilité de la population des soins intégrés de qualité, en incluant les aspects curatifs, palliatifs, la promotion de la santé et la prévention.
[1] https://kce.fgov. be/sites/default/files/ page_documents/ d20081027350.pdf 42 Santé conjuguée - octobre 2013 - n° 66
n° 66 - octobre 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...