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Libéralisation, commerce... CETA... Une mécanique en marche

9 juin 2017
France Defrenne

chargée de projet en Education permanente, Fédération des maisons médicales.

Malgré la mobilisation de nombreux Européens, parmi lesquels des travailleurs et des usagers de maisons médicales, malgré la prise de position de quelque 1 500 villes et communes qui se sont déclarées zone hors TTIP /CETA, le Parlement européen s’entête et vote le 15 février dernier le traité tant contesté entre l’Europe et le Canada : le CETA). On aurait pu penser que la gauche européenne dans son ensemble vote contre comme l’ont fait nos représentants mais ce ne fut pas le cas de tous les sociaux-démocrates puisqu’Allemands, Italiens et Espagnols ont voté pour, rejoignant ainsi la droite libérale et conservatrice.

Le CETA [1] n’est pas le seul traité du genre. D’autres accords commerciaux et d’investissements sont en négociation, notamment avec les Etats-Unis (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ou TTIP [2] - voir à ce sujet le SC 69 de décembre 2014, Europe et marchandisation des soins - Politiques et résistances) et avec la Chine (des discussions visent la promotion d’une croissance durable).

Il y a aussi les accords qui disparaissent et se réincarnent. Vous vous souvenez peut-être de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié au milieu des années 90 dans la plus grande opacité au sein de l’Organisation de Coopération et de Développement (OCDE), dans laquelle nous retrouvons notamment le Canada, les Etats-Unis et la Belgique. Il prônait une libéralisation accrue des échanges. Il fut dénoncé sur différents éléments (concurrence déloyale, impact sur les aides à l’emploi et sur l’environnement…) et abandonné pour revenir sous autre nom (TTIP,…) avec les mêmes acteurs.

Cette génération de traités est le fruit du même type de négociations, dont l’objectif commun est le libre-échange à tout prix sans aucune considération pour l’emploi, la santé… L’un des effets du libre-échange, résultat d’une politique néolibérale, est d’amener les entreprises, pour être compétitives, à comprimer au maximum leurs coûts pour ne pas se faire manger par leurs voisins, entrainant en cascade une diminution des salaires, du pouvoir d’achat, de l’accès aux soins de santé, et des normes alimentaires différentes selon les pays pour ne citer que ces exemples, avec en point de mire la croissance, toujours elle. Tous ces traités sont dénoncés avec ferveur par la société civile mais sans beaucoup d’écho jusqu’ici.

Ce que vise le CETA et ses effets possibles

Dynamiser les échanges, les importations, les exportations, en supprimant notamment les taxes douanières, et toutes les normes qui font obstacles au commerce.

En février 2016, le CNCD publiait une note politique : CETA et protection sociale. On peut y lire que ce traité « vise la coopération et la convergence réglementaire afin de faire tomber les barrières non-tarifaires au commerce. Parmi ces barrières se retrouvent les réglementations nationales et européennes en matière de protection des travailleurs, de l’environnement ou sanitaires [...] ». Le CETA vise clairement à limiter la capacité des gouvernements à créer, développer et réglementer les services dont ceux que nous appelons services publics. Le processus pour les ramener dans le domaine public en cas d’échec des libéralisations et privatisations n’est pas clair. Ce que l’on sait, c’est qu’une entreprise qui se sentirait lésée par ce type de retour en arrière pourrait en référer aux tribunaux d’arbitrage (mécanisme encore en discussion, qui accueilleraient les plaintes des entreprises qui se sentent lésées par un Etat, le dépossédant ainsi des recours nationaux) avec des chances d’obtenir gain de cause. Nous pensions traverser des crises alors que nous assistons à un changement de régime... La social-démocratie dans le cadre de l’Etat-nation a été remplacée par une nouvelle forme du capitalisme mondial, portée par des institutions internationales mobilisées pour supprimer toutes les entraves à sa dynamique. Des articles sur le CETA, il y en a eu beaucoup. Insistons cependant sur l’impact de son vote positif sur l’action des pays membres de l’UE dans toutes les matières commercialisables, secteur public compris. Le domaine de la santé ne sera pas épargné. Nous en voyons déjà les prémisses dans le secteur des maisons de repos. Mathias Neelen va dans ce sens, dans son article Privatisation, commercialisation, marchandisation… Késako ? (SC69). Pour lui, la « commercialisation des soins de santé […] augmente l’entrée sur le marché d’acteurs qui considèrent les soins de santé comme un business devant produire des bénéfices ». Pour le CNCD, l’« austérité budgétaire doublée de l’ouverture commerciale risque de mener à une réduction du financement public des soins de santé et une concurrence accrue des soins de santé privés. Le recours au marché pour combler les lacunes des services publics sous-financés s’est accentué partout en Europe, entrainant à la fois une baisse de leur qualité (restriction des dépenses en personnel, stratégies d’évitement des populations non-solvables ou éloignées) et une hausse de leur coût global […] ». Le CETA est le fait de lobbies [3] au pouvoir énorme, ce qui n’enlève rien à la responsabilité des États. Sa mise en application prendra plusieurs années mais une série de mesures reprises dans les accords commerciaux européens seront appliquées avant même que les parlements nationaux ne le valident ! Même si l’accord est contesté, tout ce qui est du ressort de l’Union européenne est applicable dès lors que le vote est favorable (tarifs douaniers entre l’Europe et le Canada qui vont sauter…).

