Au niveau local, une coordination structurée entre différents types d’intervenants, spécialisés et généralistes améliore, la connaissance des uns et des autres et permet des synergies propices à une prise en charge plus globale des problématiques des usagers. La pérennité de cette collaboration implique de rester attentif aux dérives possibles et de ne pas se fermer sur elle-même.
La Coordination toxicomanie d’Anderlecht réunit différents intervenants et des services psycho-sociaux actifs sur le terrain de l’aide aux toxicomanes à Anderlecht.
Son originalité est d’organiser à l’échelon local une collaboration entre :
• des services spécialisés dans le secteur toxicomanie comme le RAT (Réseau d’aide aux toxicomanes) ou le Lama (antenne Anderlecht) ;
• des personnes ou des services locaux non spécialisés : médecins généralistes, le service de santé mentale (service psychosocial d’Anderlecht), le CPAS ;
• une structure intermédiaire comme le SCAT (Service d’accompagnement des personnes toxicodépendantes).
La Coordination à vu le jour en 1996. Deux éléments sont à l’origine de sa création :
• la volonté du Réseau d’aide aux toxicomanes d’ouvrir une antenne locale pour soutenir le travail des médecins actifs au sein du RAT, plutôt nombreux à Anderlecht. Cette volonté s’est traduite concrètement par l’ouverture d’une antenne locale et le détachement d’une assistante sociale ;
• la mise sur pied du SCAT par les autorités communales.
Le travail de réseau de proximité déjà développé auparavant par les médecins a permis d’agréger les autres services et structures. Lors de l’ouverture de l’antenne anderlechtoise du Lama, celle-ci est venue rejoindre la coordination.
L’existence préalable d’un réseau informel local a donc été particulièrement utile et constructive. Mais ce réseau informel n’aurait sans doute pas pu s’organiser et se développer sans le soutien et le savoir faire du RAT, institution spécialisée du secteur toxicomanie, dont la philosophie de travail est le soutien à la première ligne et dont le projet est l’animation d’un réseau de médecins généralistes.
La Coordination a pour objectif d’améliorer la prise en charge des toxicomanes à Anderlecht et de soutenir le travail des intervenants spécialisés ou non qui sont confrontés à la problématique de la toxicomanie.
Elle permet d’envisager des modes de collaboration synergiques et adaptés aux problèmes pratiques présentés par la prise en charge d’un usager donné. La coordination élargit de fait les possibilités de travail pluridisciplinaire autour d’un patient.
Ce travail est grandement facilité par la coexistence dans la Coordination de structures complémentaires qui ont chacune une spécificité utile à l’ensemble des participants.
Le CPAS n’est pas directement impliqué dans la prise en charge des usagers, mais peu d’usagers ne sont pas confrontés à des problèmes sociaux parfois compliqués. La participation du CPAS à la Coordination permet un échange d’informations utiles aux différents intervenants. Elle permet au CPAS une meilleure compréhension des difficultés rencontrées par les usagers.
Cette meilleure connaissance mutuelle a d’ailleurs permis une meilleure collaboration entre le CPAS et l’ensemble des médecins de la commune pour tous les problèmes de santé.
Le centre de santé mentale (service psychosocial) permet une possibilité de prise en charge psychologique. Ces prises en charge sont malgré tout limitées parce que peu d’usagers souhaitent en bénéficier et que par ailleurs, l’accessibilité du service, souvent proche de la saturation, est souvent difficile dans un délai rapide.
Le SCAT apporte une ouverture vers les services communaux dont il est le référent, une possibilité d’accès de très bas seuil et permet si nécessaire un accompagnement « physique » des usagers lors de certaines démarches, ce qui soutient énormément les usagers et crédibilise leur demande auprès des différents intervenants. Le RAT apporte sa connaissance du secteur toxicomanie, le soutien pratique d’une assistante sociale, des possibilités d’intervention et de soutien psychologique. Il assure en outre la formation continue des médecins qui collaborent avec lui, leur offre un cadre de travail à la fois théorique et pratique, et met à leur disposition un groupe de supervision leur permettant d’aborder les difficultés pratiques, relationnelles et émotionnelles inhérentes à ce type de prise en charge.
Le RAT permet donc aux médecins généralistes de sortir de l’isolement qui est souvent une de leurs caractéristiques de travail en leur permettant une prise en charge pluridisciplinaire à la demande et non centralisée en un lieu unique.
Le Lama garde une place particulière, étant plus orienté « naturellement » vers une collaboration avec le secteur spécialisé toxicomanie (voir Des usagers de drogue à l’épreuve de la saturation et des modalités d’inclusion du réseau en page 115).
Apprendre à mieux se connaître entre intervenants
Mieux se connaître, c’est découvrir les spécificités de travail des uns et des autres, améliorer les modes de collaboration entre les divers intervenants, réfléchir à des filières privilégiées pour la prise en charge de patients.
