Les bases de la santé communautaire et de la promotion à la santé ont été décrites dans la charte d’Ottawa (1986) et servent de repères en matière de qualité et de développement des systèmes de santé. Ottawa est en Ontario. Coïncidence ou pas, dans cette région, les centres de santé ont été déclinés sous de multiples formes. Des initiatives développées par société civile, des professionnels de santé et des patients, sous l’impulsion du politique. Hubert Jamart nous les fait découvrir tout au long de cet article.
Il y a un peu moins de trente ans que la charte d’Ottawa a été élaborée lors d’un congrès international pour la promotion de la santé. Une répercussion mondiale s’en est suivie et elle demeure, à l’heure actuelle, une référence en matière de développement d’une approche plus globale de la santé.
Mais des centres de santé communautaire se sont établis en Ontario bien avant cet événement. On en retrouve des traces dès 1972 dans un rapport que le Dr Hastings a proposé au ministre de la Santé canadien de l’époque en vue du déploiement du système[A]. En 1993 s’ébauche la formation d’une fédération nationale de centres de santé communautaire : c’est l’émergence de la Canadian alliance for community health center associations (CACHCA). Des centres de santé apparaissent dès alors dans plusieurs endroits du pays. Le mouvement grandit, ce qui a notamment pour effet l’amélioration de la « loi canadienne de la santé » pour ce qui touche aux soins de santé de première ligne et à leurs cinq principes de base : gestion sous forme d’asbl, soins globaux, universalité, assurabilité et accessibilité. Cette « loi santé » énonce les critères que doivent remplir les différentes provinces en vue de recevoir un financement spécifique de la part de l’Etat fédéral (Canada health transfer).
Le rapport de la Commission dite « Romanow », en 2000, pour lequel l’Alliance canadienne des centres de santé communautaire a été très contributive, marque un tournant important. De là va naître en 2003 un accord entre le Premier ministre et les premiers ministres provinciaux en vue de renforcer considérablement le rôle de la première ligne de soins au Canada[B]. D’une manière générale, on peut s’apercevoir que dans l’histoire des centres de santé en Ontario, l’ensemble des couleurs politiques canadiennes, conservateurs, libéraux ou démocrates ont soutenu chacune à sa manière le développement de ces structures avant-gardistes.
On rencontre nombre de pratiques en Ontario, de la pratique dite « solo » à la pratique de groupe multidisciplinaire, en passant par le travail en groupe monodisciplinaire ou encore par le travail en réseau. Des pratiques très diverses, donc, notamment dans leurs façons de percevoir des rentrées financières.
Le paiement à la prestation (à l’acte) est encore fort présent sur le territoire. On le retrouve principalement dans les pratiques solistes, mais aussi dans le travail en groupe monodisciplinaire. L’enregistrement des patients chez un seul thérapeute y est vivement encouragé, à l’instar de ce qui est promu en Belgique avec le Dossier médical global (DMG).
L’Association des centres de santé de l’Ontario (ACSO) regroupe les organismes de soins de santé primaires gérés de manière communautaire. Chaque centre de santé communautaire (community health centre), centre autochtone d’accès aux soins de santé (aboriginal health access centre) ou équipe de santé familiale communautaire (family health network) a un conseil d’administration composé de patients, de membres de la société civile, de fournisseurs de services de santé : « La gouvernance communautaire permet d’orienter plus facilement les services de santé en fonction des besoins que les membres de la communauté identifient comme étant les plus importants pour eux », peut-on lire sur le site de l’Association1 : les priorités de ces centres se dessinent donc à partir des besoins des communautés auxquelles ils s’adressent, sur une base géographique et/ou culturelle, ainsi qu’à partir des priorités exprimées par leurs patients. Une attention particulière y est consacrée à la prévention et à la promotion de la santé. Avec, en toile de fond, une place importante accordée aux déterminants sociaux de la santé[D].
Il est difficile de tirer des conclusions claires sur les facteurs favorisants dans l’émergence des centres de santé au Canada et en Ontario en particulier. On remarque tout de même que c’est au départ d’une vision de ce que doit être un système de santé publique que le concept est né. Tommy Douglas (Premier ministre de la province du Saskatchewan entre 1944 et 1961 puis chef du Nouveau parti démocratique du Canada) est souvent considéré comme le père fondateur de l’assurance maladie universelle au Canada [ndlr : même si le programme saskatchewannais d’assurance maladie, qui sera ensuite étendu au niveau fédéral a en fait été officiellement lancé par son successeur Woodrow Lloyd en 1962]. Douglas a imaginé l’évolution d’un système de santé caractérisé par une plus grande prise en compte du bien-être des gens, conjointement à la diminution de la part réservée aux soins curatifs. Une impulsion décisive, certes. Mais il est notable de voir que cette idée a été prolongée au-delà des clivages gauche/droite classiques. Pour preuve, l’ensemble des gouvernements qui ont suivi ont poursuivi ce développement.
