Gaëlle Chapoix - 16 décembre 2014
Au printemps dernier, se sont tenues les premières assises de l’accueil en maison médicale : une étape de plus dans un processus d’évolution et de reconnaissance de cette fonction, reconnaissance à acquérir tant dans le secteur des maisons médicales et autres secteurs cousins, comme celui des centres de planning familial, que dans la société en général. Processus auquel contribue par exemple l’IFIC (Institut de classification des fonctions pour le secteur du non-marchand) par un travail de définition de la fonction d’accueil.
Peu avant ces assises, huit groupes de discussion locaux ont rassemblé une soixantaine d’accueillant-e-s de maisons médicales, en fonction depuis quelques semaines à trente ans. Elles et ils y ont partagé leurs vécus, leurs questions, leurs visions.
Cet article met en lumière certaines caractéristiques, points forts et points sensibles de la fonction et des éléments de contexte sociétal afin de nourrir le processus de professionnalisation et de reconnaissance de cette fonction d’accueil dans une équipe de santé pluridisciplinaire.
Comme nous le rappelait Pierre Drielsma, médecin généraliste en maison médicale, lors des assises de l’accueil, cette fonction constitue la première ligne de la première ligne. En contexte de guerre, la première ligne c’est celle qui encaisse du mieux qu’elle peut le choc de l’attaque ennemie pour que la deuxième ligne puisse attaquer. Pas de guerre dans le cas qui nous occupe... mais peut-être tout de même quelque chose de l’ordre de la défense, des deux côtés de la ligne : côté patients comme côté collègues. Des accueillant-e-s ont exprimé leur impression de devoir parfois venir en soutien aux usagers par rapport à leurs collègues et aussi (pas de camp à choisir !) de préserver leurs collègues des demandes parfois pressantes des patients, voire même de faire tampon dans les tensions entre collègues ou entre patients (faire en sorte par exemple que des « ex » ne se rencontrent pas dans la salle d’attente) ! Bouclier, tampon, paravent, Bob l’éponge (qui absorbe tout)... autant de métaphores utilisées pour évoquer cette facette de l’accueil.
L’accueil est né au cœur des premières maisons médicales, lorsque les pionniers se sont rendu compte qu’il manquait une fonction, différente d’un secrétariat ; comme la maison médicale l’est d’une polyclinique. Une fonction nécessaire notamment pour assurer l’accessibilité, un des quatre critères de qualité des soins de santé primaires. Une fonction polyvalente (voir encadré) pour accomplir de multiples tâches indispensables à la réalisation des soins et autres activités de la maison médicale.
En 1981, Monique Van Dormael, sociologue au Groupe d’Étude pour une Réforme de la Médecine, écrivait ceci : « Le premier contact est la première fonction du service des soins primaires, et pour ce qui nous concerne de l’équipe du CSI [Centre de Santé Intégré], dans le cadre d’un système de soins de santé échelonné. [...] D’ailleurs le réel premier contact avec le CSI se fait généralement avec le(la) secrétaire d’accueil, contact que l’on peut décider d’encourager et de valoriser.
L’implication première de cette fonction de premier contact est donc la polyvalence. Polyvalence souvent difficile à réaliser car tout généraliste qu’il soit, le médecin verra, de par sa formation, d’abord les aspects médicaux du problème, le psychologue les aspects « psy » et le travailleur social les aspects sociaux – et le patient, sachant à qui il s’adresse, insistera lui-même sur les aspects qu’il pense être du ressort de la formation de son interlocuteur. Seul, en principe, le personnel d’accueil est d’emblée polyvalent. Le développement de sa fonction d’accueil demanderait toutefois une formation spécifique, un financement adéquat, ainsi sans doute qu’un changement de mentalités dans la population. Il pourrait ainsi guider le patient dans sa demande de service à l’intérieur du CSI. »
Elle précise bien sûr que l’environnement interdisciplinaire de l’équipe module les perceptions premières de chaque travailleur de santé et contribue également à cette polyvalence.