Au-delà de ces éléments rationnels, l’établissement de relations interpersonnelles et la confiance qui s’instaure entre les différents partenaires de la Coordination autour du travail pratique avec les usagers sont des éléments qui facilitent de plus en plus le travail au fil du temps.
L’amélioration de la prise en charge du patient est à la fois au centre du dispositif, mais est aussi un élément qui fait évoluer les différents intervenants.
Se faire connaitre d’intervenants non spécialisés
… de façon à faciliter l’orientation vers le réseau d’usagers qui seraient en demande d’aide. Des rencontres ont ainsi été organisées auprès des divers intervenants sociaux (milieu associatif, éducateurs, gardiens de parc, stewards...) intervenants souvent démunis face à des problématiques de toxicomanie.
Supervision
Le meilleur soutien à l’activité clinique des membres de la coordination est sans conteste la participation à la supervision organisée par le RAT. Ces supervisions ont un statut assez particulier par rapport aux groupes Balint habituels [1], puisque il n’est pas rare de discuter lors de ces supervisions, de patients qui sont suivis par plusieurs intervenants. Ceci permet d’aborder une situation avec des éclairages parfois très différents.
Au-delà de la situation concrète décrite, ces supervisions permettent également de mieux se rendre compte de la réalité de l’autre et de ses contraintes. Elles améliorent la connaissance mutuelle et fluidifient les relations entre les divers intervenants.
La question se pose ici de ce qui peut être dit ou non auprès des autres membres de la Concertation (quelle information est confidentielle ou non, laquelle peut être divulguée ou non auprès de l’assistant social des CPAS, par exemple, travail au noir de l’usager, etc.).
Cette question est en perpétuelle réflexion, mais il nous semble évident que certaines informations peuvent être partagées dans l’intérêt du patient, après réflexion sur l’accord du patient, le destinataire de l’information…
Par ailleurs tout n’est pas secret dans ce que nous savons de quelqu’un.
Le mode de fonctionnement de certaines institutions où, en interne, tout le monde sait tout sur un usager, mais qui ne transmettent aucune information dès que l’usager quitte l’institution nous semble parfois contraire à l’intérêt du patient. Le cloisonnement « étanche » n’est peutêtre pas la meilleure façon d’inscrire le patient dans une trajectoire de soins si nous pensons que nous ne sommes qu’un des maillons de cette chaine de soins.
Big Brother
Le fait de partager des informations entre différents intervenants sur des usagers que chacun va peut-être rencontrer à des moments différents de son histoire aurait pu déboucher sur un fonctionnement de type « flicage » ou tout le monde sait tout sur tout le monde.
Il est remarquable de constater que 15 ans après le début de notre coordination, chacun a été suffisamment vigilant pour que cette crainte ne se soit jamais révélée fondée. Mais il faut la garder à l’esprit : c’est pour cela qu’elle est mise en tête des dangers potentiels.
Autarcie – le syndrome du « village gaulois »
Le fonctionnement habituel en réseau local pourrait nous appauvrir, en n’utilisant que les ressources locales mieux connues.
Cette inquiétude est également peu fondée : la trajectoire de vie des patients nous offre (très) largement les possibilités d’élargir notre cadre de travail en dehors du réseau local !
La connaissance du réseau que peuvent apporter des structures spécialisées comme le RAT est ici fondamentale.
Il n’y a plus de problème ! - Saturation
L’existence de la coordination peut donner la fausse illusion que tout est bien pris en charge, qu’il n’y a plus de problème : quelqu’un s’occupe déjà de cela ! Il ne faudrait donc plus s’y investir. Les médecins de la commune qui rencontrent un usager de drogues ont cette solution de facilité : je relaie vers la Coordination !
Peu de nouveaux médecins sont prêts à s’investir dans la prise en charge d’usagers de drogues. La pression n’étant plus si forte, ils ne s’y sentent pas obligés : il devient difficile de trouver de nouveaux médecins prêts à s’engager dans ce type de travail.
Le risque de saturation des institutions et des médecins qui prennent en charge des usagers des drogues est bien réel ! C’est sans doute un élément dont il faudra bientôt tenir compte.
Le service de psychiatrie de la clinique Sainte Anne - Saint Rémi est le service hospitalier avec lequel le plus de collaborations informelles existent déjà. Mais le travail de collaboration avec les hôpitaux locaux est loin d’être satisfaisant. C’est certainement un des axes de travail qu’il faudra développer.
[1] groupe de médecins se réunissant régulièrement pour examiner, à travers l’exposé d’un cas concret, les questions qui se posent dans les relations médecinspatients (émotions, défenses, limites, répétitions, difficultés de communication, de compréhension, de mise en place des soins, …)
n° 59 - janvier 2012
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...