La complexité du travail social ne peut s’accommoder de la déconnection des formateurs par rapport à la pratique. C’est pourquoi la co-construction des savoirs entre formateurs et gens de terrain en formation continue est garante d’une optimalisation des compétences.
L’institut Cardijn est une école sociale qui forme des assistants sociaux dans le cadre de la formation initiale. En son sein s’est développée une activité de formation permanente [1] comprenant de la supervision individuelle, de la supervision collective, de la formation et de la recherche.
Le centre de formation permanente répond aux demandes de travailleurs sociaux ou d’organisations sociales qui, à un moment ou un autre de leur histoire, ont besoin d’une aide pour les soutenir dans une recherche parfois méthodologique, parfois éthique, parfois déontologique de leurs interventions. Le centre, après analyse de la demande et s’il possède en son sein les compétences nécessaires, propose un accompagnement dans le cadre d’une convention signée par les deux parties. Cet accompagnement est assuré le plus souvent par des formateurs de la formation initiale au sein de l’école, mais peut également être confiée à un partenariat entre un formateur de la formation initiale et une personne extérieure à l’école.
• L’école met ses compétences au service de la collectivité. Ce sont des compétences en termes d’outils de formation. Des compétences en termes de connaissance des secteurs. Des compétences en termes de transversalité au sein du travail social, et au delà de celui- ci. Des compétences propres à soutenir des réflexions parfois pointues et essentielles.
• Au travers de ce travail mené avec des professionnels, la formation permanente apporte la possibilité aux formateurs qui y participent de renforcer des compétences ou d’en découvrir de nouvelles. Ces compétences améliorées peuvent alors être utilisées par les formateurs au sein de la formation initiale. D’une mission première, la formation initiale, l’école crée ainsi un service au service de la collectivité, service dont les bénéfices rejaillissent en retour sur la mission première. C’est cette dimension que nous souhaitons développer dans notre contribution.
• Une précision cependant : si la formation permanente crée des bénéfices pour la formation initiale, c’est aussi, à partir des compétences développées en formation initiale, que les formateurs peuvent développer le service le plus pertinent en formation permanente. L’acquisition de compétences de formateurs se situe donc dans les deux systèmes de formation et sert les deux systèmes.
Petit à petit, de manière naturelle et empirique, mais aussi en référence à des réflexions pédagogiques liées à la formation d’adultes, le centre de formation permanente est arrivé à une proposition pédagogique qui est un peu sa marque de fabrique.
Nos propositions de formations ne sont jamais descendantes (le théoricien qui apporte son savoir savant), mais s’inscrivent dans un processus qui part des connaissances et des compréhensions des travailleurs sociaux qui se situent en position de formés. Le processus de formation que nous proposons tente d’abord de reconnaître les travailleurs sociaux comme les véritables experts des thématiques qui peuvent être abordées dans le cadre proposé. Une expertise qui n’autorise pas tout, mais que les formateurs ont la volonté de mettre en évidence et d’affirmer. C’est à ce titre qu’ils sont d’abord formateurs : dans la capacité et les compétences qu’ils ont d’ordonner puis de visibiliser ces dimensions d’expertise réelle de ceux qui s’inscrivent en formation.
Dans ce contexte deux compétences se rencontrent :
• la compétence pratique des travailleurs sociaux, bien souvent clairement supérieure à celle des formateurs, en ce qu’elle s’ancre dans une expérience quotidienne dans des champs, selon des approches et à partir d’expériences quotidiennes que les formateurs maîtrisent relativement peu ;
• et la compétence pédagogique et communicationnelle des formateurs qui ouvre la possibilité aux travailleurs sociaux de dire et de bien dire, de questionner et de bien questionner ce qu’ils font, de telle manière qu’eux-mêmes le comprennent mieux et en comprennent mieux le sens, et qu’ils puissent aussi le transmettre de manière plus compréhensible, par exemple en direction des cadres institutionnels ou en direction des ayants droits des services qu’ils proposent.
