Le co-président d’Ecolo vient de publier un ouvrage : Conquêtes [1], dans lequel il se livre à une analyse scrupuleuse des dysfonctionnements qui mènent à l’urgence climatique que nous sommes en train de vivre. Il déploie également des pistes d’actions politiques, économiques et citoyennes pour maintenir une planète vivable.
Vous démarrez votre livre par cette question : Pourquoi s’engager ?
J.-M. N. : D’abord parce que le monde tel qu’il fonctionne actuellement ne peut pas nous satisfaire : il y a trop d’inégalités, trop d’injustices. Et parce que le modèle dans lequel nous sommes présente un risque : l’habitabilité même de la planète – non pas son avenir, elle nous survivra, mais celui de l’être humain et des vivants en général – n’est pas garantie. Mon engagement est lié à une volonté de ne pas perpétuer le statu quo, d’aller vers une société plus égalitaire, plus juste et vers une société qui respecte le rythme, la capacité d’absorption et de production, de régénération de la Terre. J’ai trois enfants, trois jeunes maintenant, et quand je les regarde dans les yeux, je me demande quel monde nous allons leur laisser.
La jeunesse, justement, est très présente sur le front du climat. C’est une génération qui s’implique ?
On ne peut pas mettre toute la jeunesse dans un seul ensemble, mais je crois que dans la tranche d’âge des 15-25 ans beaucoup se sont engagés dans les actes de tous les jours. Certains les caricaturent en disant qu’ils prennent une douche plutôt qu’un bain… c’est bien plus profond que cela, c’est une réflexion sur le sens même de la vie, sur l’idée que ce n’est peut-être pas toujours le salaire qu’il faut aller chercher, mais aussi la qualité de vie. Cela ne veut pas dire que tous ceux qui ont été manifester deux ou trois fois ont changé leur vie du tout au tout, mais il y a une prise de conscience plus large et elle se traduit en actions, notamment dans les choix de vie, d’habitat, de travail, de loisirs, dans l’organisation des vacances.
Par rapport à la transition écologique, vous dites qu’il faut aller vite et fort. Comment faire pour que ce changement intervienne partout et en même temps ?
En commençant par chez soi. Parce qu’autrement on se dit toujours que c’est la faute des autres et on regarde les choses de manière très lointaine. Chez nous, on voit que des choses bougent : les magasins de seconde main, le recyclage. Dans les parcs à conteneurs, il y a aujourd’hui plus de possibilités et plus de fréquentations qu’il y a dix ou quinze ans. Quand j’étais jeune, tout partait dans une poubelle unique, que parfois même on brûlait dans le jardin. Nous avons fait des progrès. Il faut voir les choses d’un œil positif, mais il faut accélérer. Aujourd’hui la prise de conscience est là et j’ai l’impression que le monde politique a peur de son ombre. Ma volonté est que l’on profite de ces changements pour passer à la vitesse supérieure, pour changer de braquet.
Il ne s’agit pas uniquement d’écologie. Celle-ci va de pair avec le social, qui va de pair avec l’économie…
La transition écologique, par définition, est solidaire. Aujourd’hui, on le voit face aux dérèglements climatiques comme face à la perte de la biodiversité, il y a une inégalité d’exposition : les plus pauvres sont les plus exposés et ils en payent davantage les conséquences, c’est vrai mondialement et c’est vrai localement. Mais il y a aussi une inégalité de responsabilité et elle est inversée par rapport à l’exposition : ce sont les plus riches qui polluent le plus. C’est une responsabilité du politique de rendre la justice, ici la justice environnementale, en redistribuant les moyens. Si l’on prend la question de l’énergie, il est essentiel à court terme que le gouvernement aille chercher de l’argent sur les profits du secteur des énergies fossiles et redistribue à ceux qui ont le plus de difficultés et qui sont ceux qui souvent font déjà le plus d’efforts, parce qu’ils manquent de moyens, et dont le logement est moins bien isolé. La dimension sociale est au cœur de l’écologie. C’est cette conception-là que je veux promouvoir.
Comment mettre en œuvre cette volonté de taxer les secteurs à hauts profits ?
La ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, a mis sur la table du gouvernement une proposition qui doit être discutée en septembre et je l’espère adoptée en octobre dans le cadre du conclave budgétaire.
La canicule de cet été agit comme un catalyseur de conscience ?
Ce que nous avons vécu en 2021 et en 2022, les inondations comme la sécheresse, c’est la même source : le dérèglement climatique. Ce qui change par rapport aux années 2000 ou 2010, c’est qu’aujourd’hui les changements sont palpables ici, par nous tous. On parle des gens qui vivent chez nous et pas au bout du monde et pas des générations à venir. Les gens qui ont eu à subir les conséquences du dérèglement climatique sont en droit de réclamer à la fois une accélération de la transition et le développement de mesures d’adaptation, de soutien, de protection. L’écologie politique est là pour protéger les gens, pour réduire le risque et aussi pour protéger les citoyens dans leur quotidien et réduire, ce faisant, l’impact des dérèglements inévitables, car on ne pourra malheureusement pas les supprimer du jour au lendemain.
