De par leur approche globale et intégrée. Les maisons médicales semblent a priori bien équipées pour accompagner le vieillissement. Qu’en est-il en pratique ? Madeleine Litt a rencontré des travailleurs de quatre équipes implantées depuis 20 ou 30 ans, dont la patientèle comporte 10 à 15% de personnes âgées : petite plongée dans la pratique quotidienne.
La confiance est fondamentale dans toute relation thérapeutique : de nombreuses études montrent que les patients mettent cet aspect au tout premier plan lorsqu’ils donnent un avis sur leurs soignants. Ces derniers ont aussi besoin de faire confiance au patient, puisqu’au-delà de l’examen clinique, ce qu’il dit de son problème va participer aux choix du traitement, à son adaptation.
La confiance réciproque fait donc intrinsèquement partie de la qualité des soins ; elle prend une couleur particulière avec des personnes âgées parfois réticentes à accepter, à dire leurs fragilités, comme l’évoquent bien Michel Roland et Thierry Pepersack dans ce dossier. Certaines personnes fragilisées par l’âge ont aussi plus de difficultés qu’auparavant face au changement, à la nouveauté ; se sentir en confiance est alors fondamental, et cela se joue dès le premier temps de l’accueil.
Le travail interdisciplinaire tel qu’il est organisé en maison médicale, dans un même lieu, permet une proximité avec les soignants propice au tissage de liens dans la continuité ; la personne croise son médecin ou son kinésithérapeute en dehors des rendez-vous, elle est plus rassurée si le médecin lui dit « Ma collègue infirmière va passer » que s’il lui propose un service de soins à domicile externe dont lui-même ne connaît pas les intervenants. Les soignants eux-mêmes se croisent dans les couloirs, se voient à l’accueil, au secrétariat, autour d’un café… l’un interpelle l’autre, la communication est fluide – en même temps, la communication formalisée, toujours nécessaire, s’organise plus facilement. Tout cela permet d’accompagner la personne vers un projet de vie qui est le sien et qui tient compte de ses réalités [1].
Pour Marie-Pascale Minnet, « Il y a aussi la fréquence des contacts. On a le temps de voir vieillir une personne, on va la voir cheminer dans son vieillissement ; grâce à cette longue histoire, on va pouvoir proposer des changements, des adaptations, sans que cela ne semble une incursion, sans que ce soit un ‘plan de soins’… Notre longue pratique, le fait que certains travailleurs ont habité le quartier participent à cet ancrage ».
La consultation à domicile est un moment particulier ; pour Zoé Wouters et Séverine Declercq, « la consultation à domicile chez une personne âgée consiste parfois simplement à passer chez elle, à prendre une tasse de café, à jouer aux cartes. Ce temps privilégié, en dehors du curatif ou d’une activité particulière, concourt à sortir une personne de son isolement : elle est écoutée, et elle partage autrement ce qu’elle vit. Cela participe à la perception d’un meilleur état de santé, à une augmentation de sa confiance en elle et elle est moins tentée de prendre rendez-vous chez le médecin pour parler de son vécu ».
Chacune de ces rencontres, dans leur temporalité et leur contexte particulier, permet de capter des informations différentes et potentiellement complémentaires - d’un léger malaise ressenti par un travailleur sans qu’il en identifie précisément la cause, à l’observation de petits indices significatifs (rendez-vous manqués, retards plus fréquents, difficultés à se déplacer, repli sur soi, désordre croissant au domicile, confusion lors de la prise de rendez-vous...).
Les échanges informels doivent bien sûr être complétés par d’autres dispositifs. Le dossier de santé commun constitue à cet égard un outil essentiel : permettant d’enregistrer les évaluations et diagnostics posés par les différents soignants ainsi que leurs questions et les signes qu’ils observent, il fournit une base à la communication. S’y ajoutent bien sûr les discussions cliniques, occasions de confronter les points de vue entre les intervenants directement concernés par le patient et les collègues qui ne le sont pas.