Nous reviendrons sur la notion de polyvalence dont l’interprétation abusive pourrait mener à une fonction de « bouche-trou ». Attardons-nous d’abord sur cette idée d’encaisser... Plaque-tournante, carrefour de relations (entre professionnels, entre patients, entre patients et professionnels), l’accueil constitue une zone-tampon où se déposent, s’exposent ou explosent les tensions des uns et des autres. Un patient s’énerve du retard du médecin (à qui bien souvent il dira bonjour calmement après avoir déversé sa mauvaise humeur à l’accueil voire sur l’accueillant-e), un soignant râle sur un patient ou sur un collègue, un conflit éclate dans la salle d’attente, le téléphone sonne sans arrêt (situation d’autant plus fréquente lorsque les consultations ouvertes sont remplacées par des rendez-vous uniquement), un collègue demande une info en passant, ou une photocopie, une patiente arrive très inquiète pour son nouveau-né fiévreux, une patiente sort du cabinet du médecin abattue par un diagnostic donc elle souhaite parler... « Il n’y a pas de répit à l’accueil ; c’est ça notre pénibilité ». La sollicitation est - presque – permanente dans cet espace intermédiaire, sur les plans physique (entre le dedans et le dehors) et temporel (entre l’arrivée et le rendez-vous, et après la consultation), lieu de passage aussi des collègues.
Plus de souffrance psychosociale
Dans plusieurs groupes de discussion, des participant-e-s aux nombreuses années de pratique ont partagé leurs constats quant aux difficultés croissantes rencontrées à l’accueil en faisant le lien avec l’évolution de la société. Le sentiment d’urgence et la logique du « tout, tout de suite » sont caractéristiques de notre société de consommation qui cultive l’individualisme et poursuit son accélération sans limite. A l’accueil, les usagers arrivent avec des demandes toujours plus pressantes (et peut-être aussi les collègues ?). C’est à l’accueillant(e) de résister et de clarifier chaque situation pour ne pas passer à côté d’une véritable urgence.
L’augmentation de la souffrance psychosociale est également très perceptible à l’accueil : plus de patients en grande précarité, de demandes sociales et psychosociales, d’états dépressifs... Les problèmes de santé mentale sont de plus en plus fréquents, en particulier dans certaines régions et dans les grandes villes. Les situations difficiles à gérer en salle d’attente se font de plus en plus nombreuses et fréquentes, les difficultés individuelles de patients également, notamment pour comprendre et se faire comprendre. Il faudra adapter la communication à chacun, en veillant par exemple pour des patients particulièrement fragilisés à donner des rendez-vous uniquement aux heures pile pour qu’ils puissent comprendre et retenir le rendez-vous. Les accueillant-e-s ont donc à s’adapter à bien des situations et bien des personnalités, tout en assurant un cadre d’accueil professionnel. Parfois à un patient dont le conjoint vient de décéder succède une jeune maman avec son nourrisson... La diversité culturelle et linguistique augmente également, avec des stratégies à développer pour faciliter la communication comme la création d’un trombinoscope à l’accueil qui permet d’identifier plus facilement de qui la personne parle.
Monique Formarier (2003) nous invite à dépasser la confusion entre accueillir et accueillir. D’une part, l’acte banal et quotidien que nous connaissons et pratiquons tou-te-s [avec plus ou moins d’aisance et d’empathie selon les contextes, les rencontres et les compétences relationnelles développées]. D’autre part, l’acte professionnel qui nous intéresse ici et prend place et sens dans un contexte organisé, avec des relations sociales réfléchies ; acte qui s’analyse, s’évalue, s’apprend, se développe dans une finalité de qualité des soins, réelle (bonnes infos) et perçue (par le patient). Selon elle, cette confusion contribuerait au manque de reconnaissance de la profession. C’est effectivement ce dont ont témoigné nombre de participant-e-s aux groupes de discussion, habitué-e-s aux commentaires parfois dénigrants des gens à l’annonce de leur profession, jugée peu exigeante, facile... Clarifier les concepts permettant de distinguer l’accueil « banal » de l’accueil « professionnel » pourrait sans doute faciliter le changement de mentalité évoqué déjà par Monique Van Dormael en 1981 (voir encadré) mais pas encore concrétisé à ce jour, dans la société en général, ni même dans toutes les équipes de maisons médicales. L’accueil serait ainsi à la fois une attitude et un acte volontaire qui ouvre le lien social.