Sur quoi s’appuyer ? Des opportunités pour résister ?

Il nous semble qu’il y a au moins trois points sur lesquels nous appuyer pour poursuivre notre travail de citoyen et espérer un éventuel changement de cap.

Tout d’abord, pour entrer pleinement en vigueur, le CETA devra être ratifié par chacun des 28 États européens, soit 38 parlements nationaux et régionaux ! Un seul Parlement national (ou régional) qui ne ratifie pas ce traité suffit pour le bloquer.

Les tribunaux d’arbitrage restent une pierre d’achoppement de nombreux protagonistes. Ces procédures sont perçues selon leurs détracteurs comme trop peu transparentes et trop favorables aux investisseurs. Pour la transparence, le CETA répond à la critique en prévoyant l’ouverture des audiences au public. Tous les procès ? Quel public ? Quentin Declève, avocat spécialisé en droit européen et en droit du commerce international (La Libre, 7 novembre 2016), est favorable à ces tribunaux et soutient que ce mécanisme de juridiction ‘neutre’ composé de représentants (d’arbitres) des deux parties éviterait l’impartialité des tribunaux nationaux qui prendraient fait et cause pour l’Etat contre l’investisseur lésé. Juge et partie en somme. C’est questionnant comme point de vue. La séparation des pouvoirs, l’indépendance des juridictions, cela ne signifie-t-il rien ? Et en admettant l’argument, pour le cas d’une multinationale, le pouvoir d’influence n’existe-t-il pas ? Des compensations financières importantes ne risquent-elles pas de mettre les Etats sur la paille ? Le CETA répond ponctuellement aux critiques en ajoutant d’autres mécanismes, ce qui ajoute de la complexité au flou ! Continuons à creuser la question comme ceux qui pensent qu’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’UE est encore possible.

La liste dite négative. Le journal Le Monde et le site allemand Correctiv [4] abordent ce détail très technique du CETA. Des listes négatives s’ajoutent aux listes positives préexistantes et qui consistent en une « série de secteurs que l’UE s’engage à libéraliser : ne pas maintenir des monopoles publics ; ne pas favoriser l’opérateur public par des subventions ou privilèges, même dans un marché ouvert à la concurrence ; ne pas discriminer les opérateurs du marché en fonction de leur nationalité ». Le principe, c’est que tout ce qui n’est pas inscrit dans la liste négative peut être mis sur le marché. Tous les secteurs sont toujours susceptibles d’être libéralisés, ouverts au marché canadien, mais notre gouvernement a la possibilité de choisir d’en protéger, d’exclure des domaines d’activités. La santé par exemple : l’Allemagne inscrit sur cette liste l’ensemble des services sociaux, sanitaires et d’éducation.

In fine, même si nous nous sentons souvent ignorés par nos représentants, continuons comme mouvement, comme travailleur, comme citoyen à soutenir les actions pour résister à cette évolution. Nous avons encore quelques cartes à jouer. Nous ne devons pas lâcher l’affaire car ce n’est pas seulement du CETA dont il s’agit ici. Il n’est qu’un élément de plus confirmant l’évolution du monde. Un monde global, globalisant, marchand, favorisant l’argent et le profit au détriment de la solidarité et de la justice sociale.

L’attitude de nos gouvernements démocratiques aujourd’hui, leur prise de distance vis-à-vis du citoyen, de ses combats, alimente un peu plus les partis d’extrême droite et renvoie certains déçus à des votes populistes, à choisir des partis qui surfent sur la vague et ne visent en définitive qu’un retour en arrière . Ce n’est pas ce que nous défendons à la Fédération des maisons médicales. Nous visons le progrès, les alternatives et la transformation. Le contexte des élections présidentielles françaises est un exemple parmi d’autres. Qu’est-ce qui se joue ? Les uns soutiennent la sortie de l’UE et le protectionnisme avec pour conséquences probables une dévaluation de la monnaie, une inflation, des effets en cascade sur le pouvoir d’achat, les conditions de vie et de logement, le travail et la santé. Mais ce retour à la Grande Nation fera aussi le lit des communautarismes et du repli identitaire. Pour les autres, c’est toujours plus de croissance, des avantages fiscaux avec les inégalités qui en découlent. Nous pensons qu’il y a une troisième voie, celle d’une prise de conscience. Continuons à nous poser des questions, à remettre en question et à bousculer nos représentants.


[1Economic and Trade Agreement. En français AECG : Accord économique et commercial global

[2Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement

[3En réseau contre Goliath, Ou comment faire tomber la lobbycratie ? 6 novembre 2014, Gaëlle Chapoix http://www.maisonmedicale.org/En-reseau-contre-Goliath.html

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