Il y a quelques mois et dans la perspective du 7ème colloque francophone des Villes-Santé de l’OMS, la demande m’a été faite par Annette Sabouraud, une fondatrice de Villes-Santé de revenir aux sources de ce mouvement, d’en rappeler la vision originale, les concepts, les principes d’action qui ont guidé le projet depuis ses débuts.
C’est donc naturellement que je commencerai par revenir sur quelques références historiques, non sans avoir préalablement rappelé que le mouvement Villes-Santé a aujourd’hui dix- huit ans (Lisbonne – 1986) et que le réseau international francophone organisateur de ce colloque fête quant à lui ses seize années d’existence (Rennes – 1988).
L’idée de Ville-Santé n’est donc pas jeune. Elle prend sa source dans les mouvements d’assainissement urbain du XIXème siècle. Ainsi, en 1856, à Londres, John Snow fermait la pompe de Broadstreet pour contrôler une épidémie de choléra. En 1875, à Montréal, le maire John Richardson demandait à ses pompiers de laisser brûler les logements insalubres. Plus tard, dans les années 1970, les pionniers de la promotion de la santé dépassaient l’éducation sanitaire pour s’intéresser à l’ensemble des facteurs qui influencent la santé : le concept de déterminant de la santé prenait alors forme et l’on défrichait le terrain dans lequel on sèmera l’idée de Ville-Santé.
En 1974 et en se situant dans le contexte canadien, M. Lalonde, alors ministre de la Santé, publie un rapport important qui propose une nouvelle conception de la santé avec quatre groupes de déterminants : la biologie, l’environnement, les habitudes de vie et les services de santé. Les stratégies préconisées par le rapport Lalonde sont au nombre de cinq : promouvoir la santé (on vise encore surtout les habitudes de vie) ; adopter des lois et règlements pour réduire les risques ; développer la recherche ; améliorer l’efficacité des soins et établir des objectifs de santé.
En 1977, la Première Politique de la Santé pour Tous de l’OMS est énoncée. Elle sera renforcée par l’établissement en 1985, des « Buts de la santé pour tous de l’OMS » (Bureau régional pour l’Europe). Indiquant que « l’environnement physique, social, culturel et économique, comme les politiques qui en façonnent l’évolution, sont des facteurs fondamentaux de conditionnements des modes de vie et de la santé ».
En 1984, c’est lors du colloque de Toronto (Canada) qu’apparaît publiquement et pour la première fois l’expression Healthy City. C’est aussi l’occasion d’une rencontre de trois personnes qui créeront le mouvement : Leonard Duhl, Trevor Hancock et Ilona Kickbush. Cette dernière, en son temps directrice de la promotion de la santé au Bureau régional de l’OMS Europe crée un groupe de travail Healthy Cities dès 1985. Elle commande un texte de référence à Len Duhl et Trevor Hancock ; organise un premier colloque avec onze villes pilotes (Lisbonne, 1986) ; lance le programme européen. Les cités-santé, stratégies d’action pour la promotion de la santé sont nées.
La charte d’Ottawa pour la promotion de la santé de 1986 viendra à son tour s’affirmer comme une référence au mouvement Villes-Santé en définissant cinq axes d’action : élaborer une politique publique saine ; créer des milieux favorables ; renforcer l’action communautaire ; acquérir des aptitudes individuelles ; réorienter les services de santé.
Plus tard et en se fondant sur les textes précités, on définira une ville en bonne santé par différentes caractéristiques qui sont : la réponse aux besoins de base des citoyens ; la qualité de l’environnement naturel et construit ; la force du tissu social ; l’efficience dans l’utilisation des ressources ; la richesse de la culture ; la vigueur et la diversité de l’économie ; l’accès aux services publics et privés ; le contrôle par les citoyens des décisions et enfin, l’état de santé des personnes elles-mêmes.
En soutien à cette définition, quelques principes viendront sous-tendre la démarche Villes-Santé. Ils tiennent en une vision et un engagement en faveur de la santé ; une décision et une action publique ; une action qui se veut intersectorielle faisant appel à la partici- pation communautaire ; une volonté d’innover, le tout dans la perspective de politiques publiques saines.