Vers une relation de partenariat
Cette notion d’ouverture du lien social prend particulièrement sens lorsqu’elle est éclairée par la théorie de la persistance de Nicolas Fisher (Formarier, 2003) selon laquelle une personne garde en mémoire les locaux, le contexte, le lieu et la personne qui l’a accueillie. Il s’agit surtout d’une mémoire affective, qui conditionne la suite de la relation même si l’accueillant-e n’est qu’un maillon d’une chaîne. La suite des relations, y compris avec les autres professionnels de la maison médicale, serait alors affectée par les interactions passées. Or dans la philosophie des maisons médicales en particulier – mais pas exclusivement – figure la préoccupation de permettre au patient de développer son autonomie, d’être partenaire dans la relation de soin, alors que la tendance spontanée du patient serait plutôt à se placer dans une relation de dépendance vis-à-vis des soignants. Ce serait dans ce temps d’accueil, dans le cadre du projet commun de l’équipe interdisciplinaire, que se jouerait la possibilité pour l’usager de prendre cette place active dans la relation de soin. Cela impliquerait de sécuriser chaque patient en lui permettant d’acquérir des repères, d’espace, de temps, et de lui reconnaître cette position de partenaire.
Monique Formarier insiste également sur la dimension culturelle de l’accueil et l’importance de la formation à la relation interculturelle. L’accueil est en effet vécu par la personne en fonction de ses représentations, de sa grille de lecture du réel, de sa culture d’origine (l’accueil prend des formes différentes selon les cultures), de sa culture familiale... Il est indispensable que l’accueillant-e (au moins autant que tout autre intervenant) soit conscient-e de ses valeurs comme de ses présupposés pour pouvoir s’ouvrir à l’autre, aller à sa rencontre, apprendre à le connaître et créer avec elle ou lui une relation empathique et non jugeante, à l’écoute des besoins, des ressentis, des comportements.
« Nous connaissons nos patients. Vous connaissez les patients » parole de médecin à l’équipe de l’accueil.
Les témoignages sont nombreux en ce sens. De l’exemple de l’heure de rendez-vous à l’anticipation du temps nécessaire pour un rendez-vous médical (« Dans cette famille-là, on sait bien que pour un rendez-vous ils viennent toujours à trois alors on prévoit un rendez-vous plus long »).
Apparaît ainsi plus clairement la complexité et l’enjeu de ce premier temps d’accueil des patients, et de cette fonction bien spécifique. Apparaît aussi l’interaction humaine au cœur de la profession ; c’est d’ailleurs ce qui a attiré nombre d’accueillant-e-s qui ont partagé leur cheminement jusqu’à cette fonction particulière : une vocation, un désir de contact humain, dans la durée (« On voit les enfants grandir ») ; de contribuer à sécuriser les patients, de rendre service... : « c’est ce qu’on a au fond de soi ».
Monique Formarier nous dit que l’essentiel du travail c’est d’être là. Elle rappelle cependant aussi la nécessaire distance à installer. C’est ce qui distingue l’empathie de la sympathie. Dans la sympathie, on « éprouve avec », on est pris avec l’autre dans ses émotions. En empathie, on ressent « comme si » on était à la place de l’autre, tout en restant à sa propre place. L’établissement d’un cadre professionnel est indispensable, garant de la sécurité des usagers comme des accueillant-e-s. Pour ces derniers, trop s’investir et attendre une reconnaissance en retour peut être source de déception voire de souffrance, tout en faisant peser une charge inadéquate sur le patient.
« Quand il y a de l’écoute, les patients déposent beaucoup ; certains viennent chercher l’écoute à l’accueil et confient des choses qu’ils ne disent pas au médecin ; parfois ils ne viennent même que pour ça. ».
Tout le monde ne met pas ses limites au même endroit et de la même manière : certain-e-s arrêtent le patient quand il commence à se confier et renvoie vers le médecin. Pour les un-e-s, c’est parce qu’ils situent là les limites des fonctions de l’accueil ou leurs propres limites d’écoute. Ceux pour qui ce type d’écoute fait bien partie de la fonction manquent parfois de temps ou d’un espace adéquat qui garantisse la confidentialité. Dans certaines équipes, l’organisation de l’espace comme du temps est pensée pour cela (petite pièce à part, travail en doublon à l’accueil, remplacement possible par un-e collègue...).
Il paraît primordial de clarifier ces limites de l’équipe et du projet de la maison médicale, au niveau des accueillant-e-s et au niveau individuel. Le projet d’équipe à ce niveau influencera alors le profil recherché lors d’un engagement.
