Comment affronter les questions qui se posent « après » la prise en charge institutionnelle ? Nous avons décidé de présenter les collaborations entreprises entre le Foyer Georges Motte (FGM) et l’asbl Transit. Ces collaborations sont nées d’une nécessité de terrain et les pratiques mises en place sont en perpétuelle évolution. Nous commencerons par présenter succinctement les deux institutions. Nous continuerons ensuite par exposer ce qui nous a amené à travailler en étroite collaboration et nous finirons par quelques situations pour illustrer le travail effectué.
Le centre Transit est un centre d’accueil de crise et d’hébergement pour usagers de drogues qui se caractérise par son bas seuil d’accès. Il offre à la fois une prise en charge résidentielle de courte durée et une prise en charge en centre de jour.
Sa mission principale est d’accueillir les usagers, de leur redonner une certaine dignité sociale via le recouvrement partiel ou total de leurs acquis sociaux et de réorienter les usagers selon la nécessité et la demande de ceux-ci. Dans ce cadre, l’asbl Transit est, entre autres, amenée à travailler avec des maisons d’accueil afin de répondre à la problématique du logement d’une partie de ses usagers mais aussi comme solution alternative à la rue en attente d’autres projets dont les délais excèdent le temps de prise en charge habituel.
Le Foyer Georges Motte (FGM) est une maison d’accueil pour hommes en difficulté de 18 à 65 ans, située à Bruxelles. Elle fait partie des oeuvres sociales de l’Armée du Salut. Elle est agréée par la Commission communautaire française pour accueillir 77 personnes. Ses missions sont : l’accueil, l’hébergement et la réinsertion sociale, professionnelle et familiale. L’axe central du projet est basé sur le principe de l’occupation. La personne hébergée au sein du FGM doit être occupée au moins 28 heures par semaine (quatre jours par semaine) soit par un contrat de travail, de formation ou bien par une activité dans un centre de jour. Si ce n’est pas le cas, la personne devra s’occuper bénévolement au sein de la structure (magasin de seconde main, ateliers de réparation, cuisine …).
Le séjour devrait permettre de régulariser la situation sociale, administrative, financière, juridique, familiale et de mettre en place un projet axé sur la recherche d’un emploi, d’une formation, d’un logement ou l’amélioration de sa santé.
Le travail occupationnel vise un retour vers une socialisation, une responsabilisation et favorise l’émergence du lien social.
Les hommes hébergés au sein du FGM sont, pour la plupart, en rupture plus ou moins totale avec leur famille. Ils arrivent en situation de crise. D’autres hommes, eux, sont « institutionnalisés » depuis de nombreuses années. Ils passent ainsi de centre d’accueil en centre d’accueil. Un grand nombre présente des assuétudes, que ce soit à l’alcool, aux drogues et/ou aux médicaments. Les travailleurs sont également de plus en plus souvent confrontés à des personnes présentant des problèmes psychiques et/ou psychiatriques.
Il y a quelques années, l’asbl Transit a été confrontée à une augmentation des refus de prise en charge de son public cible de la part des maisons d’accueil. Les raisons invoquées étaient multiples. Citons entre autre : la peur du public cible, les problèmes de consommation au sein des maisons d’accueil, les problèmes d’agressivité liés au public des usagers de drogues…
Face à l’augmentation des refus de prise en charge au sein des maisons d’accueil, les travailleurs de Transit ont sollicité des rencontres avec celles-ci. La collaboration entre le Foyer George Motte et Transit est née de ces rencontres. A l’époque de la rencontre avec Transit, en 2006, l’équipe du FGM voit son effectif fortement modifié. Les « anciens » avaient certains a priori sur le public accueilli et orienté par Transit : difficultés de s’inscrire dans le projet occupationnel, craintes de consommation, deal au sein du Foyer.
La rencontre a permis de diminuer les a priori liés au public des usagers de drogues et ce grâce à une meilleure connaissance de ce public mais aussi grâce à une meilleure connaissance des fonctionnements institutionnels de chacun. Ce fut également l’occasion de prendre des engagements tels que la possibilité de reprise par Transit d’un hébergé dont l’intégration au sein du FGM n’aurait pas été concluante.
L’accent a également été mis sur la transmission d’informations lorsque l’usager nous y autorise et cela dans le but d’affiner notre travail, nos orientations et nos collaborations.
A ce titre, les orientations vont dans les deux sens et plusieurs cas de figure co-existent :
1. Transit oriente des usagers vers le FGM lorsque la problématique du logement l’indique, que le passage par une maison d’accueil est nécessaire et que l’usager est preneur et apte à intégrer le projet pédagogique du FGM.
2. Le FGM oriente des usagers vers Transit lorsque les problèmes de consommation sont trop importants et que cela ne permet pas aux usagers d’intégrer le projet pédagogique du FGM.
3. Transit intervient également lorsque le FGM se questionne sur l’adéquation entre la prise en charge dans une maison d’accueil comme la leur et l’éventuel usage de drogues d’une personne.