Ces deux compétences se rencontrant en un même lieu, chacun peut dès lors s’enrichir de la compétence de l’autre. Si l’objectif fondamental en formation permanente est bien l’enrichissement (intellectuel et en termes de nouvelles compétences) des formés par le formateur, l’enrichissement en sens inverse, s’il peut être reconnu, n’est le plus souvent que secondaire ou anecdotique. Dans la philosophie que nous souhaitons développer en faisant exister un centre de formation permanente au sein d’une école organisant la formation initiale, cet enrichissement du formateur par les formés n’est plus du tout secondaire, bien au contraire. Il en devient même fondamental puisque, de cette expérience riche du formateur, devront naître de nouvelles compétences utiles pour la formation initiale.
La qualité du travail pédagogique mené dans notre centre de formation permanente se caractérise donc de deux éléments essentiels :
• La démarche de formation vers des travailleurs sociaux qui veille d’abord à partir de la somme des compétences du groupe en formation ;
• Les compétences pédagogiques supplémentaires acquises par les formateurs qui participent à un processus de formation professionnelle dont ils sont aussi les formés. Dans le cadre de cette contribution, c’est à cette seconde caractéristique que nous allons nous intéresser.
Participant à la formation permanente, rencontrant des travailleurs sociaux qui vont mettre en question leurs pratiques, et ceci dans le cadre du processus qui vient d’être proposé, les formateurs vont avoir l’occasion de développer leurs compétences pédagogiques au profit des étudiants en formation initiale à trois niveaux essentiels :
• L’acquisition d’éléments concrets, très signifiants, ancrés dans le réel et exemplatifs pour la formation initiale ;
• La participation à la construction plus théorique, plus conceptuelle du travail social ;
• La production de nouvelles méthodes, de nouveaux outils, de nouvelles démarches pédagogiques qui peuvent être utiles à la formation initiale.
Les formateurs dans le domaine du travail social ont le plus souvent une pratique importante du travail social au quotidien. Puis ils s’orientent vers la formation. Or, le travail social évolue, et dans son contexte, et dans ses méthodes et dans les réalités quotidiennes qu’il côtoie au jour le jour.
La déconnexion du terrain guette rapidement les formateurs. Il y a bien sûr d’autres façons de rester en lien avec ce terrain professionnel : un partage du temps de travail entre un métier de travailleur social et un métier de formateur, un engagement associatif,… La formation permanente est aussi une de ces façons. Et qui paraît particulièrement utile au service de la formation initiale. En effet cette dernière permet de rester en lien avec le terrain, mais avec la possibilité d’en explorer plusieurs facettes et parfois de faire des liens entre elles.
Interlude
(Contribution de C. Adam)
Elise, étudiante en dernière année en service social ; elle entre timidement dans le bureau de son accompagnateur de travail de fin d’études, elle est anxieuse car c’est le dernier rendez-vous prévu avant de déposer son texte finalisé. L’accompagnateur lui propose de s’asseoir. Après une série de remarques, ce dernier feuillette énergiquement les pages et tombe sur ses remarques en rouge dans la marge du texte, il s’étonne : « Ah oui ! C’est juste il y avait ça aussi ! ».
Elise le regarde encore plus anxieuse que lorsqu’elle est entrée, elle rougit plus rouge encore que les corrections sur lesquelles elle jette rapidement un oeil sans pouvoir lire de quoi il est question. L’accompagnateur semble fatigué, voire un peu énervé.
Dialogue
L’accompagnateur : « Ca vous dit quelque chose l’article 458 du Code pénal ? ».
Elise : « Heu…non… pourquoi ? ».
L’accompagnateur bouche bée : « Ah… je m’en doutais… Dans cette partie, vous décrivez les relations entre l’assistant social interne à la prison et l’assistant du Service d’aide aux détenus, qui, lui est externe. Comme vous l’avez dit dans la première partie, ils ne travaillent pas dans un même cadre… Vous indiquez qu’ils collaborent bien ensemble et qu’ils s’échangent quotidiennement beaucoup d’informations au sujet des détenus ».