A Barvaux, l’équipe a mis en place un outil de prévention global pour répondre aux besoins spécifiques d’une population croissante de personnes âgées de plus de 65 ans. Il s’agit d’une grille d’évaluation inspirée de « la grille Sega » utilisée en gériatrie et visant à dépister les patients âgés les plus fragiles [2], [3] selon 10 items principaux : âge, humeur, nombre de médicaments, nombre de maladies, perception de la santé, chutes endéans les six mois, poids, autonomie, mémoire/orientation, précarité sociale. Impliquant toute l’équipe - et idéalement le patient ! – cet outil permet de prévenir la fragilisation en invitant les soignants à porter une attention particulière à l’exercice physique, la nutrition, l’anticipation d’événements stressant, l’équilibrage global de la médication...
A Esseghem, une concertation sociale a été mise sur pied par l’ergothérapeute, l’assistante sociale et la psychologue pour aborder les problèmes de manière globale : « Dans les consultations médicales aujourd’hui, les patients viennent pour de petits problèmes médicaux mais surtout chargés de valises », dit Zoe Wouters ; il nous a semblé très utile d’organiser la concertation entre les différents acteurs qui interviennent. Participent à ces concertations les soignants et intervenants référents, la famille, les aidants proches et le patient – qui occupe une place centrale. Le but est de réfléchir à des solutions répondant aux besoins de chacun4. « On connaît un peu nos collègues... on essaie de voir s’il y a de l’émotionnel dans la relation avec le patient... on travaille à partir d’outils, d’objets parfois improbables - par exemple une caisse de cailloux : le plus gros caillou représente le plus gros problème ». Si l’équipe ne se sent pas outillée pour animer un tel dispositif, elle peut faire appel (par exemple au service intégré de soins à domicile - SISD) ; un remboursement de l’INAMI est possible à certaines conditions. Une telle démarche permet aux soignants d’amener des situations sociales complexes et aux intervenants psychosociaux d’essayer de décharger les soignants, d’écouter et de proposer des pistes de réflexions.
L’ergothérapeute et l’assistante sociale de la maison médicale d’Esseghem rencontrent aussi les intervenants extérieurs, les patients et les proches pour préparer le retour à domicile après une hospitalisation, ce que font aussi d’autres maisons médicales. Jean Laperche insiste également sur l’importance des collaborations avec les aides familiales, qui mènent un travail de grande qualité ; l’équipe de Calendula s’est quant à elle tournée vers Dyonisos, unité mobile active à Bruxelles qui propose un soutien au réseau de soins des personnes âgées et fragiles de plus de 60 ans.
La crise reste (trop) souvent l’élément déclencheur d’un placement : « Je trouve qu’on réagit trop dans l’urgence, on parle des choses qu’on devrait faire le jour où ça arrivera, du fait de mettre des choses en place mais on ne concrétise pas... », dit Eva Houyel. « Nous utilisons des échelles propres à nous, qui ciblent nos objectifs kinésithérapeutiques : perte d’autonomie, perte d’équilibre »… Mais ce n’est pas tout de détecter les signes, encore faut-il les décoder, leur donner du sens collectivement ; ici encore, la communication entre les différents acteurs permet de varier les regards et de détecter d’autant mieux les évolutions et les signes de fragilisation.
Séverine Declercq définit ainsi sa fonction d’ergothérapeute : « L’objectif de l’ergothérapie est de maintenir, de restaurer et de permettre les activités humaines de manière sécurisée, autonome et efficace, et ainsi, de prévenir, réduire ou supprimer les situations de handicap pour les personnes en tenant compte de leurs habitudes de vie et de leur environnement. » [4]. Ainsi clairement énoncée, cette fonction permet de maintenir à domicile, le plus longtemps possible, les personnes qui le souhaitent ; cela demande un travail personnalisé avec la personne concernée, pour aménager le lieu de vie, prévenir les chutes. Cet accompagnement permet au patient fragilisé de sentir ses forces et ses faiblesses, de renforcer son autonomie ; il initie un cercle vertueux car il consolide la confiance en soi et celle de l’entourage – dont l’inquiétude accentue souvent la fragilisation du patient en perte d’autonomie.
