Le service prévention tabac du FARES promeut depuis 2015 la méditation de pleine conscience comme stratégie de gestion des assuétudes et de promotion de la santé.
On peut décrire la pleine conscience comme une méditation consistant en l’observation de ses processus mentaux, sans jugement et sans être absorbé par les pensées qui y sont associées. Ce qui se joue se situe principalement au niveau de la relation que la personne va entretenir avec sa maladie, son trouble, son addiction, en apprenant à les gérer différemment et à laisser une place dans sa vie aux émotions difficiles.
Pour Jon Kabat-Zinn [1], « La pleine conscience signifie porter son attention d’une manière particulière, intentionnellement, au moment présent, sans porter de jugement ». À la fin des années 70, ce chercheur en biologie moléculaire crée la clinique de réduction du stress à l’Université du Massachusetts. Il étudie principalement les interactions entre le psychisme et le corps ainsi qu’une technique qu’il nomme « Mindfulness » (pleine conscience) et qu’il tente d’adapter pour aider les personnes souffrant de maladie, de douleurs chroniques et de difficultés liées au stress. Il met ainsi au service de la médecine une pratique de méditation vieille de plus de 2000 ans dans la tradition bouddhiste notamment. Dépouillant cette pratique de ses racines spirituelles et religieuses, il propose un programme d’entrainement avec un protocole précis sur huit semaines : le programme MBSR (Mindfullness Based Stress Reduction ou clinique de réduction du stress basée sur la pleine conscience). On y observe – pour ce qui est des patients douloureux chroniques – une évolution de « Il faudra vivre avec » à « J’apprends à mieux vivre avec » [2].
De nombreuses recherches viennent valider ces bienfaits. Des études en neurosciences [3] montrent que la pleine conscience renforce les connexions entre les différentes zones du cerveau qui entrent en jeu dans la régulation des émotions. En cas de dépression ou d’anxiété chroniques, la pleine conscience a souvent un effet très positif ; elle est reconnue aussi efficace qu’un traitement médicamenteux ou qu’une thérapie cognitivo-comportementale.
Être mindful, ou être en pleine conscience, permet à la personne de reconnaître des pensées et des idées perturbantes et de les mettre à distance en les observant simplement, sans jugement, en les considérant pour ce qu’elles sont : des pensées. La pleine conscience s’apparente à une technique d’autorégulation comportementale, cognitive et affective…
Les recherches permettant aujourd’hui une lecture affinée des facteurs inhérents à la rechute tabagique, il apparaît que la régulation des émotions et les capacités de contrôle de l’attention sont déterminantes dans tout processus de changement visant la cessation de la consommation de tabac et la consolidation de l’abstinence [4].
De manière plus globale, la pleine conscience a une incidence sur le développement des dix compétences psychosociales listées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : savoir gérer son stress et ses émotions ; avoir conscience de soi et de l’empathie pour les autres ; savoir résoudre les problèmes et prendre des décision ; avoir une pensée critique, créatrice ; savoir communiquer efficacement, être habile dans les relations interpersonnelles. C’est en cela que nous avons vu l’intérêt d’intégrer un tel outil au sein des stratégies de promotion de la santé, et ce dans la perspective d’une approche holistique de l’individu. En initiant les personnes à cette pratique, nous renforçons leurs ressources propres afin qu’elles puissent faire face aux situations problématiques qu’elles rencontrent telles que la maladie, la souffrance psychique, le deuil, la dépendance.
Le FARES propose des ateliers découverte pour les professionnels de santé ou pour le grand public ainsi que des cycles sur le modèle du programme MBSR. Chaque séance est ponctuée de temps de méditation en position assise, couchée ou en mouvement (Hatha yoga), d’échanges de vécu et de discussions autour de thématiques comme le stress, les émotions, la communication, les assuétudes...
Globalement, l’esprit humain passe son temps à ressasser les éléments du passé et à appréhender le futur. Ces pensées peuvent déconnecter les personnes de leur propre vie et rajoutent bien souvent de la souffrance à la souffrance. Nombre d’individus sont coincés dans des cercles de ruminations douloureux. Ils aimeraient bien souvent fonctionner autrement, mais n’ont pas les outils pour le faire. Les participants aux cycles de pleine conscience apprennent progressivement à s’inscrire dans le présent. Cela passe par l’attention portée au corps et à la respiration.
Il s’agit de s’engager dans un véritable entraînement psychique. La personne va « muscler » son attention pour la ramener encore et encore dans le présent. Cela nécessite une guidance durant les séances, mais aussi un travail à effectuer seul à la maison entre les séances (au minimum trente minutes par jour) avec le support d’enregistrements audio qui servent à guider la pratique. Cette approche se veut accessible à tous, elle ne nécessite aucun prérequis, mais un engagement à participer à chaque séance et à pratiquer chez soi.
Dans le cadre de la campagne « Arrêter de fumer, réduire sa consommation, c’est possible pour tous », le service prévention tabac du FARES tente depuis plusieurs années de toucher les publics fragilisés, dans une perspective d’égalité des chances. Pour atteindre cet objectif, il lui est apparu nécessaire d’étendre son action à la plus grande diversité possible de lieux de vie : hôpitaux, maisons maternelles, maisons de repos, services spécialisés, etc. C’est porté par cette préoccupation que le FARES s’est associé en 2016 à la Fédération des maisons médicales dans l’idée de promouvoir, par le biais d’ateliers découverte, la méditation de pleine conscience comme stratégie de promotion de la santé auprès des acteurs de ce secteur.