Elise : « oui, c’est bien ça… ».
L’accompagnateur : « Et cela ne vous étonne pas ? ».
Elise : « Non, c’est la pratique habituelle ».
L’accompagnateur (surpris et commençant à avoir un peu chaud) : « Vous n’avez pas suivi de cours de déontologie ? ».
Elise : « Si, si mais bon… je ne sais plus très bien ».
L’accompagnateur (un cran supplémentaire dans le rouge) : « et le secret professionnel ? ».
Elise : « Ah ça ! Ici c’est parce qu’on a l’habitude de s’échanger des infos, sinon on n’avance pas dans les situations… ».
L’accompagnateur (violet) : « Pardon ? ».
Elise : « Ben on se téléphone et on se parle, on collabore quoi, c’est naturel… ».
L’accompagnateur (ultraviolet) : « Pffff… il faudrait que vous retourniez à votre cours ».
Elise : « c’est loin maintenant… » (Après un temps de silence pesant, l’étudiante retrouve le sourire) « Attendez, je me souviens ! On travaille avec le secret partagé ! ».
L’accompagnateur : « je suppose que vous savez qu’il y a des conditions pour travailler dans cette hypothèse ? ».
Elise : « Ben oui, en fait on pense aux détenus, on doit travailler pour eux ! ».
L’accompagnateur : « Non, heu… enfin oui mais bon, ce n’est pas ça… il faut vous interroger sur cette communication d’informations par rapport au cadre déontologique… ».
Elise : « OK mais je peux quand même laisser ça dans mon travail de fin d’étude ? ».
L’accompagnateur : « Quoi ça ? ».
Elise : « Ben que la collaboration fait qu’on ne se pose pas trop la question »…
L’accompagnateur liquéfié soupire fortement et devient pâle : « Pensez-y pour la défense… ».
Prémisses et moralités de cette petite histoire
1) L’accompagnateur n’a pu se positionner de cette manière dans l’échange avec l’étudiant que parce qu’il a construit au préalable un échange avec son autre collègue cheville ouvrière des dispositifs de formation permanente.
2) Lors de ces échanges passionnants et passionnés, l’accompagnateur s’est rendu compte que pendant les dispositifs de formation permanente auquel il a participé comme formateur, il a lui-même défendu les mêmes options que l’étudiante, contestables d’un point de vue déontologique aux yeux de son collègue et ami « gardien du temple ».
3) Lors d’un repas festif organisé quelques temps après ces échanges, l’accompagnateur a fait remarquer à son ami le « garde-fou » du dispositif de formation permanente que c’était un petit comique et qu’il n’avait pas saisi toute la complexité de la situation et ce, d’autant que l’accompagnateur est un universitaire qui « sait mieux » que son ami le « déontologue de service ». Il a même passé huit années de doctorat à démontrer qu’il a raison…
4) Dans la situation avec l’étudiante, l’accompagnateur fait subitement le constat d’une position qu’il a lui-même occupée, l’ayant justifiée de toute sa science à l’époque lors de ladite formation permanente tandis que l’étudiante s’en tenait au sens commun. En fait, que l’on ne s’y trompe pas : la position qu’elle soit savante ou non était la même.
5) Par conséquent, il se rappelle qu’il doit aussi tenir le rôle de garde-fou et doit aussi continuer de s’étonner sur les automatismes et habitudes des pratiques de terrain indépendamment du dispositif dans lequel il se trouve.
6) Si son ami le garde-fou veut encore bien lui faire confiance dans le cadre de formation permanente, l’accompagnateur se souviendra de tous ces échanges, avec lui et avec l’étudiante.