4. Le FGM a également la possibilité d’orienter des personnes dans la structure d’appartement visant à l’autonomie de la phase IV de l’asbl Transit.
Insistons sur le fait que les collaborations se sont mises en place de manière progressive et que des ajustements furent nécessaires et le sont toujours. Lors de chaque orientation d’une structure vers l’autre, il y a toujours au préalable, avec l’accord du patient, un contact entre les professionnels de chacune des institutions.
Les trois situations présentées illustrent les collaborations qui existent entre les deux institutions.
Le cas de Jorge
Jorge commence à fréquenter le service Transit en 2006. A son arrivée en Belgique en 2001, il était déjà consommateur d’héroïne. Depuis son arrivée, il consomme également de la cocaïne, du cannabis et de l’alcool et ce de manière problématique. Il a effectué deux cures et une post-cure qui lui ont permis d’être abstinent quelques mois mais il a rechuté à plusieurs reprises et est stabilisé avec un traitement de substitution depuis 2007. Il consomme encore du cannabis et de l’alcool mais de manière très occasionnelle et on peut estimer que sa consommation n’est plus problématique. Jorge a bénéficié de trois hébergements à Transit et a dernièrement été orienté au FGM en mai 2011. A ce moment-là, il était à la recherche d’une solution d’hébergement car il risquait de se retrouver à la rue. De plus, sa situation socio-administrative ne lui permettait pas de rechercher un logement ni même de pouvoir prétendre à une entrée dans une maison d’accueil puisqu’il ne bénéficiait plus de revenus. L’équipe sociale de Transit, avec l’accord de Jorge, a contacté le FGM afin de leur faire part de sa situation dans sa globalité. Cet appel a débouché sur un entretien d’accueil que Jorge a effectué au FGM pour y rentrer quelques jours plus tard.
Quatre mois plus tard, le FGM détecte des difficultés et un grand renfermement sur lui-même de la part de Jorge et ce, notamment, suite à des difficultés administratives majeures qui ne lui permettent pas de faire avancer sa situation. A ce moment, le FGM nous recontacte et nous nous mettons d’accord sur l’intérêt d’une consultation psychologique auprès du psychologue du centre Transit, ce suivi ne pouvant être assuré par le FGM qui n’a pas de psychologue dans l’équipe. Le patient est demandeur d’un suivi psychologique. Il sera accompagné pour le premier rendez-vous par l’assistant social du FGM et un entretien avec tous les acteurs permettra de mettre en évidence les difficultés rencontrées par tous dans la situation du moment. Cet entretien débouchera sur quelques consultations psychologiques au sein du centre Transit qui le réorientera finalement vers une solution plus adaptée d’un point de vue psychothérapeutique.
La situation d’Ali
Ali est orienté au FGM par le centre Transit. Il y a passé quelques jours suite à un conflit conjugal. Ali se décrit comme étant un ancien consommateur d’alcool et d’héroïne, actuellement stabilisé par un traitement de substitution. Les travailleurs sociaux de Transit le connaissent peu. Il est très discret et ne manifeste aucun problème de comportement et de consommation.
Ali souhaite intégrer le FGM afin de pouvoir occuper ses journées et de continuer ses démarches dans l’optique d’obtenir un article 60. Les deux premiers mois d’hébergement se déroulent de manière positive au sein du Foyer, à savoir qu’il remet rapidement sa situation socio-administrative en ordre, semble stabilisé au niveau de sa consommation et il est probable qu’il débute un article 60 durant le courant du mois de novembre.
En septembre, Ali renoue avec son ex-compagne qui souhaite qu’il emménage de nouveau avec elle. Ali ne sait quelle position adopter par rapport à cette proposition et se laisse un temps de réflexion. A cette époque, les assistants sociaux du FGM constatent un changement d’attitude : Ali est beaucoup plus nerveux, il est moins impliqué dans son occupation, des conflits fréquents naissent avec les autres hébergés.
Ses référents le voient à plusieurs reprises pour faire le point et l’aider à gérer cette situation. Toutefois, la situation se détériore : l’équipe constate qu’il ne prend plus sa médication de manière assidue. Il rentre régulièrement sous l’influence de produits, semble avoir consommé sur son lieu d’occupation et des hébergés se plaignent de vols, de rackets et de deals au sein de l’institution.
L’équipe le confronte à son attitude et lui renvoie que s’il ne se remet pas en question par rapport à sa consommation, il y a un risque de sanction et de fin de prise en charge. Ali maintient qu’il ne consomme pas. Vu le peu de remise en question, les assistants sociaux du FGM lui laissent une semaine pour qu’il trouve un autre lieu d’hébergement. Toutefois, ils lui proposent également, avec l’accord des travailleurs sociaux de Transit, une réorientation vers leur centre avec un retour possible au FGM par la suite, s’il se stabilise et se remet en question par rapport à sa consommation.