La sensibilisation des professionnels de santé à cette approche de même que son essor actuel dans le champ du bien-être et de la santé ont suscité des demandes et, à ce jour, cinq maisons médicales ont pris part à l’organisation de cycles de pleine conscience. Vu les bénéfices observés sur la santé de leurs patients, deux d’entre elles ont déjà souhaité réitérer l’expérience. Les personnes impliquées dans ces cycles sont majoritairement des femmes dont la moyenne d’âge est de cinquante ans, mais tous les groupes sont mixtes. Ils réunissent des fumeurs, des non-fumeurs, des patients douloureux chroniques, des patients dépressifs, anxieux, etc. À noter que la grande majorité des participants sont plus ou moins en situation de fragilité.
Les difficultés psychologiques et physiques peuvent entacher sérieusement leurs capacités de mobilisation, tout comme les conditions précaires dans lesquelles certains évoluent. Ils ont donc particulièrement besoin de se sentir en confiance dans le groupe et avec l’animateur. La notion d’accrochage est primordiale et nécessite d’instaurer autant que possible une dynamique et une cohésion au sein des groupes. Dans le même ordre d’idée, les discussions et les échanges gagnent à être étayés par des exemples s’inspirant de situations rencontrées dans leur quotidien. Ils ont besoin que l’organisation des séances soit adaptée à leurs conditions de vie (lieu, horaires, déplacement, etc.). Ils ont aussi besoin d’un support social parfois important entre les séances, car le risque de non-compliance ou de décrochage est plus prégnant. Il est dès lors primordial que l’équipe de soignants contribue à porter le projet, en fasse la promotion auprès des patients et les soutienne dans leur engagement au long des huit semaines du programme.
Certaines constantes apparaissent dans les motivations des participants, toutes relatives à la recherche d’un mieux-être : développement d’une attitude bienveillante envers soi-même et dans ses relations aux autres, acceptation de sa maladie et de ses conditions de vie, reprise de contrôle sur ses consommations, apprivoisement de la douleur, gestion du stress et des émotions, création et renforcement de liens sociaux. Sur sa gestion du stress par exemple, un patient note les effets de la pleine conscience qu’il décrit comme de l’ordre d’un lâcher-prise : « Je suis parvenu à me dégager de l’étreinte pour pouvoir reprendre les choses en main. Grâce aux outils de la pleine conscience et à la bienveillance, j’ai pu marquer une pause pour désamorcer des situations où la pression monte ». Marie Léonard, kinésithérapeute à la maison médicale la Brèche à Châtelineau évoque quant à elle la diminution du recours aux séances de kiné de la part de certains patients douloureux chroniques, signe d’une autonomisation et d’une meilleure capacité au niveau de la gestion de la douleur. Elle relate l’histoire d’un participant qui « a pu reprendre ses entrainements de football après des années d’arrêt alors qu’il était rempli de douleurs extrêmement invalidantes dans son quotidien, et a pu dans ce contexte renouer des liens avec ses deux fils qu’il n’avait plus vus depuis vingt ans ». Elle évoque également d’autres patients « ayant réussi à réaliser des changements bénéfiques par rapport à leur alimentation ». Elle témoigne par ailleurs de participants qui voient leur confiance renforcée dans la maison médicale organisatrice, ce qui les encourage à se mobiliser en d’autres occasions, mais aussi à faire percoler ces initiatives ou celles du réseau local auprès de leur entourage. « Au-delà des métamorphoses parfois évidentes en termes de bien-être global, j’observe une communication facilitée dans la relation de soins grâce à une amélioration des capacités d’introspection du patient », ajoute-t-elle.
Évidemment, il reste encore à explorer, à construire et à inventer des synergies possibles entre la pleine conscience et la pratique de médecine générale en maison médicale. Cependant, les retours des équipes et des patients sont particulièrement encourageants pour le FARES et l’invitent à poursuivre en ce sens, l’objectif étant de promouvoir la méditation de pleine conscience comme dispositif à part entière au sein des stratégies de promotion de la santé, et d’en faire bénéficier un maximum de patients.
« Le vent embrasse le vent et chaque chose oubliée au profond des jardins
La rumeur des bêtes nocturnes dans la cour gravite autour d’une étoile de silence
De la glaise de ton visage ensommeillé prend naissance un autre visage
Qui, devenant, inscrit le songe dans la matière
L’aube toujours sur le point de se lever dans ta vie
Le temps remonte son lit
Puis, se découvrant espace, s’ouvre comme une onde
Aux points cardinaux d’un seul instant… »
Cédric Migard
[1] J. Kabat-Zinn, Au coeur de la tourmente, la pleine conscience. De Boeck, 2014.
[2] J. Kabat-Zinn, Apaiser la douleur avec la méditation, Les Arènes, 2016. 3. M. Ricard, A. Lutz,
[3] M. Ricard, A. Lutz, R. Davidson. « Méditation : comment elle modifie le cerveau », Pour la Science, n°448, février 2015.
[4] B. Janssen, Pleine conscience et gestion du tabagisme chez des personnes en situation de précarité, certificat d’université à la pleine conscience/mindfulness. 2014-2016, ULB.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...