Premier secrétaire général de la Fédération, il s’y est impliqué durant une trentaine d’années tout en pratiquant la médecine générale dès la naissance des maisons médicales. Comment définir ces centres de santé d’un genre nouveau ?
C’est un peu l’alliance d’une préoccupation pour une médecine humaine et d’une dimension politique. Ils se fondent sur les travaux du GERM, le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine qui est né en 1964 et propose l’idée du centre de santé intégré qui à la fois intègre soins, prévention et revalidation. C’est la notion d’« intégrer » et de « santé », donc pas seulement se préoccuper du soin. Et pour s’occuper de la santé des gens, il faut avoir une équipe pluridisciplinaire et pas qu’un médecin isolé. Et puis il y avait ce qui sortait en gros des auditoires de 68 sur la question du pouvoir : plus de mandarins, de chefs de service et de patrons de faculté ! Quelque chose de collectif à mettre en place et derrière cela une réflexion sur le travail collectif. En gros : c’est la société qui est malade.
Les rapports avec l’Ordre des médecins sont très compliqués. D’une part parce que l’Ordre des médecins était très clairement dans les mains du monde spécialisé, tout comme le syndicat principal d’ailleurs, et donc à défendre ce modèle-là. D’autre part, ça a toujours été un milieu très libéral où tout ce qui était forme de collectivisation, santé publique et médecine sociale était mis dans un même paquet et présenté comme une manière de dévaloriser le brillant statut du médecin qui devait être indépendant, autonome, et avoir — maintenir dans tous les cas — un certain pouvoir. L’Ordre des médecins a toujours été critique vis-à-vis du phénomène pluridisciplinaire, parce que c’était une façon de partager le savoir et de partager la pratique avec des gens qui étaient « d’un autre niveau » et qui habituellement dans le modèle hospitalier étaient plutôt inféodés au pouvoir du médecin. Au fur et à mesure que la dureté du commentaire de l’Ordre des médecins a gonflé s’est créé un mouvement qu’on a appelé ultérieurement l’Appel des 300 : 300 médecins qui ont décidé de ne plus payer leur cotisation à l’Ordre en réaction à cette position agressive vis-à-vis de leurs pratiques.
Appel des 300 Après la grève des médecins de 1979, des médecins non grévistes considèrent que l’Ordre des médecins s’est compromis en soutenant l’ABSyM et le docteur Wynen dans leur mouvement. Certains d’entre eux se regroupent pour signer l’Appel des 300 (mars 1980) par lequel ils refusent désormais de reconnaitre l’autorité morale de l’Ordre, appellent à sa réforme et refusent en attendant de cotiser. Plusieurs procès s’en suivront pour obliger les récalcitrants à s’acquitter de leur cotisation, généralement gagnés par l’Ordre. Plusieurs fondateurs de maisons médicales ont signé l’Appel des 300. Certains médecins sont restés en dissidence jusqu’à l’été 2019, date à laquelle la hache de guerre a été enterrée.
Procès, suspensions de praticiens, grèves de la faim… Les tensions durent une dizaine d’années, jusqu’à l’hiver 1979-1980 et la deuxième grève des médecins déclarée par le syndicat Wynen et ses affiliés, principalement d’obédience libérale. Une grève que cassent les équipes des maisons médicales afin d’assurer la continuité des soins à la population. La grève des médecins a cristallisé les maisons médicales et, autour des maisons médicales, une série de professionnels qui n’ont pas accepté l’attitude et la stratégie syndicale. Ça a été pour nous l’occasion de verrouiller d’une certaine manière le lien qui était en train de se créer, c’était l’occasion de recruter un certain nombre de médecins preneurs de rentrer dans cette antigrève. Ça a commencé à ouvrir les portes, que ce soit avec les syndicats ou avec des mutuelles, entrer progressivement en contact avec des gens qui sont dans le rapport de force utile, notamment au niveau de l’Inami, des pouvoirs publics communautaires et régionaux. C’est une période où une série de structures se mettent en place : maisons médicales, centres de santé mentale, centres de planning familial, boutiques de droit, conseil juridique social. Il y a un mouvement de fond, de travail sur une alternative de l’offre en matière de travail social, une espèce de mouvement nécessaire pour se faire reconnaitre et pour continuer à partager et à construire une identité encore très fugace.
En 1981, la Fédération des maisons médicales est née. Où se situe-t-elle par rapport à ses membres ? Je ne pense pas qu’elle soit au-dessus dans le sens où elle impose sa vision, je pense qu’elle est à la fois entre ses membres et en même temps la part convergente, visible de ses membres. Les modes d’organisation de la Fédération sont tels qu’ils sont largement collectifs. Le secrétariat général n’a été reconnu comme nécessaire à temps plein que deux ou trois ans avant que je ne parte, c’est-à-dire qu’il a fallu vingt ans pour que la structure, l’assemblée générale — donc les maisons médicales — accepte d’investir dans une fonction de coordination importante. Tout le reste du temps et encore maintenant d’ailleurs, c’est un bureau politique, un bureau stratégique, donc ça représente essentiellement des gens des maisons médicales qui délèguent des travailleurs pour venir co-organiser ensemble la Fédération.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...