De l’autre côté de la ligne de front, du côté intérieur à la maison médicale, dans les relations avec les collègues, les accueillant-e-s sont généralement aussi dans une démarche d’ouverture et de compréhension des modes de fonctionnement de leurs collègues. Elles s’adaptent, dans une certaine mesure, aux besoins de chacun (« celui-là on sait qu’il a besoin qu’on lui prépare les dossiers-papiers ; celui-ci ... »). Dans une certaine mesure, car la définition d’un cadre de base est indispensable pour ne pas se perdre dans les demandes spécifiques ou des fonctionnements contradictoires.
A ce jour, les formations de base et parcours professionnels des accueillant-e-s sont extrêmement diversifiés. C’est plutôt vécu par les participant-e-s comme une source de richesse.
Illustratrice, comptable, secrétaire, coiffeuse, sophrologue, conseillère conjugale, éducatrice, assistante sociale, romaniste... « On vient de mondes différents puis on arrive là et on met ses compétences et qualités propres au service de la fonction et de la maison médicale qui n’en demande pas plus. C’est l’occasion d’exploiter ses propres ressources, en fonction de ses goûts, affinités et expériences pour remplir aussi d’autres tâches ou fonctions : santé communautaire, gestion du forfait, comptabilité... C’est ce qui fait la richesse de l’accueil en maison médicale. »
Les chemins qui mènent à l’accueil sont multiples également : du hasard d’une rencontre au désir de travailler en maison médicale par conviction politique, en passant par un stage ou du bénévolat suivi de remplacements, ou par la découverte d’une annonce en tant que patient...
Mais cette riche diversité peut devenir source de tension lorsque les statuts et barèmes sont eux aussi divers, comme c’est le cas dans le secteur, et surtout quand c’est au sein de l’équipe d’accueil elle-même. Dans de nombreuses maisons médicales, on n’exige pas de diplôme particulier pour remplir la fonction d’accueil. Dans d’autres par contre, le niveau A1 (graduat) est requis, parfois par choix, parfois en raison des contraintes imposées par un subside. Dans tous les cas, l’attribution d’un niveau d’étude spécifique à la fonction simplifie la question du barème. Enfin, cette fonction est parfois combinée avec une autre à temps partiel dans la maison médicale (gestionnaire, assistante sociale, psychologue, ...). Certaines équipes préfèrent éviter les doubles casquettes, surtout pour garder une clarté de cadre pour les patients ; pour d’autres travailleurs, l’accueil est plutôt perçu comme une opportunité de rencontrer les familles autrement, de faciliter la création du lien. Ailleurs, c’est le contraire : tout le monde doit faire un peu d’accueil, de manière structurelle ou en dépannage. En termes de reconnaissance, c’est à double tranchant : cela permet à tous de vivre les réalités de l’accueil mais ça pourrait aussi sous-entendre que cette fonction ne nécessite pas de compétences spécifiques.
Formations
Quelles que soient les formations et parcours initiaux, une formation spécifique semble fondamentale pour garantir les conditions nécessaires à l’accueil en tant qu’acte professionnel. Et ce aussi dans une perspective de reconnaissance de la fonction. La formation de base à l’accueil de la Fédération des maisons médicales constitue un premier pas en ce sens. Les formations ponctuelles à l’écoute, à la gestion de conflit, la gestion du stress, à l’interculturalité sont citées par plusieurs participants comme des ressources intéressantes pour prendre du recul et améliorer sa pratique.
Les intervisions, en équipe ou avec d’autres accueillant-e-s sont également une piste pour avancer dans la complexité de cette fonction. Les formations ou co-construction de repères en interne peuvent également être utiles, en ce qui concerne la gestion des visites à domicile ou des urgences par exemple : identifier des repères pour estimer si la demande est justifiée, pour évaluer l’urgence derrière la plainte.
La mise en place d’une formation professionnelle spécifique et l’application du barème minimum- qui, d’une part, différencie la fonction d’accueil de celle de secrétariat et, d’autre part, l’intègre dans les fonctions de soins contribueraient tant à la professionnalisation qu’ à la reconnaissance de cette fonction. Certain-e-s craignent cependant qu’on y perde la diversité et l’ouverture des postes à des personnes moins diplômées. Une formation en promotion sociale constitue certainement une piste pour résoudre ce dilemme.