Un autre facteur à prendre en considération est la pénurie de médecins qui s’est installée au fur et à mesure des années au Canada. Une situation dont le corps médical est en partie responsable, puisqu’il maintient une certaine pression sur la démographie médicale. Résultat des courses, la situation de l’offre et de la demande est telle que les professionnels de santé deviennent quasi introuvables. Une autre façon d’organiser les soins est donc devenue indispensable. La féminisation de la profession (certains centres sont exclusivement composés d’infirmières praticiennes, habilitées à prescrire, diagnostiquer, demander des examens complémentaires) pousse également ces professionnels, femmes et hommes à trouver des moyens alternatifs pour assurer un équilibre entre vie professionnelle et vie de famille. Bref, l’organisation en équipe multidisciplinaire permet une nouvelle répartition du travail.
Enfin, le développement de lieux de représentation forts permet d’unifier les idées et d’appuyer avec force l’évolution d’un système de santé. Cela est d’autant plus vrai quand la santé communautaire est la cheville ouvrière des projets. On voit donc comment peut s’opérer le changement : les citoyens, en participant à la gouvernance et à la gestion de leurs centres font remonter l’information utile vers les associations de centres de santé qui vont, avec cette légitimité citoyenne pouvoir défendre des projets aussi importants qu’une « loi santé ».
Santé communautaire : trois types de structures [1]
• Les centres de santé communautaire (CSC) existent depuis plus de quarante ans. Les 73 centres de santé communautaire regroupent, sous un même toit, des services de soins de santé primaires et une vaste gamme de services de promotion de la santé et de développement communautaire. Ils se focalisent également sur les déterminants sociaux de la santé : ils créent des programmes et des services visant à atténuer les problèmes d’ordre social et environnemental qui nuisent à la santé des communautés. Modèle par excellence de soins intégrés, les centres de santé communautaire travaillent en partenariat avec les services sociaux, services de santé mentale et de lutte contre les dépendances, ainsi qu’avec d’autres organismes axés sur la communauté.
• Les 27 équipes de santé familiale communautaire (ESFC) de l’Ontario sont des organismes de soins de santé primaires sans but lucratif. Elles fournissent des soins centrés sur le patient, dispensés par des équipes interdisciplinaires. Les services qu’elles offrent incluent des soins cliniques, des services de promotion de la santé et de prévention. Les équipes soignantes sont composées de médecins, de personnel infirmier, de diététiciens, d’agents de promotion de la santé et de conseillers. Les équipes de santé familiale communautaire ne doivent pas être confondues avec les équipes de santé familiale (ESF), plus nombreuses dans la province, dirigées par des médecins. Ce qui les différencie : les équipes de santé familiale communautaire sont gérées par des membres de la communauté. Les équipes de santé familiale communautaire concentrent leurs ressources sur les besoins des membres des communautés qui font face à des obstacles aux soins, ou dont les conditions de vie les rendent vulnérables à des problèmes de santé. L’autre différence importante entre équipes de santé familiale communautaire et équipes de santé familiale est que les médecins des équipes de santé familiale communautaire reçoivent un salaire, alors que ceux des équipes de santé familiale sont rémunérés selon le mode de paiement par capitation.
• Les centres autochtones d’accès aux soins de santé (CAASS) sont des organismes de soins de santé primaires autochtones dirigés par la communauté. Ils fournissent des soins traditionnels, des soins primaires, des programmes culturels, des programmes de promotion de la santé et des services de soutien sur le plan social aux communautés des Premières nations ainsi qu’aux communautés métisses et inuites, et mettent en place des initiatives de développement communautaire à leur intention. L’Ontario compte actuellement dix centres autochtones d’accès aux soins de santé, qui offrent des services dans des réserves et à l’extérieur de celles-ci, dans des milieux urbains et ruraux et dans le nord de l’Ontario.
Références
[A] Hastings Report 1972 – Report of the Community Health Centre Project to the Conference of Health Ministers
[B] http://www.hc-sc.gc.ca/hcs-sss/deliveryprestation/ fptcollab/2003accord/nr-cp-fra.php
[C] http://www.healthforceontario.ca/en/ Home/Physicians/Training_%7C_Practising_ Outside_Ontario/Physician_Roles/Family_ Practice_Models [D] http://www.ontariochc.org/index. php ?ci_id=2341&la_id=2
[1] http://www.aohc.org et http://www.ontariochc.org
n° 66 - octobre 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...