Michèle Parmentier évoque la situation d’une femme âgée et seule qui a pu continuer à vivre chez elle, grâce à des aménagements et à la présence du voisinage : « On a mis le lit médical, la chaise percée, son bip bip…on a obtenu ce qu’on voulait parce qu’on était très au clair avec ce qu’elle voulait ». Les soignants impliqués autour de cette personne connaissaient bien son histoire, ses besoins spécifiques ; ils ont pu adapter leur prise en charge aux réalités qu’elle vivait.
A Esseghem, l’ergothérapeute et l’assistante sociale proposent aux patients qui envisagent l’entrée en maison de repos de visiter avec eux plusieurs établissements. Il s’agit d’un véritable accompagnement : les intervenants prennent le temps d’aller chercher le patient, de le conduire, d’observer visiter les établissements. Ils sont à l’écoute et l’aident à prendre la meilleure décision pour lui, selon ses besoins et ses moyens.
Il faut écouter les familles, qui ont souvent des limites quant à la prise en charge des vieux parents. En parler autour d’une table avec l’équipe de soins et un ou deux intervenants psychosociaux permet de rassurer les proches, comme en témoigne Zoé Wouters : « On leur laisse la possibilité de dire qu’ils en ont marre « je ne supporte plus, j’aime mon père, j’aime ma mère mais je ne supporte plus cette maladie, je ne supporte plus de devoir le nettoyer.. ». On prépare aussi l’équipe au fait que même si le fils est infirmier, il a le droit de ne pas vouloir soigner son père ou sa mère… On déculpabilise la famille aussi en reconnaissant ses limites ».
Les anciennes maisons médicales ont tissé une longue histoire avec leur quartier et leurs patients et ont tissé des liens solides, des partenariats durables avec le réseau local. Plusieurs des équipes rencontrées ont mis en place des activités centrées sur les personnes âgées, qui se déroulent dans leurs locaux ou chez des partenaires associatifs. Motiver des personnes âgées à bouger, à se rassembler, ce n’est pas toujours évident... pas plus que pour les patients plus jeunes ! Cela demande souvent une démarche proactive de la part de certains membres de l’équipe, qui vont chercher les personnes qui ont du mal à se déplacer. Stefania Marsella témoigne de la difficulté à faire sortir les patients âgés de chez eux, « à s’ouvrir aux nombreuses activités proposées par la commune [...] Ils semblent murés dans un isolement qui semble insurmontable, ce qui provoque chez eux des manifestations somatiques et une inquiétude que nous partageons massivement en équipe. »
Trois activités spécifiques aux personnes âgées ont été mises en place à la maison médicale d’Esseghem : deux cours de gymnastique et un atelier, appelé le ‘pôt-âgé’. Animé par l’ergothérapeute, cet atelier du ‘pôt-âgé’ se déroule dans la maison de quartier située en face de la maison médicale. Il offre un espace de rencontres, de partage, parfois d’activités ou de sorties en fonction des demandes des participants. L’accompagnement permet à certains personnes en perte d’autonomie, touchées par l’isolement, la peur de l’autre ou qui ont des problèmes d’hygiène, de dépasser certains obstacles. Certaines équipes accueillent des activités organisées par d’autres associations, par exemple Gymsana, asbl qui a développé des programmes d’activités physiques adaptés dispensés en cours collectifs.
Au Maelbeek, un réseau d’entraide composé d’une dizaine de personnes âgées se réunit une fois par mois. Les participants se sont récemment investis dans la préparation de la fête de quartier. Ils participent également à des ateliers de cuisine et à des ateliers créatifs intergénérationnels. L’équipe travaille en partenariat avec la maison de quartier ‘le Chambéry’ qui propose entre autre des repas aux seniors, ce qui permet de briser l’isolement, de garder ou de reconstruire des liens sociaux. Comme le dit très justement Chantal Hoornaert : « On peut proposer des choses qui sont sexy pour les gens, quelque chose où il y a du plaisir et pas seulement des médicaments. Même se laver, ce n’est pas toujours gai pour certains, mais se laver pour aller au resto, ça a du sens… ».