Mais finalement, en quoi consiste l’accueil en maison médicale ? Quelles sont les tâches inhérentes à la fonction, et celles qui ne le sont pas ? Plusieurs documents de référence, comme l’Abécédaire de l’accueil , sont disponibles sur le site de la Fédération. Les groupes de discussion ont confirmé l’existence d’une très grande diversité de pratiques.
A l’accueil du patient proprement-dit, à l’écoute et à la clarification de la demande s’ajoutent entre autres le dispatching des informations (y compris les mauvaises nouvelles comme annoncer à un patient qu’il n’y a pas de rendez-vous possible le jour-même) et des demandes, la préparation des dossiers, la gestion des agendas des collègues, l’organisation des visites à domicile, le soutien aux collègues (pour des tâches diverses), l’aménagement et le rangement de la salle d’attente, et parfois faire le café, commander les sandwichs... voire faire le ménage...
Attention donc à la dérive du « bouche-trou ». « Il faut savoir mettre ses limites » affirmait une participante. Les limites de la fonction dépendent sur ce point des équipes. Ainsi, une participante témoigne que, dans son équipe, les copies, les appels pour les résultats d’analyses, l’encodage, les contacts avec les partenaires sont pris en charge par chacun... mais qu’elle propose son aide au médecin si elle a un moment libre et que l’inverse est possible aussi. Le plus important est certainement que les tâches et les limites soient clairement identifiées et négociées. Quelles que soient ces limites, la polyvalence est certainement une caractéristique de cette fonction. En tant que première personne de contact à la maison médicale, les accueillant-e-s sont amenés à mettre la main à plein de choses et doivent avoir une vision globale de la structure, de son fonctionnement, et de son organisation dans ses dimensions les plus concrètes.
Parfois, cette multiplicité des tâches n’est pas perçue ni reconnue par les collègues. Pendant une semaine, une équipe accueil a noté toutes les demandes et tâches accomplies, ce qui a permis une prise de conscience de l’ensemble de l’équipe. Celle-ci est importante pour faciliter la mise à plat des éventuelles difficultés rencontrées. « On ne prend pas toujours la meilleure décision mais celle qu’on peut en fonction des moyens, des contraintes, des pressions. Cela devrait être pris en compte par les collègues », alors que parfois les critiques tombent sans dialogue et contextualisation.
Ce n’est pas toujours évident pour l’accueil de faire entendre ses difficultés. « Parfois, on n’en parle qu’entre accueillant-e-s sans oser déposer les questions, problèmes, insatisfactions en réunion d’équipe ».
Un travail sur les définitions de fonction semble d’autant plus important pour l’accueil étant donné la multiplicité des tâches et des représentations de ces tâches. La mise en place de processus d’évaluation systématique des diverses fonctions pourrait sans doute aussi contribuer à créer les espaces adéquats pour une reconnaissance et une évolution en co-construction de la fonction au sein des équipes.
Monique Van Dormael utilisait le terme de « secrétaire d’accueil » devenu aujourd’hui accueillant-e. Pour ceux qui se demande encore pourquoi parler d’accueillant-e plutôt que de secrétaire, voici deux définitions. Un-e secrétaire c’est, selon Wikipédia :
- une personne qui détient des secrets, qui est dans la confidence [là ça colle !]
- un(e) employé(e) de bureau dont le travail consiste à s’occuper du courrier des communications téléphoniques, de la rédaction des comptes-rendus de réunion, de la gestion de l’emploi du temps, etc. d’une autre personne.
Et selon l’Internaute, une personne qui en assiste une autre et est chargée des tâches administratives. On est donc là bien loin du portrait de l’accueillant-e en maison médicale.
« Parfois ça bug tellement le travail est haché ! » « Après 5 ou 6 heures d’accueil, je me transforme en dragon ». « Ca m’est arrivé un jour de raccrocher directement le téléphone », une interruption de trop dans une tâche qui demandait de la concentration...
