Au vu de la nature des liens familiaux, la médiation familiale occupe une place toute particulière. Comment le pouvoir, l’autorité ou encore les inégalités se manifestent-ils dans ce type de médiation ? Quelles sont les contraintes des médiateurs ? Petit tour de la question avec Aude Hachez.
La médiation familiale s’adresse à toutes les personnes prises dans un conflit familial, que ce soit la séparation d’un couple, marié ou non, les conflits avec les enfants, les beaux-enfants, les grands-parents, les frères et soeurs … En pratique, la grande majorité des personnes qui ont recours à la médiation familiale sont des couples qui se séparent ou des ex-conjoints qui doivent trouver des accords concernant leur( s ) enfant( s ).
Étant donné la spécificité des liens familiaux, la médiation familiale occupe une place bien particulière par rapport aux autres types de médiations ( civile et commerciale, sociale, pénale … ). Il semble que « sa pratique ne puisse pas se passer d’une réflexion sur la famille qui fasse intervenir aussi bien les perspectives anthropologique, sociologique que psychanalytique [1] ».
Et si le centre de planning peut être perçu comme un endroit neutre ( notamment par rapport au système judiciaire ), il ne l’est pas complètement : d’une part, le centre de planning a un lien historique évident avec le mouvement de défense du droit des femmes - la très grande majorité des personnes qui y travaillent sont des femmes - et d’autre part, il s’agit d’un lieu imprégné de valeurs sociales.
La médiation familiale peut être « judiciaire », c’est le cas quand c’est un juge qui envoie les parties en médiation. Elle peut aussi être « volontaire », lorsque la demande émane directement des parties ( ou d’une des parties ).
Les médiations « judiciaires » nécessitent un travail préalable plus important. Et ce, même si la loi prévoit que le juge doit avoir reçu l’accord des parties avant de les envoyer en médiation. Plusieurs médiés m’ont déjà fait part de leur impression de n’avoir guère eu le choix … Les personnes qui arrivent en médiation doivent alors s’approprier cet espace particulier, dont l’un des grands avantages est qu’il est censé se situer hors de toute pression extérieure.
Mais ce travail préalable est également nécessaire dans le cas des médiations volontaires. Car de nombreux envoyeurs peuvent être à l’origine de la demande : qu’ils soient professionnels ( avocat, notaire, CPAS, service d’aide à la jeunesse, service de protection judiciaire, police, psychologue, médecin, thérapeute de couple … ) ou non ( famille, amis, enfants … ). Il est important d’essayer de faire préciser par les consultants ce que ces personnes extérieures attendent concrètement de la médiation. C’est alors, comme le fait remarquer Damien d’Ursel, que « les consultants sont inévitablement amenés à réfléchir à ce qu’eux-mêmes désirent, ou ne désirent pas, pour la médiation [2] » .
Cet auteur propose l’utilisation de différents outils, très utiles, qui favorisent « l’émergence d‘un espace d’investissement réellement personnel [3] » - essentiel à la médiation. L’un d’entre eux, le génogramme, permet de donner, à l’intérieur même du local où s’exerce la médiation, une place à ces pressions extérieures qui s’exercent sur l’un ou l’autre des consultants. ». Que ce soit par le biais d’un écrit ou d’objets ( des chaises vides, des crayons, des playmobils, etc. ) représentant tous les membres des familles par exemple.
Autre outil : la technique du paradoxe. Dans ce cas, il s’agit, en tant que médiateur, de résister en lieu et place des personnes qui consultent. De se substituer à elles dans leurs revendications, encore plus fortement, afin qu’elles n’aient plus à le faire elles-mêmes. Cela amène alors ces dernières à modifier elles-mêmes la dynamique créée. Par exemple, deux parents étaient fortement contraints par le service de protection de la jeunesse à venir communiquer en médiation au sujet de leur fille mineure placée en semaine dans une institution, mais dont ils avaient la garde chacun un week-end sur deux. Le père affirmait que, pour lui, il était important de discuter avec son ex-compagne. Mais cette dernière prétendait ne voir aucun intérêt à être présente en médiation et ne venait que parce qu’elle y était forcée – elle craignait de perdre la garde de sa fille. Plusieurs fois par séance, je répétais que Madame ne voulait pas être en médiation mais y était contrainte. N’ayant plus à le préciser elle-même, se sentant reconnue dans sa « non-envie » d’être là, elle a pu se concentrer sur d’autres points conflictuels et s’est investie dans le processus.
Il est également utile pour le médiateur de clarifier le cadre de son intervention en rappelant les règles de base de la médiation : le caractère volontaire de la médiation ( afin de redonner aux consultants la liberté d’adhérer ou non au processus ), son caractère totalement confidentiel ( surtout à l’égard de l’envoyeur ), les règles de base de la communication respectueuse, le principe de la recherche commune d’un accord ( ce qui constitue un changement radical par rapport à la logique judiciaire ) ainsi que la suspension des procédures en cours de médiation [4].