En matière de santé, vous êtes plutôt un défenseur du modèle des maisons médicales…
J’ai découvert les maisons médicales comme patient à l’âge de 20 ans et j’ai senti que c’était le meilleur modèle possible pour plusieurs raisons. D’abord j’aime bien cette idée de travailler, de réfléchir en équipe, et puis l’accessibilité, que je ne trouvais pas dans d’autres salles d’attente. Ensuite j’ai commencé à réfléchir à leur modèle de financement. La santé y est considérée – et cela, c’était ma conception depuis longtemps – comme multidimensionnelle. Santé physique, santé psychique, santé environnementale… au fil de mon parcours, y compris en politique, les choses résonnaient. Soigner l’environnement, c’est aider à ce que la santé se porte mieux aussi. On ne s’en sortira pas en matière de santé si on ne travaille pas sur les déterminants environnementaux qui provoquent des maladies voire des crises – typiquement le Covid. On ne peut pas nier que les zoonoses se multiplient et qu’elles sont liées à la déforestation, qui est un problème environnemental énorme. Soigner notre environnement, c’est préserver notre santé.
Jusqu’à intégrer l’environnement dans la Sécurité sociale ?
Ce n’est pas qu’une question financière quand je dis d’intégrer l’environnement dans la sécu, c’est l’idée que les premiers ministres de la Santé sont les ministres de l’Environnement. Investir dans un environnement de qualité, on pense toujours que ce sont des choses qui coûtent, mais ce n’est pas forcément vrai. Le bruit, par exemple, est en Belgique la deuxième source de pollution après l’air et dans beaucoup de quartiers, il est source de tensions. Des choses simples permettent de réduire le bruit ; cela passe par des normes, des protections ou par les produits mis en vente.
Votre livre fourmille de propositions, mais il pointe aussi des ennemis, extérieurs et intérieurs. Qui sont-ils ?
Ce sont des ennemis intérieurs que l’on n’arrive pas toujours à bien repérer : l’écoanxiété se développe fortement. Loin de moi l’idée de dire que c’est facile de s’en prémunir, mais je pense qu’en étant dans l’action on peut s’en sortir plus facilement ; ce n’est évidemment pas le seul remède. Et je ne voudrais pas dire non plus que les ennemis intérieurs sont plus nombreux et plus dangereux que les ennemis extérieurs – les conservateurs, ceux qui refusent d’accélérer la transition – mais ils s’en nourrissent.
Quels sont alors les alliés, les soutiens de la transition écologique ? Vous citez notamment le monde agricole.
Je vois un monde agricole en demande de soutien pour la transition, et je ne parle pas ici que de ceux qui ont déjà fait le choix du bio. Les agricultrices et les agriculteurs sont aussi les victimes des pesticides qu’on leur fait épandre sur leurs champs ; leur propre santé et celle de leurs enfants sont affectées. Ensuite ils sont en première ligne par rapport aux conséquences du dérèglement climatique. Nombre d’entre eux se demandent comment continuer à exercer leur métier s’il n’y a plus d’eau en suffisance en Wallonie, si les terres sont à ce point asséchées. Je pense qu’individuellement ils sont en attente d’une aide, d’un repère et la meilleure manière d’avancer est d’écouter leurs pairs qui ont déjà fait le choix de la transition. C’est pour ça que je parle d’alliance, pour que ce ne soit pas quelque chose qui vienne du haut, mais qui soit construit avec les secteurs concernés.
Le monde de l’entreprise vous semble tout aussi convaincu ?
J’ai rencontré un groupe d’entrepreneurs qui se donnent pour horizon 2030 de réussir à convaincre leurs collègues que le court-termisme ne doit plus être notre boussole. Le politique choisit comme indicateur quasi exclusif le PIB, le produit intérieur brut. Changeons de vocabulaire, changeons d’indicateur ! Pour moi l’espérance de vie en bonne santé est bien plus déterminante comme guide pour les politiques publiques que le PIB. Si demain tout le monde se crashe en voiture et la remplace par une nouvelle, le PIB va certes augmenter, mais est-ce que la santé sera meilleure ? Je pointe aussi un énorme retard entre des fédérations d’employeurs, la FEB principalement, et leurs membres qui eux n’attendent pas, qui sont déjà en train de changer.
Changement d’indicateur et changement de stratégie : on ne va plus se battre pour soi seul, mais ensemble pour tout le monde…
C’est la dimension collective de l’action politique et de l’action sociale. Pour moi, elle est incontournable. On n’arrivera pas à s’en sortir si on ne pense qu’à soi. Le dérèglement climatique n’a pas de frontières. Soit on s’en sort tous ensemble, soit on va tous couler. Je fais le pari que le politique et les entreprises privées vont être poussés à agir davantage. Je suis pour le « lianage » de tous les combats, on sera plus fort si on arrive à entremêler nos combats.
Vous plaidez aussi pour un renforcement de la démocratie. Comment ?
On distingue quatre dimensions de la démocratie : la démocratie directe, représentative, délibérative et associative. Sur le volet de l’implication des citoyens, il y a deux manières d’agir : soit le tirage au sort – quelques citoyens sont associés à l’élaboration des politiques publiques – ou la validation directe par référendum ou par préférendum pour être encore un peu plus dans la qualité et dans la nuance des décisions, des options ou des orientations proposées à la délibération. Le préférendum n’enferme pas les citoyens qui participent dans un choix binaire : oui ou non, pour ou contre, poursuite ou arrêt ; il capte la nuance de leurs réflexions en leur permettant de choisir différentes propositions, qu’ils peuvent même coter, hiérarchiser voire, dans un idéal, d’en formuler. C’est un outil qui ne doit pas remplacer les autres formes de démocratie, mais les consolider et les compléter. Pour certaines grandes orientations, on peut et je crois que l’on doit oser être consolidé par un référendum ou par un préférendum. Il faut intégrer cela dans la manière d’organiser l’état.
[1] J.-M. Nollet, Conquêtes, chemins, adversaires et alliances pour la transition écologique, Etopia, 2022.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...