L’accueil est donc une fonction multifacettes et multiformes. Une plaque-tournante où il n’y a a priori pas de répit, où il est impossible de se mettre en retrait ou de prendre une pause dans cet espace ouvert. C’est ce qui rend fondamentale la structuration du temps et de l’espace. Les moyens sont divers et variés. Travail en binôme : deux personnes à l’accueil pour que l’une puisse prendre une pause, accorder un peu plus de temps d’écoute à un patient, clôturer une tâche administrative sans être interrompue... Fonction d’accueil à temps partiel, éventuellement combinée avec d’autres fonctions, avec entre autres le risque cependant de voir la fonction d’accueil déborder sur l’autre comme en témoignait une infirmière en santé communautaire. Nombre limité d’heures d’accueil par jour ; plusieurs personnes évoquent 5 à 6 heures d’affilée comme un maximum ; un conseil d’administration a décidé d’interdire les journées complètes d’accueil. L’organisation systématique d’une pause à midi, par remplacement successif ou par une fermeture de l’accueil et le renvoi vers un secrétariat médical. La séparation dans le temps et l’espace de l’accueil des patients proprement-dit et des tâches « moins première ligne », plus administratives, contribuerait également à assurer un meilleur équilibre pour les professionnels entre sollicitation continue et concentration pour une plus grande qualité de travail, dans les deux types de tâches.
Quand la patientèle et/ou l’équipe grandissent, le travail à l’accueil augmente sans qu’il ne soit forcément possible de renforcer l’équipe accueil. La part administrative croissante risque d’altérer la qualité de l’accueil et son objectif d’ouverture du lien social. Il peut alors être nécessaire de revoir la liste de tâches qui incombent aux accueillant-e-s (d’où l’intérêt à nouveau de processus d’évaluation). Ainsi par exemple, quand les nouvelles inscriptions sont réalisées à l’accueil, cela demande du temps et de la disponibilité. Plusieurs maisons médicales ont décidé qu’elles seraient réalisées par un autre travailleur, ou organisent désormais des séances d’information collectives qui permettent un gain de temps par une présentation du projet et du fonctionnement général commune et non plus à une personne à la fois.
La fonction accueil, la manière dont elle est pensée, décrite et organisée, dans le mouvement des maisons médicales est caractéristique de celui-ci, de son projet de santé et de société.
Cette fonction est aussi un capteur et un acteur des évolutions de notre société, de ses difficultés et de ses richesses (entre autres multiculturelles). Elle œuvre au quotidien à l’accessibilité aux soins et à la création du lien social, mis à mal et fragilisé dans la société actuelle. Son rôle et sa place de plaque-tournante nécessitent de grandes capacités d’écoute et d’adaptation, vis-à-vis des usagers comme des collègues, et soumettent les professionnel-le-s qui l’accomplissent à des tensions multiples, à des sollicitations presque incessantes, tout en les exposant particulièrement à la souffrance psychosociale croissante.
C’est pourquoi la construction de cadres externe et interne sont certainement primordiales. Externe, au niveau de la maison médicale, de l’équipe, par une définition de fonction claire, le choix de modes de fonctionnement qui n’excluent pas la souplesse et peuvent être adaptés en fonction des constats et des besoins, des évolutions de l’équipe, du projet, de la population... Interne, grâce à la formation continue, à des intervisions qui permettent, entre autres, de trouver la juste distance, et ainsi, sans doute, un équilibre entre l’être et le faire.
La fonction accueil peut contribuer, nous l’avons évoqué, à l’émancipation des usagers de la maison médicale en créant les conditions favorables au développement d’une relation de soin en partenariat qui soutient l’autonomie du patient. Depuis de nombreuses années, des accueillant-e-s travaillent activement à la définition et à la reconnaissance de cette fonction, en quelque sorte à son émancipation vis-à-vis des préjugés et représentations erronées ou limitées qui circulent à son égard dans la société, et dans certaines équipes.
Un processus à poursuivre, maintenant que les assises ont renforcé le sentiment d’appartenance et clarifié certains repères et fondements, dans une démarche de partenariat, avec les autres professionnels des maisons médicales et au dehors, et pourquoi pas aussi avec les usagers.
« S’inspirant de la lecture de Paul Ricoeur, Svandra [69] décrit la finalité du soin comme une alliance entre le soignant et le soigné où « le soignant, à travers sa sollicitude active, devient une aide, un soutien afin que l’autre retrouve une puissance d’agir ». Mais l’alliance opère aussi en sens inverse, dans la mesure où le soigné influence en retour la capacité d’agir du soignant. » (Pélican et al, 2009)