Moralité savante
Le dispositif de formation permanente et de formation initiale doivent interférer et communiquer l’un avec l’autre. Les formateurs doivent veiller à interroger les évidences routinières du travail social en regard des principes qui le guident, sur base de l’expérience en formation initiale, expérience des positionnements problématiques, voire des absences de positionnement ou, pire, de problématisation dans les pratiques sociales. Il doit ainsi jeter des ponts entre la naïveté des étudiants inexpérimentés en formation initiale et la routine de professionnels expérimentés en formation permanente, surtout lorsque les deux publics ne différent pas quant aux options prises. Car, les naïfs d’hier sont les expérimentés de demain... Tout cela n’est possible qu’à la condition que l’on se parle et que l’on puisse circuler entre des positions différentes. Bref, il faut du jeu…
Moralité populaire
Comme on dit en Belgique : il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
La fin de l’histoire
Les deux accompagnateurs sont aujourd’hui heureux et sur le point d’envisager d’avoir un enfant : un article dans une revue scientifique qui rendrait compte de leurs échanges, enfant de la famille recomposée des deux dispositifs. Enfant utile à la fois pour la formation permanente et la formation initiale. D’une pierre, deux coups !
Parce que la parole doit continuer de circuler et l’expérience de la surprise ne doit cesser d’être possible… C’est à ces deux exigences initiales que le terme de permanence dans « notre » dispositif nous renvoie.
La formation permanente permet de rester en lien avec l’actualité du terrain, et ce également dans les manières de vivre cette actualité et d’y réagir. Entendre par exemple l’évolution du secteur de l’aide à la jeunesse au travers d’articles de presse est bien entendu intéressant. Entendre comment les travailleurs sociaux évaluent cette évolution, comment ils la vivent et comment ils pensent que la vivent les familles et les jeunes concernés, apporte un regard beaucoup plus complexe et éminemment utile pour l’expliquer, la discuter et la mettre en débat avec les étudiants. Sans parler bien entendu des multiples exemples vécus que rapportent les travailleurs sociaux quand ils sont en formation. Exemples qui peuvent être particulièrement intéressants parce qu’ils racontent surtout les difficultés vécues par eux, les situations difficiles voire inextricables, les échecs…
Ce sont ces éléments amenés par les travailleurs du terrain, conjugués à toute une série d’autres apports, qui permettent aux formateurs de travailler avec les étudiants en formation initiale à tenter de comprendre ces réalités sociales dans un processus permanent de construction et de déconstruction des analyses. Ce processus s’il se doit de refuser de prendre pour argent comptant toute théorie scientifique qui viserait à donner les solutions aux problèmes sociaux et de travail social, se doit d’être tout aussi vigilant par rapport aux discours-type des travailleurs sociaux amenés parfois sous forme de plainte (et la formation permanente est sans doute un terrain propice à l’énonciation des plaintes). Utiliser ces apports scientifiques, ces éléments amenés par les travailleurs sociaux (qu’ils soient plaintifs ou analytiques) pour comprendre les réalités sociales est fondamental à condition de se convaincre qu’aucun des deux ne détient la vérité vraie.
Une des raisons qui amène en effet à la formation continuée, c’est la difficulté (au combien légitime) dans laquelle on se trouve plongé dans le travail quotidien. A ce titre, la formation permanente est une porte particulièrement fructueuse en termes d’informations qui s’ouvre sur les réalités du travail social. Peut-être d’abord parce que le lien qui relie formé qui informe et formateur qui reçoit l’information n’est que la formation, et n’engage dès lors pas le travailleur dans une évaluation qui pourrait remettre en cause sa légitimité professionnelle et institutionnelle.
Les exemples de situations en tant que tels sont intéressants pour les formateurs en formation initiale parce qu’ils sont tellement concrets et exemplatifs des quotidiens des travailleurs sociaux, parce qu’ils expliquent parfois tellement bien la précarité d’une famille, les aberrations auxquelles sont confrontés ceux qui souhaitent un logement social, le vécu de parents d’un enfant handicapé.