Ali accepte de retourner à Transit. Après une dizaine de jours, Ali reprend contact avec son référent du FGM et exprime le souhait de réintégrer le foyer. Il expliquera qu’il y a passé un séjour qui lui a permis de se remettre en question et qu’il se sent mieux suite à ce séjour. Le référent du centre Transit confirmera que le séjour s’est bien déroulé. L’équipe du FGM décide de le revoir en entretien d’accueil où les difficultés de l’hébergement précédent sont abordées. Ali exprime qu’il a pris conscience à Transit qu’il n’avait pas été « collaborant » avec l’équipe du FGM et que le fait de se voir offrir l’opportunité de revenir au sein du Foyer, lui a permis de se rendre compte que l’équipe était présente pour l’aider.
Actuellement Ali est engagé sous contrat article 60. Au niveau consommation, il lui est arrivé de « rechuter » depuis ce passage à Transit mais Ali a pu en parler à son référent du FGM et cette rechute a été travaillée avec son thérapeute.
La situation de Vincent
Vincent arrive au FGM en provenance de Transit. C’est la première fois qu’il est hébergé au sein d’une maison d’accueil. Avant son passage à Transit, il a été hospitalisé suite à une dépression ainsi qu’à plusieurs tentatives de suicide. Il se décrit comme un ancien consommateur d’héroïne (il n’a plus consommé depuis huit ans) stabilisé par un traitement de substitution. Cependant, il lui arrive fréquemment de surconsommer de l’alcool. Il souhaite aller au FGM pour être occupé durant la journée mais surtout pour, rapidement, retrouver un logement afin de récupérer la garde de ses enfants. Vincent exprime qu’il ne se sent pas prêt à rentrer dans le milieu traditionnel du travail et focalise son projet sur la recherche d’un logement. Durant les deux premiers mois de son hébergement, Vincent se caractérise par son dynamisme, son respect et son envie de finaliser son projet. Toutefois, ses recherches d’appartement n’aboutissent pas. Les raisons invoquées par les propriétaires sont généralement les suivantes : absence de contrat de travail, refus de la garantie locative du CPAS…
Afin d’aider Vincent dans l’aboutissement de son projet, ses référents lui proposent les appartements de la phase IV de Transit. Vincent semble intéressé par cette proposition et pose sa candidature. Vu que son hébergement se passe bien au sein du Foyer Georges Motte, il lui est proposé un retour possible au sein du Foyer si la phase IV ne lui convient pas. De plus, Vincent continuera une occupation bénévole au sein des magasins de seconde main afin de ne pas rester inactif.
Après avoir effectué les différents entretiens de candidature, Vincent prend possession de son appartement en phase IV.
Durant son premier mois, l’équipe du FGM prend régulièrement contact avec le responsable de la phase de Transit pour l’avertir que Vincent ne vient jamais à son occupation bénévole. Le travailleur social de Transit renvoie que Vincent est très peu collaborant (peu de retour de ses démarches pour chercher un logement après la phase IV, peu d’explication sur son absence à son activité bénévole, sur sa difficulté de gérer son budget et absence aux entretiens obligatoires avec les travailleurs sociaux de Transit). D’ailleurs, si Vincent ne s’investit pas d’avantage, il y a un risque que son contrat se termine avant les trois mois prévus initialement. Le FGM tentera de revoir Vincent. Ce dernier se présentera finalement après plusieurs rendez-vous manqués. En un mois et demi de temps, Vincent a beaucoup changé. Il est beaucoup moins dynamique, son état physique semble se dégrader mais il ne tient pas compte de nos remarques.
Après son deuxième mois passé en phase IV, les travailleurs sociaux de l’asbl Transit contactent leurs collègues du FGM pour les avertir qu’ils mettent un terme à la phase IV pour non respect de conditions de base. Vincent revient donc en hébergement au FGM. Suite à un entretien téléphonique avec le responsable de la phase IV, une rencontre entre tous les intervenants et Vincent est proposée mais l’intéressé ne souhaite pas cette rencontre.
Il faudra plusieurs entretiens avec ses référents du FGM pour comprendre qu’il n’a pas été préparé à se retrouver seul dans un appartement. Il n’avait jamais vécu seul auparavant et le fait de se retrouver seul fut extrêmement difficile pour lui. De plus, il a ressenti cette collaboration entre les deux services comme quelque chose de très contrôlant.
Les collaborations telles que nous les concevons actuellement permettent, en partie, de répondre à des besoins et rencontrent un intérêt grandissant de la part des travailleurs des deux institutions. Le fait d’apprendre à se connaître, de tenter des collaborations nouvelles présente un challenge de tous les jours qui permet de créer et de recréer sans cesse de nouvelles pistes de travail au profit de l’usager qui a sa propre place au sein même de ce dispositif. Insistons enfin sur l’importance de la connaissance mutuelle et des objectifs communs qui permettent les réajustements nécessaires pour que ce processus de collaboration dynamique puisse perdurer dans le temps et s’ajuster aux besoins de chacun.
n° 59 - janvier 2012
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...