En avril 1987, la municipalité de Rouyn-Noranda est la première Ville en Santé des Amériques et l’automne de cette même année sera l’occasion de la première rencontre d’un réseau national informel. En janvier 1988, un centre d’information est mis sur pied pour soutenir le mouvement.
Deux ans plus tard, une association formelle est créée : le Réseau québécois des Villes et Villages en Santé. Aujourd’hui, celle-ci compte 125 municipalités membres pour plus de 50% de la population québécoise.
Ainsi, depuis 1986, le mouvement Ville-Santé peut s’enorgueillir d’une riche expérience de réalisations locales sur tous les continents. Cependant, plusieurs difficultés demeurent dont les principales résident dans les problèmes de continuité et de stabilité du projet ; les mauvais départs, dérives, récupérations politique ou professionnelle ; des projets limités à la « santé » au sens étroit ; l’excès de contrôle et une approche du haut vers le bas.
Villes-Santé a suscité de très nombreux échanges nationaux et interna- tionaux (colloques, congrès, publications) minorés par un manque certain de moyens efficaces pour soutenir les réseaux et une visibilité encore trop faible du mouvement. Dans cet ordre d’idée, on peut dire que les concepts du mouvement se sont développés et raffinés, avec notamment la contribution de Trevor Hancock qui a publié de nouveaux textes sur les liens entre Villes-Santé et développement, sur les indicateurs… (1998, 2000). L’Institut national de santé publique du Québec sur le développement des communautés a également participé à l’élabo- ration de publications (2002)… Et malgré cela, la diffusion de ces idées nouvelles demeure encore très restreinte.
L’idée de Ville-Santé s’est peu à peu intégrée dans les politiques nationales, dans la politique de santé et de bien-être du Québec (1992), ou encore dans le livre blanc britannique Our Healthier Nation (1998). Malgré cela, un manque d’investissement en ressources reste à déplorer ; les gouver- nements éprouvent toujours des difficultés à concerter leurs différents ministères et les changements nécessaires dans les pratiques institutionnelles et professionnelles ne sont toujours pas mis en oeuvre.
Le développement de la recherche et de l’évaluation a permis aux Villes- Santé de bénéficier de certaines retom- bées (l’accroissement de la recherche en promotion de la santé, projet d’évaluation parrainé par l’Organisation panaméricaine de la santé). Mais là encore, on continue d’observer un faible investissement dans les ressources et la spécificité des initiatives Villes-Santé manque de reconnaissance.
Le premier enjeu du mouvement est inscrit dans son nom qui envisage la santé des communautés locales. Plus concrètement, les Villes-Santé entendent, d’après Hancock (2000), être des communautés conviviales, viables, prospères, équitables, habitables et durables. Le même auteur évoque aussi la notion de capital communautaire à l’intersection du capital économique, écologique, social et humain. Une particularité du contexte sociétal actuel et duquel ne peut s’abstraire le mouvement Villes-Santé est le phénomène de mondialisation et des forces qu’elle exerce sur la vie des cités. Dans ces conditions, l’équité doit rester un moteur de l’action Villes-Santé.
Le second enjeu réside dans la mise en évidence de déterminants sociaux de la santé afin de s’attaquer aux causes de la mauvaise santé. C’est dans cette optique que le Bureau régional de l’OMS a publié en 2000 un ouvrage intitulé les faits. Parmi ces déterminants figurent les disparités sociales, stress, petite enfance, exclusion sociale, travail, chômage, soutien social, toxicomanies, alimentation, transports. Pour réduire les inégalités nées du déterminisme social, il apparaît très important de développer l’action locale, de proximité, autant que les politiques centrales.
Le troisième enjeu tient à un nouveau partage des pouvoirs et des ressources :
entre les gouvernements de différents niveaux ;
entre les institutions et les communautés ;
entre les professionnels et les
citoyens ;
et entre les programmes de santé
(promotion contre protection, préventif contre curatif).
L’investissement public pour la santé constitue le quatrième enjeu pour le mouvement Villes-Santé. « L’urgence de prévenir » énoncée par la Commission Clair (Québec, 2001) tient au fait du vieillissement de la population, à la croissance des incapacités et des maladies chroniques et au développement de technologies médicales onéreuses. Autant de facteurs qui font de l’investissement un facteur nécessaire à l’amélioration de la santé.
