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Pour agir sur la formation de base : des séminaires interdisciplinaires


1er mars 2016, Pierre-Joël Schellens

médecin généraliste, chargé de cours, animateur du Séminaire interdisciplinaire au Pôle Santé de l’université libre de Bruxelles.

L’interdisciplinarité peut-elle s’enseigner à l’université  ? C’est le pari qu’ont fait, à l’université libre de Bruxelles, le département de médecine générale et le Pôle Santé  : à leur initiative, un séminaire portant sur la collaboration interdisciplinaire est intégré depuis 2013 au cursus de six filières des métiers de la santé. Pierre-Joël Schellens décrit ici les enjeux et l’intérêt de ce nouveau dispositif – qu’une élève infirmière en fin de baccalauréat applaudit des deux mains dans l’article suivant.

L’interdisciplinarité  : un concept Evidence Based  ?

La collaboration interdisciplinaire apparaîtra sans doute comme une évidence à nombre de lecteurs, soit qu’ils adhèrent aux valeurs qu’elle véhicule, soit parce que leur pratique est organisée comme ça là où ils travaillent [1].

Mais cette approche a-t-elle fait la preuve de son efficacité, et à ce titre, doit-elle être enseignée à l’université  ?

En médecine, la charge de la preuve est lourde. Il faut définir très précisément les concepts en jeu, établir un protocole expérimental qui n’abandonne rien au hasard, et soumettre les résultats à l’implacable rigueur de l’analyse statistique. Au final, pour valider une pratique, il faudra «  battre le placebo  », ou mieux encore, surpasser une pratique antérieure qui avait fait ses preuves. Tel est le « graal » de la recherche médicale.

Or, comparer une approche interdisciplinaire avec une autre, appelons-la «  plus verticale  », ne se prête pas à des études en double aveugle. Cela ne revient pas à mesurer des nanomoles ou des milliampères. On se trouve ici davantage dans le champ de la recherche qualitative, et on connaît l’incompréhension, le mépris parfois de la médecine académique pour la recherche non quantitative.

Mais les choses sont en train de changer.

Les recommandations de bonne pratique valident les pratiques interdisciplinaires  : ces recommandations sont des consensus d’experts établis sur base de la littérature scientifique de la plus haute qualité et du plus haut niveau de preuve possible [2]. Elles s’assimilent à de l’Evidence Based Medicine (EBM) ou «  médecine basée sur des preuves  » - autant que faire se peut dans les domaines traités.

Depuis quelques années, les recommandations de bonne pratique sur le traitement des maladies chroniques mettent en relief la supériorité des approches interdisciplinaires. Comme les maladies chroniques sont désignées par l’Organisation mondiale de la santé comme l’enjeu principal de la santé mondiale pour les années à venir, on peut prédire un bel avenir au décloisonnement des pratiques [3]. Le financement des soins de santé a d’ailleurs déjà largement intégré cette notion [4].

Cela tombe bien  : les patients d’aujourd’hui sont mieux informés et de plus en plus exigeants, ils revendiquent à bon droit une meilleure coordination entre les professionnels qui s’occupent d’eux. Ils veulent s’impliquer personnellement dans le processus de soins. Quant aux jeunes générations de soignants, elles sont sensibles à une approche « centrée sur le patient » et favorables au décloisonnement professionnel.

La collaboration interprofessionnelle est donc une approche estampillée Evidence Based Medicine, qui doit être intégrée dans la formation de base des professionnels de la santé.

On pourrait évidemment théoriser ce concept et l’enseigner en tant que tel, mais il vaut mieux le considérer comme un socle de compétences à développer chez les étudiants. Donc, il s’agit de mettre sur pied un dispositif pédagogique qui les sensibilise à cette manière de travailler et leur donne l’occasion de l’expérimenter.

Décloisonner et développer les compétences collaboratives

C’est en 2013 qu’a démarré à l’université libre de Bruxelles un séminaire de collaboration interdisciplinaire, à l’initiative du département de médecine générale et du Pôle Santé [5]. Auparavant, nous avions sollicité les conseils de nos collègues de l’université de Montréal  : ils ont une expérience de plus de dix ans dans ce domaine, et des moyens sans commune mesure avec les maigres ressources de nos facultés.

L’idée de départ est la suivante  : tous les jours sur le campus, des milliers d’étudiants s’entrecroisent. Ils seront demain des acteurs de la santé amenés à interagir. Or chacun ne connaît que peu de choses du métier des autres, de leurs compétences, de leur champ d’action, de leurs difficultés. Leurs représentations mutuelles véhiculent énormément de stéréotypes, leurs rares interactions lors des stages génèrent incompréhension et frustrations.

Il s’agissait donc de les réunir en tables rondes interdisciplinaires, de leur demander dans un premier temps de «  se raconter  » les uns aux autres. Une évaluation avant et après le séminaire, sur base d’un court questionnaire, permettait de voir si leurs représentations des autres métiers avaient évolué.

Plus tard, une deuxième séance les amenait à élaborer de manière collaborative un plan de soins sur base d’une vignette clinique assez complexe. Ils en rendaient compte sur un poster qui était ensuite exploité avec ceux des autres groupes lors d’une mise en commun.

