Le rapport 2005 sur l’usage de drogues en Communauté française est une mine de précieux renseignements. Il développe en particulier une problématique passée à tort au second plan des préoccupations depuis l’explosion des drogues dures et du cannabis mais qui fait actuellement un retour en force, notamment chez les jeunes : l’alcool.
Eurotox, observatoire socio-epidémiologique alcool-drogues en Communauté française, vient de publier son troisième Rapport sur l’usage de drogues en Communauté française. Les deux premiers de ces rapports couvraient les périodes 1999-2000 et 2001-2003. Cette fois, c’est la situation des années 2004-2005 qui est brossée.
Ce recueil de données contextuelles et sociologiques, mais aussi épidémiologiques, n’est pas à lire de bout en bout, mais à aborder comme un outil auquel on peut revenir pour chercher une information précise. Sont abordés, entre autres choses : les compétences des différents niveaux politiques en matières d’assuétudes ; les stratégies des différentes instances politiques ; le financement public du secteur toxicomanies – en ce compris les « plans drogues » et les « volets drogues » des contrats de sécurité et de prévention ; les développements légaux et leur analyse - y compris en matière de détention de cannabis ; l’évolution de la prévention du dopage ; la place de la réduction des risques dans les politiques de santé en matière de drogues ; les chiffres de la consommation de drogues dans la population générale, chez les jeunes ou dans des groupes spécifiques - milieu festif, prostituées, usagers rencontrés en rue, usagers en prison - ; l’indicateur de demande de traitement ; la mortalité et la morbidité en lien avec les drogues ; des informations relatives aux confrontations à la justice, au prix des drogues en Belgique ou encore aux saisies effectuées par les forces de l’ordre…
On y parle également d’autres missions d’Eurotox, telles que répertorier les tendances émergentes en matière de consommation de drogues, la participation au système d’alerte précoce/Early Warning System ou l’alimentation d’une base de données européennes de projets de prévention. Enfin on développe un thème particulier (premier thème : l’alcool), abordé en un chapitre spécial selon tous les aspects développés par ailleurs dans le rapport (cadre légal et organisationnel, données épidémiologiques, etc.).
Ce coup de projecteur sur un sujet particulier dresse un constat inquiétant : l’alcool est un produit si familier que son usage et, dans une mesure très large, son mésusage semblent occuper une place dans notre société, voire remplir une fonction, dont seuls certains acteurs du champ socio-sanitaire semblent réellement s’émouvoir. Une fois gratté le vernis du discours officiel, on ne peut que s’étonner devant le nombre étonnant de vides, de manques, de désintérêts.
La première chose à relever, et non des moindres, est un vide juridique certain. Après avoir glané des renseignements sur la délivrance d’alcool aux mineurs, surtout dans la loi sur la patente des débits de boissons et la loi de répression de l’ivresse, en l’absence de loi spécifiquement consacrée à ce sujet, il apparaît que rien n’interdit clairement de délivrer de l’alcool aux mineurs dans les commerces, magasins, night-shops ou autres. Par ailleurs, entre 16 ans et 18 ans, ils ne sont mêmes pas interdits de « boissons enivrantes » (vins et bières en tout cas) dans les débits de boissons. Ce n’est évidemment pas dans ces établissements que l’initiation à la boisson peut se faire dans les mêmes conditions qu’au cours d’un « apprentissage » familial.
Les plans quinquennaux de promotion de la santé du Gouvernement de la Communauté française peinent à enfoncer le clou, c’est-à-dire à faire valoir l’importance de prendre en compte avec la même attention les drogues licites et illicites (expression aujourd’hui consacrée suite aux plans 1998-2003 et 2004-2008).
Il faut signaler aussi le peu de sollicitation dont fait l’objet le Gouvernement de la Communauté française pour des projets de prévention exclusivement dédiés à l’alcool, comme si cette substance ne jouissait pas de la même « popularité » que les drogues illicites auprès du secteur de la prévention des assuétudes. Peut-on parler de « tolérance » à l’égard de ce produit ? Oui, selon la Coordination toxicomanies Bruxelles, qui pointe la tolérance parfois injustifiée de l’appareil répressif (policiers) envers l’abus d’alcool consommé en rue, en regard de l’appréhension des drogues illicites.