Ils sont autant intéressants parce qu’ils expliquent les limites et l’impuissance des travailleurs sociaux face aux complexités des situations, face aux pauvretés des réponses sociétales à des problèmes pourtant connus… En théorie, dans nos démocraties occidentales avancées, face à tout problème, il y a une solution. C’est ce que diront parfois les hommes et les femmes politiques. C’est ce que pourraient dire également les formateurs à leurs étudiants. Présenter la réalité telle qu’elle est, à ceux qui nous gouvernent ou à nous, les formateurs, cela nous amène politiques ou formateurs à nous rendre compte que, face à un problème simple et connu, pour lequel des solutions ont été imaginées, voire inscrites dans des lois, la solution, elle aussi pourtant simple a priori, est bien loin de l’être au quotidien.
La simplicité n’existe pas en travail social. La confrontation aux réalités de tous les jours telles que vécues par les travailleurs sociaux et déposées par eux lors de formations, perturbe le formateur qui de même dans la formation initiale peut se trouver démuni face aux interpellations d’étudiants. Travailler en formation initiale le sentiment d’impuissance des travailleurs sociaux ou leur impuissance réelle est un aspect important de la formation. Il sera important pour éviter le piège de l’angélisme ou de l’idéologie. Cela pourra notamment aider les étudiants à ne pas se décourager face aux situations impressionnantes qu’ils peuvent rencontrer sur leurs lieux de stage. Cela pourra également, et sans doute surtout, amener les formateurs à travailler sur la complexité de la profession. En rappelant que si le travail social est d’abord inscrit dans une relation individuelle, il ne peut vraiment exister que s’il se fait aussi analyste critique des situations, et interpellation politique.
Deux éléments pratiques encore : l’un à connotation plus négative et de plus, paradoxal par rapport au reste de notre contribution, l’autre très pragmatique. Le paradoxe est que nous présentons dans l’ensemble du texte les travailleurs sociaux comme experts de leurs pratiques, et que cette expertise est ici mise en question par les formateurs. Il arrive en effet qu’en formation permanente les formateurs rencontrent des travailleurs sociaux ou des pratiques sociales qui amènent à se poser des questions parfois simplement de compétences minimales qui ne semblent pas mises en oeuvre par les professionnels, parfois plus fondamentalement éthiques ou déontologiques. Prendre conscience de ces faiblesses ou lacunes sur le terrain peut mener également les formateurs à approfondir la vigilance dans la formation des étudiants sur ces axes qui apparaissent faibles dans les pratiques rencontrées en formation permanente. Mais la question reste posée : Qui serions-nous, formateurs, pour nous permettre d’évaluer le manque de compétences dont feraient preuve certains travailleurs sociaux ? Enfin, pragmatiquement, travailler en formation permanente permet d’étoffer un carnet d’adresses qui peuvent s’avérer bien utiles dans la construction d’un cours ou d’une animation.
Le travail social est bien hors de la simplicité. C’est ce que viennent dire les travailleurs sociaux qui décident de continuer à se former. Il s’agit d’apporter des réponses aux questions, des solutions aux problèmes. Gageure. Ce qui est par contre possible, c’est de travailler à mieux comprendre les problématiques, à mieux comprendre les réponses qui sont apportées, et puis, de tenter de rendre les réponses plus pertinentes.
De manière très pragmatique d’abord. A partir des expériences essentielles des travailleurs sociaux. Mais partant de là, la réflexion se complexifie en confrontant à la réalité en contexte des éléments conceptuels qui permettent aux travailleurs sociaux de poser les problèmes avec un regard modifié, en se confrontant à des concepts qui éclairent les pratiques de lumières nuancées.
Il est important pour des travailleurs sociaux avec une expérience certaine, d’ouvrir ou de ré-ouvrir des horizons, à partir d’éléments qu’ils n’ont pas l’occasion ou le temps d’appréhender dans leur pratique journalière. Il ne s’agira pas cependant de faire scientifique pour le plaisir de la confiture qu’on étale. Les professionnels de terrain attendent d’être confrontés à des concepts que le formateur et les autres membres du groupe des formés peuvent les aider à appréhender, mais surtout qui leurs permettent de nourrir l’intelligence de leurs pratiques.