Enfin le cinquième enjeu est d’intégrer les approches comportementales et sociales à la démarche Villes-Santé. Pour cela, on peut en référer à l’ouvrage Promouvoir la santé : stratégies d’intervention émanant de la recherche comportementale et sociale (Institute of Medicine, USA, 2000) et s’appuyer sur trois leviers : des politiques publiques saines, le marketing social et les communications et le renforcement du capital social des communautés.
Diffuser davantage l’idée de Ville- Santé : Rappeler la vision originale ; rassembler les écrits récents qui l’ont raffinée ; créer des centres de documentation ; renforcer le marketing et les communications.
Convaincre les décideurs d’investir : Investir pour soutenir les initiatives locales ; sensibiliser les grands décideurs de l’Etat ; mobiliser les élus locaux et les administratifs ; mettre en évidence les bénéfices.
Adapter les organisations : Faciliter le travail transversal entre les organisations ou l’action intersectorielle. Villes-Santé est un mouvement qui part d’en haut, de l’engagement de l’autorité de la collectivité. Il a un rôle de soutien au niveau régional et peut se targuer de regrouper un ensemble d’acteurs « hybrides » au niveau local (Publication du Comité de santé mentale du Québec, 2002).
Transformer les pratiques professionnelles : Ouvrir les frontières des territoires professionnels ; savoir intégrer santé individuelle et santé communautaire.
Développer les connaissances : Adapter l’épidémiologie en observant les dynamiques et processus communautaires, la cohésion/ capital social, les forces/capacités/ atouts… Ces observations permettront d’établir des portraits de santé des communautés qui guideront les orientations pour l’action. Il s’agit également de développer l’évaluation des initiatives locales en adoptant des approches qualitatives et participatives et en se référant à des indicateurs qui « comptent » (Hancock, Labonté et Edwards, 1998).
Rejoindre les autres : Rejoindre les autres mouvements locaux qui cherchent à améliorer la qualité de la vie dans les communautés locales et partagent une approche de développement des communautés (Agenda 21 local, développement rural, communautés sûres) ; collaborer avec les associations de villes, de municipalités.
Développer les réseaux Villes- Santé : Echanger expériences et bonnes pratiques ; s’entraider et se soutenir mutuellement ; se faire connaître et reconnaître et être plus visible. Il est également important de convaincre les gouvernements d’investir des ressources dans des organisations de soutien technique aux réseaux, financées par l’Etat mais sous le contrôle des municipalités membres (expérience du réseau québécois de Villes et Villages en santé).
En guise de conclusion de ce retour aux sources, je vous propose deux citations qui portent en elle la philosophie du mouvement Villes- Santé : « La santé communautaire vise à harnacher la trame et les pulsations les plus naturelles de ces milieux humains spontanés que sont les communautés pour promouvoir et protéger la santé de leurs membres… Elle est celle qui vient vraiment de la communauté et qui, sans ambiguïté, lui est adressée… Elle doit être axée sur la prévention primaire voulue et organisée par la communauté [1] ». « Les efforts pour développer la prochaine génération d’interventions préventives doivent être concentrés sur l’établissement de partenariats avec les communautés et faire place à des actions qui découlent de l’évaluation par les communautés de leurs propres besoins et priorités [2] ».
La santé urbaine est un sujet vaste et complexe. Afin d’en appréhender les multiples dimensions avant d’agir pour promouvoir la santé, l’ensemble de facteurs, leurs composantes et les interdépendances doivent être analysés dans le temps et par rapport aux échelles géographiques diverses prenant en compte l’intérieur du bâtiment jusqu’à l’ensemble de l’agglomération.
Extrait des actes du 7ème colloque francophone des Villes-Santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des Villes et Villages en Santé de Bruxelles du 22 au 24 mars ème 2004. À l’occasion de leur 7 colloque, les réseaux francophones ont souhaité ré-examiner les principes fondateurs du mouvement Villes-Santé à partir des expériences de chacun.
[1] Pierre Marois, ministre québécois du développement social, colloque de l’Association pour la santé publique du Québec, 1977.
[2] Promouvoir la santé : stratégies d’intervention émanant de la recherche sociale et comportementale, rapport de l’Institute of Medicine (USA, 2000).
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...