Plusieurs types d’inégalités entre les consultants existent et peuvent coexister. C’est ce qu’expliquent Arnaud Lefebvre et Isabelle De Bauw [5]. Parfois, ce déséquilibre est évident, que ce soit sur le plan financier ou sur le plan du pouvoir, et il limite les possibilités quant à l’issue de la médiation.
Ces auteurs citent le cas d’un conflit entre un propriétaire et son locataire. Dans ce cas, « la médiation ne va pas permettre de rééquilibrer la situation, mais bien de voir comment, au sein de ce déséquilibre, chacun peut être respecté. Le travail de médiation peut alors consister d’abord à nommer ces différences, à rappeler, le cas échéant, le cadre légal et à rechercher dans le champ ainsi ‘nommé’, mis au clair et délimité, les options possibles. En tenant compte de ces limites, mises au grand jour et explicitées, plutôt que de rester non dites et vaguement menaçantes, la personne en position plus faible pourra alors faire entendre sa voix, proposer des solutions et choisir éventuellement celle qu’elle adopte [6] ».
Quelquefois ces inégalités ne sont pas aussi claires. Ainsi lorsqu’une mère exerce une pression sur son ( ex- )conjoint, cela peut se faire par le biais de ses enfants ; ou quand une femme réclame en médiation que son mari communique alors qu’il ne l’a jamais fait de sa vie, le dispositif même de la médiation semble alors « faire alliance » avec elle contre son mari [7].
D’où l’importance de parler et de débattre de ce qu’il se passe, du processus de communication lui-même. Il sera dans certains cas de la responsabilité du médiateur de mettre fin à la médiation. Notamment lorsque l’inégalité est trop forte, qu’il n’y a aucun espace de liberté possible pour l’une des parties. L’appel à un tiers ( juge ) est alors indispensable.
Le médiateur, garant du processus, doit aussi rester attentif à l’équilibre de l’accord auquel les parties pourraient aboutir. Cet accord doit être juste et acceptable aux yeux de chacun. En aucun cas, la médiation ne peut être un lieu où les déséquilibres et les inégalités se renforcent - voire se créent [8].
Le médiateur, de façon consciente ou non, s’impose parfois lui-même une forme de pression - que ce soit en fonction de son histoire, de son tempérament ou de son parcours professionnel. Il est tentant pour un médiateur en herbe de vouloir « réussir » une médiation, de la faire aboutir.
La contrainte peut aussi venir de l’extérieur, par exemple lorsque le nom du médiateur a été suggéré par un envoyeur précis. Le médiateur peut alors essayer de « prouver » à l’envoyeur que la médiation est un processus efficace. Des pressions implicites créées par la position de l’envoyeur dans le paysage relationnel du médiateur peuvent aussi exister.
Pour qu’un réel espace de liberté s’ouvre, il est important que le médiateur se sente lui-même libre dans le processus. Il doit s’interroger et prendre conscience des pressions et des contraintes qui pèsent sur lui ; il doit vérifier s’il dispose de suffisamment de liberté, et éventuellement mettre des balises afin d’agrandir son espace de travail.
Il est nécessaire pour chacun des consultants d’être écouté, de se sentir reconnu dans sa souffrance, d’être respecté et d’avoir une place dans les décisions qui le concernent. Les parties doivent pouvoir accéder à un espace où elles pourront faire entendre leurs besoins et essayer de choisir la solution qui leur convient le mieux. Toutefois, même lorsque la médiation n’aboutit pas à un accord, la démarche ne peut pour autant être considérée comme un échec. En effet, les échanges, même chaotiques peuvent toujours être une occasion ou une amorce de réflexion et d’évolution [10].
[1] Alain Ducoussolacaze, « La médiation familiale, le mythe de l’individu et les liens familiaux », in Médiations familiales : quels enjeux ?, Erès, 2005, p. 28.
[2] Damien D’ursel, La médiation entre tradition et modernité familiales, Presses universitaires de Louvain, 2010, p. 185.
[3] Damien D’ursel, op cit, p. 185 et p. 154.
[4] Isabelle De Bauw, Eléonore Stevens et Damien D’ursel, notes de cours : UCL, formation universitaire continue, formation spécialisée et interdisciplinaire à la médiation familiale, année académique 2012-2013.
[5] Arnaud Lefèbvre et Isabelle De Bauw, « Médiation et exclusion : deux termes antinomiques ? », in Revue Quart Monde, n°211 – Relation cherche médiation, 2009.
[6] Ibidem.
[7] Damien D’ursel, op. cit, p. 52.
[8] Arnaud Lefèbvre et Isabelle De Bauw op. cit.
[9] Isabelle De Bauw Eléonore Stevens et Damien D’ursel, op. cit
[10] Arnaud Lefèbvre et Isabelle De Bauw op. cit.
n° 68 - juillet 2014
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...