Or, les concepts psychologiques, sociologiques, anthropologiques ou juridiques, de la façon dont ils sont amenés par les théoriciens, échappent le plus souvent au commun des mortels que sont les travailleurs sociaux, englués dans leurs quotidiens. C’est pourtant de ces sciences ô combien utiles pour le métier que surgiront beaucoup d’évidences. A condition d’entrer dans un processus d’appropriation collective (le groupe en formation) et singulière (le travailleur social face à l’ayant droit) des concepts. C’est de cette façon que les travailleurs sociaux donnent sens aux concepts théoriques auxquels on les confronte.
Le concept d’autorité a été maintes et maintes fois abordé par des scientifiques de spécialités différentes. Tout a été dit par rapport à ce concept. Et les professionnels le savent. Mais cela ne leur permet pas toujours de gérer au mieux les conflits d’autorité qu’ils vivent, par exemple par rapport à la population jeune avec laquelle ils sont amenés à travailler. Une ré appropriation d’un tel concept ne pourra vraiment se faire que dans la confrontation à la réalité du travail journalier et sous le regard constructif d’autres professionnels. C’est à cette exigence que devra répondre la formation pour qu’une pratique de travail social (un tout petit peu) novatrice émerge du groupe sous la forme d’un concept adapté et adopté. Ce concept sera novateur pour les travailleurs sociaux, parce qu’il aura tenu compte du contexte, de la population, des missions organisationnelles et institutionnelles qui en ont permis les nuances constitutives qui en autorisent l’appropriation.
La dimension de co-construction de ces concepts propres à la « science ’travail social’ » est un élément essentiel. C’est le groupe des travailleurs sociaux en formation qui coconstruisent ces concepts. Ensemble et à partir de leurs pratiques. A partir de leurs compétences aussi. Et avec le formateur qui apporte cependant autre chose dans cette co-construction. Une compétence plus théorique qu’il a pu faire fructifier à partir de ce métier de formateur. Une compétence née d’une accumulation de connaissances d’une part, mais surtout d’une réflexion sur l’utilisation pédagogique et pragmatique de ces connaissances. C’est la dimen- sion supplémentaire que peut apporter le formateur à des travailleurs sociaux qui fondamentalement et sur le sujet des pratiques sont bien plus compétents que lui. Ce sont donc ces compétences des travailleurs sociaux, conjuguées aux compétences du formateur qui produisent cette science du travail social, cette théorisation des pratiques professionnelles.
Ces éléments conceptuels, co-construits en formation permanente, peuvent alors passer l’épreuve de la formation initiale. Les formateurs les présentent comme outils théoriques, mais avec le fondement concret nécessaire puisqu’ils sont produits à partir de l’expérience du terrain. Or, la légitimité des formateurs en travail social, qu’elle soit questionnée par les étudiants ou par les professionnels se trouve souvent confirmée et renforcée parce qu’existe cet ancrage du terrain. Mais il n’y a bien entendu pas que la légitimité. Les concepts abordés, s’ils sont au préalable passés au crible des analyses du terrain trouvent bien plus facilement un terreau favorable à la compréhension auprès des étudiants que s’ils en sont déconnectés. Il n’est pas toujours facile pour les jeunes de comprendre les concepts abordés aux cours, ni leur signification, ni le sens que cela peut avoir de chercher à les comprendre. Pouvoir les aborder dans une logique où apparaît la prégnance du terrain change bien évidemment la donne. Les premières expériences professionnelles auxquelles les confrontent les journées de stage se trouvent éclairées, même si ce n’est pas toujours simple, d’éléments qu’ils peuvent vouloir s’approprier puisqu’ils voient et sentent les liens avec la pratique qu’ils découvrent. De plus, il est pédagogiquement bien plus intéressant (et bien plus agréable) de donner cours à des étudiants qui réagissent parce qu’ils interprètent ce qui leur est dit à la lumière de ces expériences professionnelles.
