Ce dossier de Santé conjuguée est dédié à la santé des personnes lesbiennes, gays, bis, transgenres, queer et intersexes (LGBTQI). Si ce sujet n’est pas nouveau dans la littérature scientifique ou comme enjeu de santé publique, la manière de l’aborder est en mutation ces dernières années. Après une focalisation sur les infections sexuellement transmissibles, principalement chez les hommes cisgenres ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes cisgenres, le spectre d’investigation s’élargit pour aborder une perspective de santé globale et les autres membres de la communauté [1].
Mais s’intéresser à un tel sujet est une entreprise complexe. La diversité se retrouve dans l’acronyme même qui reflète une pluralité d’identités, certaines situées sur le plan de l’orientation sexuelle (LGB), du genre (TQ) et/ou du sexe (I). Le « + » ayant pour but de ne pas omettre celles et ceux qui s’identifient avec d’autres étiquettes.
Par ailleurs, les personnes LGBTQI+ sont également diverses en termes d’âge, de classe sociale ou d’ethnie, parmi d’autres caractéristiques. Néanmoins, ce qui les unit est un certain rapport aux normes de genre et de sexualité. C’est ce décalage, à des degrés divers, vis-à-vis de la norme qui assure la cohésion de la communauté LGBTQI+, la similitude des expériences de discrimination et la convergence des revendications. Il est donc nécessaire de s’intéresser plus avant à ces normes et à leurs conséquences sur les personnes qui s’en éloignent.
L’homophobie décrit un sentiment de rejet, de haine, d’aversion vis-à-vis des homosexuels. Toutefois, l’homophobie ne s’intéresse qu’à l’aspect interindividuel, oubliant les déterminants sociaux plus larges qui la maintiennent en place [2]. La notion d’hétérosexisme a donc fait son apparition et peut être définie comme une vue de la société qui promeut l’hétérosexualité aux dépens de toute autre forme de sexualité [3]. Cette conception se base sur l’idée que l’homme est fait pour la femme et que cette dualité est le socle sur lequel toute société humaine se base. L’hétérosexisme s’exprime à travers une hégémonie culturelle, l’immense majorité des productions culturelles mettant en avant des protagonistes et des couples cisgenres et hétérosexuels. Une de ses manifestations les plus banales est donc la présomption d’hétérosexualité, chaque personne étant inconsciemment considérée comme hétérosexuelle jusqu’à preuve du contraire. En médecine, cela se traduit, par exemple, par le fait de se renseigner sur la contraception d’une patiente avant même de savoir si elle a des rapports sexuels avec des hommes.
De manière plus pernicieuse, cette présomption d’hétérosexualité traduit les attentes conscientes ou non qui pèsent sur la sexualité et le genre. Lesdites attentes sont rappelées à intervalles réguliers dès l’enfance par des phrases en apparence anodines comme : « Oh, il est mignon, il va avoir du succès avec les filles quand il sera plus grand ! » Lorsqu’on est attiré par le même sexe ou qu’on ne s’identifie pas au genre qui nous a été assigné, on comprend donc vite, même en l’absence de tout comportement homophobe ou transphobe, qu’on n’est pas normal et que la famille, l’entourage et la société attendaient autre chose, ce qui n’est pas sans conséquence. Pour les cliniciens et cliniciennes ayant à cœur le bien-être de cette population, il est donc nécessaire de commencer par offrir un cadre inclusif et accueillant, notamment en ne présumant pas de l’orientation sexuelle de ses patient·e·s et en évitant tout comportement ou propos stigmatisant.
Le modèle du stress minoritaire (minority stress model) a été proposé par Meyer en 2003 pour rendre compte de la plus grande prévalence des problèmes de santé mentale chez les LGB [4]. Il avance que les personnes faisant partie d’une minorité sont exposées à une source de stress supplémentaire que le groupe dominant ne connait pas. Ce stress excédentaire, appelé stress minoritaire, tire sa source des préjugés, de la stigmatisation et de la discrimination auxquelles les membres du groupe font face. Meyer distingue par ailleurs deux catégories de facteurs de stress : les facteurs de stress distaux, objectifs ; ceux-ci consistent en la discrimination, la violence, le harcèlement et le rejet. Et les facteurs de stress proximaux, subjectifs et dépendant de la perception des évènements objectifs. On y retrouve l’anticipation d’évènements stressants, la dissimulation de l’orientation sexuelle et l’homophobie (ou hétérosexisme) internalisée.
Par exemple, quelqu’un qui a subi un harcèlement homophobe à l’école (facteur de stress distal) s’attendra à rencontrer d’autres interactions homophobes dans sa vie, ce qui pourra l’amener à essayer de cacher son orientation sexuelle voire à finir par intégrer les images négatives renvoyées par les autres et rejeter sa propre identité (facteurs proximaux). Cacher sa sexualité a de plus un coût psychique, au vu des efforts nécessaires et de la crainte que son « secret » soit percé. Enfin, l’internalisation de l’homophobie et de l’hétérosexisme est liée à une plus grande isolation sociale et à une multitude de conséquences défavorables sur la santé mentale et physique [5] [6].
Les jeunes LGB qui se font harceler à l’école risquent 2,6 fois plus de développer une dépression et 5,6 fois plus d’attenter à leurs jours que ceux qui n’ont pas connu cette situation. On retrouve en outre parmi eux 2,5 fois plus de diagnostics d’IST et 2,3 fois plus de risques par rapport au VIH. Ce modèle est applicable aux personnes transgenres au vu de la similarité des mécanismes [7].
Le concept de stress minoritaire est important à garder à l’esprit pour appréhender l’interaction entre les conditions sociales et la santé des individus ainsi que pour mieux comprendre les disparités de santé touchant les personnes LGBT, lesquelles seront développées tout au long de ce numéro.
[1] Blondeel K, Say L, Chou D, Toskin I, Khosla R, Scolaro E, et al. Evidence and knowledge gaps on the disease burden in sexual and gender minorities : A review of systematic reviews. International Journal for Equity in Health. 2016 ;15(16).
[2] Fish J. Heterosexism in Health and Social Care. London : Palgrave Macmillan UK ; 2006.
[3] Tin L-G. Heterosexism. In : Tin L-G, Redburn M, editors. The Dictionnary of Homophobia. Vancouver : Arsenal Pulp Press ; 2008.
[4] Meyer IH. Prejudice, social stress, and mental health in lesbian, gay, and bisexual populations : Conceptual issues and research evidence. Psychological Bulletin. 2003 ;129(5):674–97.
[5] Lea T, de Wit J, Reynolds R. Minority Stress in Lesbian, Gay, and Bisexual Young Adults in Australia : Associations with Psychological Distress, Suicidality, and Substance Use. Archives of Sexual Behavior. 2014 ;43(8):1571–8.
[6] Ross MW, Berg RC, Schmidt AJ, Hospers HJ, Breveglieri M, Furegato M, et al. Internalised homonegativity predicts HIV-associated risk behavior in European men who have sex with men in a 38-country cross-sectional study : Some public health implications of homophobia. BMJ Open. 2013 ;3:e001928.
[7] Carmel TC, Erickson-Schroth L. Mental Health and the Transgender Population. Journal of Psychosocial Nursing and Mental Health Services. 2016 ;54(12):44–8.
n°86 - mars 2019
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...