Dans cette première phase du projet, même si l’objectif principal était de faire se rencontrer les étudiants, pour mieux se connaître et ensuite collaborer, l’accent était surtout mis sur la connaissance des métiers et sur la résolution pratique de cas.

En 2015, le dispositif s’intègre au cursus de six filières des métiers de la santé  : futurs médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes et ostéopathes, étudiants en santé publique et en soins infirmiers. Il a vocation à s’étendre progressivement à d’autres filières. Exactement 666 étudiants y ont participé.

A ce jour, aucun dispositif d’une dimension comparable n’existe dans les autres universités belges. En exposant notre expérience en France [6], nous avons découvert que plusieurs initiatives dans ce sens, très modestes, y ont vu le jour. Pour diverses raisons aucune n’a atteint l’ampleur ni rencontré le succès de notre jeune projet pédagogique.

Après trois ans, la méthode pédagogique a évolué. D’une part, des patients actifs dans les associations et souffrant de pathologies évoquées dans les vignettes cliniques se joignent aux étudiants. D’autre part, la mise en commun qui suit les séances a radicalement changé  : elle ne porte plus sur la connaissance des métiers ou sur la résolution de cas. Ainsi, à l’issue de la première séance «  découverte des métiers  », on demande aux participants de dire comment communiquer efficacement entre professionnels  : qu’est-ce qui favorise, qu’est-ce qui entrave la communication  ? Après la deuxième séance, «  planification collaborative de la prise en charge  », on leur demande d’expliquer la manière dont ils organiseraient leur collaboration.

Evaluer le dispositif

En 2015, nous avons évalué par questionnaire (411 réponses sur 666) tant la satisfaction des participants au séminaire que l’évolution de leur perception des pratiques collaboratives.

Peu d’étudiants ont émis des critiques négatives, principalement en rapport avec la charge de travail excessive qu’on leur impose en dernière année. La grande majorité a beaucoup apprécié cette occasion de découvrir les autres acteurs de la santé. Ils témoignent avoir pu trouver leur place dans un travail en commun. Ils déclarent désormais bien connaître et comprendre le rôle des autres participants, et se sentir capables de mieux collaborer dans l’avenir. Plus de la moitié estiment que ces séminaires devraient intervenir beaucoup plus tôt dans leur cursus, et que deux séances ne suffisent pas. La présence de patients-partenaires dans plusieurs groupes les a, comme c’était prévisible, fortement impactés.

Quelques verbatim extraits des commentaires libres  : «  Ce séminaire m’a permis de découvrir une communication possible et différente entre les professionnels. J’ai l’intention par la suite (une fois diplômée) de mettre cette pratique au centre des préoccupations. Ceci m’a montré un meilleur suivi du patient mais aussi une meilleure confiance entre les différents praticiens.  »

«  Nous avons pu remarquer et mettre en évidence que nous travaillons comme un puzzle. Personne n’est plus important ou moins important qu’un autre. Chacun possède des capacités propres à sa profession.  »

«  Avoir entendu les patients parler de leur maladie sans être dans une relation directe de soin était très intéressant et émouvant.  » «  Le séminaire permet une vraie prise de consciences des rôles de chaque acteur de santé, met en évidence les points de convergence et appuie les spécificités de chacun, tout en offrant la possibilité d’entamer une réelle discussion entre professionnels de santé sur une situation clinique.  »

Conclusion  : construire une culture collaborative

Cette démarche pédagogique innovante est appréciée des étudiants. En fin de cursus, ils ne sont plus demandeurs d’un enseignement frontal, mais bien qu’on les prépare de manière très pratique à leur entrée imminente dans la vie professionnelle. La rencontre avec leurs futurs collaborateurs les intéresse ; la confrontation avec les écueils mais aussi avec les richesses d’une pratique collaborative leur ouvre l’esprit.

Après seulement trois ans, il est difficile d’évaluer objectivement si ces séminaires contribueront à faire évoluer les pratiques et les mentalités. L’important est d’installer progressivement une culture collaborative et une approche centrée sur le patient.

En conclusion, la collaboration interdisciplinaire est une proposition conforme aux données de la science médicale et validée par un niveau de preuve suffisant, en phase avec les exigences sociétales et les valeurs des jeunes générations. Elle mérite une place dans la formation de base de tous les métiers de la santé.

[1Voir article de Alexandre Bischoff, paru dans Santé conjuguée n° 46 de 2008  : «  Formation interprofessionnelle  : une exigence pour une approche intégrée des soins  ».

[2Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique (HAS).

[3Rapport sur la situation mondiale des maladies non transmissibles (Organisation mondiale de la santé).

[4Voir les ‘trajets de soins’, principalement sur le diabète de type 2 et l’insuffisance rénale chronique.

[5Pôle-Santé de l’université libre de Bruxelles  : Hôpital Erasme, faculté de Médecine, faculté de Pharmacie, faculté des Sciences de la Motricité, école de santé publique. Collaboration avec la Haute Ecole libre de Bruxelles Ilya Prigogine (section Nursing).

Cet article est paru dans la revue:

n° 74 - mars 2016

Transdisciplinarité : formules

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

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