Motiver des personnes âgées à bouger, à se rassembler, ce n’est pas toujours évident... pas plus que pour les patients plus jeunes ! Cela demande souvent une démarche proactive de la part de certains membres de l’équipe, qui vont chercher les personnes qui ont du mal à se déplacer. Stefania Marsella témoigne de la difficulté à faire sortir les patients âgés de chez eux, « à s’ouvrir aux nombreuses activités proposées par la commune [...] Ils semblent murés dans un isolement qui semble insurmontable, ce qui provoque chez eux des manifestations somatiques et une inquiétude que nous partageons massivement en équipe. »
« Ouder worden-vieillir ensemble dans son quartier ». Cherchant à imaginer un dispositif communautaire pour lutter contre le sentiment d’isolement dans un contexte de moyens limités, l’équipe de Calendula a proposé à plusieurs personnes âgées de participer à des séances d’information sur le thème du vieillissement. Cette démarche s’inscrivait dans le cadre d’un projet porté par le centre de services néerlandophone De Zeyp - situé à un jet de pierre de la maison médicale ; il a été réalisé en collaboration avec le Foyer, service d’intégration et de médiation situé à Molenbeek. « Nous contactons les patients que nous estimons susceptibles d’y trouver un bénéfice » dit Stefania Marsella « et que nous comptons accompagner afin que la démarche ne se fasse pas individuellement. En effet, il nous semble qu’une impulsion est nécessaire, sous forme d’un véritable accompagnement en groupe, à partir de la maison médicale. »
Est-il pertinent de créer des activités spécifiques pour le public âgé, dont la définition est toute relative et subjective comme le rappelle Alain Cherbonnier [5]. Ne serait-il pas préférable de développer des projets intergénérationnels ? Certaines résistances peuvent surgir chez les personnes âgées, observe Séverine Declercq : si elles se sentent « forcées » de rencontrer des plus jeunes, elles ne se montrent pas toujours très volontaires. Par contre, s’il s’agit d’un projet concret, l’intergénérationnel fait sens et elles s’y investissent.
Dans certaines maisons médicales telles que celles que nous avons rencontrées, la proportion de personnes âgées est relativement importante et demande une prise en charge particulière et adaptée. L’organisation pratique de cette prise en charge - notamment la répartition des rôles et tâches entre intervenants - dépend des fonctions présentes, du mode de fonctionnement et de la sensibilité des équipe ainsi que des ressources disponibles dans le réseau et de la qualité des collaborations tissées avec celui-ci.
La diversité des outils de prévention, des dispositifs de réflexion et de concertation mis en place facilite l’accompagnement du processus de vieillissement, ainsi qu’une prise en charge adéquate des personnes âgées fragilisées. Cela permet de soutenir leurs compétences résiduelles, voire de les développer à nouveau. Il est très important d’ouvrir le dialogue bien avant que les problèmes ne surgissent, tant pour prévenir les (ré)actions en situation de crise que pour s’assurer que le patient et son projet restent au centre de l’accompagnement. Le travail en interdisciplinarité et en réseau permet de multiplier les points de vue sur une situation pour mieux en saisir la complexité et diversifier les manières d’appréhender le vieillissement en tant que processus nécessitant la mise en place d’actions concrètes et cohérentes.
Personnes rencontrées :
Marie-Pascale Minnet, infirmière, Eva Houyel, kinésithérapeute, Michèle Parmentier, assistante sociale, Chantal Hoornaert, médecin, maison médicale du Maelbeek.
Zoé Wouters assistante sociale et Séverine Declercq ergothérapeute, maison médicale d’Esseghem.
Jean Laperche, médecin, maison médicale de Barvaux.
Stefania Marsella, assistante sociale, maison médicale Calendula.
[1] Le fait d’avoir accès à différents soignants dans un même lieu est bien sûr aussi intéressant pour les personnes âgées en terme de mobilité.
[3] 3. Un autre type de concertation, la Clinique de concertation a été décrit dans l’article « le mulet » dans Santé conjuguée n°70.
[4] Voir l’article « L’ergothérapie, un métier aux facettes multiples », Séverine Declercq, Santé conjuguée 55, janvier 2011, page 76.
[5] Voir l’article Senior Blues d’Alain Cherbonnier dans ce dossier.
n° 72 - septembre 2015
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...