On assiste à une conquête agressive du marché des « jeunes », mal protégés comme on l’a vu, via des produits présentés comme des limonades : les « alcopops ». Ceci a amené la chambre des représentants à déposer une résolution pour réclamer la rédaction d’une loi qui réglemente strictement la publicité pour les boissons alcoolisées, rendre obligatoire la mention claire sur les alcopops du fait qu’ils contiennent de l’alcool, imposer le respect et le contrôle de la législation existante visant les mineurs, interdire de présenter des boissons alcoolisées ailleurs que dans le « rayon alcools » des magasins et enfin instituer une campagne médiatique de prévention de la consommation d’alcool, adressée aux jeunes.
On s’étonnera de ce que ces inquiétudes n’aient, semble-t-il, débouché que sur un appel surréaliste à l’autodiscipline des alcooliers et des publicistes. En effet, le ministre a fait signer le 12 mai 2005 une convention qui se veut contraignante aux acteurs des secteurs concernés, soit : les producteurs (bières, vins et spiritueux) ; la distribution ; le secteur Horeca (fédérations des hôtels, restaurants et cafés) ; les professionnels de la restauration ; les associations de consommateurs (Test-Achats et CRIOC) et le Jury d’éthique publicitaire (JEP). Cette convention enjoint les publicistes à ne pas diffuser de messages ciblant spécifiquement les mineurs (mais où est la limite du message adressé aux mineurs ?) ; à ne pas associer la consommation d’alcool à la réussite sexuelle ou sociale ; à accompagner tout spot publicitaire de la mention « Notre savoir-faire se déguste avec sagesse » et à ne pas diffuser ces messages dans des media ou à des heures d’écoute consacrées aux mineurs. La distribution est également réglementée : la vente de boissons alcoolisées dans les écoles ou leur voisinage est interdite, tout comme la non-séparation des « alcopops » et des limonades dans les commerces.
Hélas, en l’attente d’une loi (promise mais non rédigée) qui rendrait effective ces contraintes, ces mesures font largement appel à l’autodiscipline d’acteurs dont la vente est la raison d’être. Elles restent donc globalement lettre morte. Ceci d’autant plus que les réactions de la société civile (via les plaintes déposées devant le Jury d’éthique publicitaire en l’attente d’une loi), sont non seulement rarissimes mais systématiquement déboutées. Encore ne concernent-elles pas les aspects que couvre la convention.
Enfin, on ne peut taire l’absence d’initiatives en termes d’un rééquilibrage de ces messages publicitaires via des campagnes de promotion de la santé. En effet, les organismes de radiodiffusion (radio, télévision) doivent légalement mettre à disposition de la Communauté française des espaces de diffusion gratuits, équivalents à ceux consacrés aux publicités pour de l’alcool ou pour des médicaments. Ce rééquilibrage ne se fait pas, faute d’initiatives dans ce sens.
Faut-il rappeler les 4000 morts (sur 100.000 annuels en Belgique) à attribuer aux conséquences de la consommation d’alcool, qui continuent à émailler les statistiques ?
Des actions sont pourtant possibles dans ce domaine. Elles sont largement exposées dans le rapport, renvoyant aux plans quinquennaux de promotion de la santé en Communauté française, au rapport d’experts préalable à un plan concerté de prévention, d’aide et de soins en matières d’assuétudes ou encore au « plan alcool » de la cellule politique Santé Drogues.
Pour obtenir le Rapport de l’asbl Eurotox, Observatoire Alcool-Drogues en Communauté française : L’usage de drogues en Communauté française. Rapport Communauté française 2004-2005, contactez eurotox ou www.eurotox.org (peut-être encore en construction, mais rapport téléchargeable) ou encore téléphonez au 02/644.22.00.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...