Issus d’un milieu professionnel, le travail social, les formateurs peuvent être rapidement déconnectés de la construction collective. Et c’est dommage.
La manière dont nous concevons la formation au centre de formation permanente amène plus souvent les formateurs à travailler ensemble. De nombreuses formations s’organisent notamment par paire de formateurs. Devoir travailler sous le regard d’un autre est une démarche de formation qui n’est pas facile et qu’on a parfois tendance à éviter quand on est formateur. La formation permanente telle que nous l’avons imaginée amène parfois à ça. La confrontation des pratiques pédagogiques, la relation aux formés sous le regard critique (positivement critique le plus souvent, mais critique quand même) du collègue, les débats sur la pertinence des approches en fonction du thème, du type de public, de la commande de l’institution commanditaire de la formation, tous ces éléments amènent un niveau d’exigence élevé quant à la qualité de la proposition de formation. Que ce soit en formation initiale ou en formation permanente, les compétences des formateurs doivent être importantes. Mais doivent-elles être les mêmes ? Le niveau d’exigence des formés sera probablement plus pointu sur tel ou tel aspect selon qu’ils sont en formation initiale ou en formation permanente. Et c’est cette dimension qui nous intéresse comme centre de formation permanente dans une école sociale qui propose de la formation initiale. Les travailleurs sociaux en formation permanente auront des exigences de qualité due notamment au fait qu’ils paient pour cette formation, qu’ils prennent sur leur temps de travail pour y participer, que s’ils y viennent c’est pour travailler sur des problèmes qu’ils rencontrent et qui les laissent parfois désemparés, et que la durée de la formation sera sans doute relativement courte, ce qui amène à demander des résultats relativement rapides et concrets. En termes d’évaluation, l’exigence risque d’être plus forte en formation permanente. Les travailleurs sociaux, en fonction des critères cités ci-dessus escomptent des résultats rapides et concrets. Les étudiants eux se situent dans une formation scolaire à très long terme (avant d’arriver à l’école sociale quinze années de scolarité se sont déjà passées pour eux, avec des moments qu’ils auront vécus comme intéressants et d’autres qu’ils auront subis). Le fait qu’on leur propose une formation inadéquate à l’école sociale les inscrira dans un continuum de formation qu’ils subissent déjà depuis un certain temps, ne les frustrera pas particulièrement, et ne les poussera pas à évaluer de manière critique le processus pédagogique qu’on leur propose (si ce n’est en n’assistant pas aux cours). L’évaluation en formation permanente amènera dès lors une remise en question plus constante.
Tous ces éléments obligeront les formateurs à peaufiner leurs outils en fonction de ces exigences légitimes. Et puis de revenir avec ces outils en formation initiale. Et de les adapter aux étudiants qui n’auront pas les mêmes exigences et les mêmes besoins. Par exemple : là où les travailleurs sociaux voudront des réponses rapides dans un temps limité, il sera important en formation initiale de prendre son temps, de laisser maturer les choses. Cependant, le fait pour les formateurs de se situer dans ces deux aspects de la formation amène une diversité de pressions qui oblige à plus encore proposer des pratiques pédagogiques de qualité.
1. La participation à un processus de formation où les formateurs sont aussi les formés par la rencontre des praticiens.
2. La confrontation aux dimensions quotidiennes du travail social.
3. L’amélioration de l’intelligence pratique du travail social.
4. La théorisation des pratiques professionnelles, la production des savoirs avec des professionnels de terrain.
5. La facilitation des liens théorie /pratique en mariant savoirs d’expériences et savoirs savants.
6. La construction d’une légitimité supplémentaire dans la formation des travailleurs sociaux.
Exposé lors du deuxième congrès international des formateurs en travail social à Namur en juillet 2007.
[1] Nous préférons l’expression formation continuée, pour ne pas entretenir l’habituelle confusion avec l’éducation permanente. (NDLE).
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...