En Belgique, comme dans d’autres pays de l’Union Européenne, bon nombre de cancers bronchopulmonaires liés à une exposition à l’amiante ne sont pas déclarés au FMP. Dans ce contexte, de nombreux patients perdent leurs droits à l’assurance maladies professionnelles et aux avantages sociaux qui en découlent. Il est de notre devoir d’inverser cette tendance. Une meilleure connaissance du passé professionnel, grâce au médecin du travail, et une meilleure exploitation des analyses minéralogiques sur échantillons pulmonaires permettraient d’améliorer cette situation peu acceptable sur le plan social et humain.
Les cancers pulmonaires reconnus par le FMP sont ceux dus aux agents suivants : le chrome hexavalent, le bis-chlorométhyléther, le nickel, l’arsenic, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (H.A.P.), le béryllium et l’amiante. Toutes ces substances sont reconnues comme des agents cancérogènes certains (groupe I) par le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC ou IARC en anglais).
Selon les données épidémiologiques [1], 15% des cancers chez l’homme et 5% des cancers chez la femme, toutes origines confondues, seraient d’origine professionnelle. Les cancers bronchopulmonaires et le mésothéliome pleural constituent les cancers professionnels les plus fréquents (http://www.fbz.fgov.be/Pdfdocs/Rapports/premieres_statistiques_2009.pdf). En 2003, en Belgique, selon la Fondation contre le Cancer, les estimations étaient les suivantes : 7% de cancers (tous types de néoplasies) d’origine professionnelle chez l’homme, 1% chez la femme, ce qui correspondrait à 1.600 cas/an. Le pourcentage de cancers pulmonaires dus à l’amiante, selon les données épidémiologiques, pourrait varier de 7 à 15%. Certains auteurs estiment même que l’amiante serait responsable de plus de la moitié des cas de cancers bronchopulmonaires professionnels.
Le problème de la réparation du cancer professionnel est avant tout un concept social et économique. La décision de reconnaître tel ou tel type de cancer comme ayant une origine professionnelle ne s’appuie pas que sur une base scientifique. A quel niveau de risque relatif et de fraction étiologique de risque faut-il placer la limite ? Ceci relève souvent de discussions avec les partenaires sociaux et il n’y a pas de critères précis ou standardisés, sauf pour l’amiante. Cela explique les différences dans le nombre de cas de cancers professionnels reconnus dans les pays de l’Union. Par ailleurs, vu le temps de latence, les cancers professionnels surviennent bien souvent après l’âge de la retraite, lorsque le travailleur n’a plus de contact avec le médecin du travail de son entreprise. Vu le cloisonnement de notre système de soins de santé, le passé professionnel du malade devient totalement inconnu et n’est pas la préoccupation première du secteur curatif. Si un mésothéliome oriente d’emblée le clinicien vers la recherche d’une exposition à l’amiante, il n’y a en revanche aucune caractéristique clinique, radiologique ou anatomopathologique particulière permettant de distinguer l’étiologie professionnelle d’un cancer bronchopulmonaire, de la cause première qui reste le tabagisme.
L’absence de recherche systématique d’une relation possible entre un cancer bronchopulmonaire et des antécédents professionnels a pour conséquence une sous-déclaration et une sous-reconnaissance des cas professionnels comme en témoignent les chiffres de reconnaissance du FMP (tableau 1).
Vu les 5.000 nouveaux cas annuels de cancer du poumon chez l’homme en Belgique, on pourrait s’attendre à ± 500 nouveaux cas de cancer professionnel par an dont 250 seraient dus à l’amiante, en considérant une hypothèse basse de 5% pour l’amiante. Force est de constater que le nombre de cas reconnus se situe très loin des estimations épidémiologiques.
Par ailleurs, l’enquête téléphonique réalisée par l’équipe de Verger et al. (http://www.orspaca. org/depot/pdf/09-SY01.pdf) auprès de médecins généralistes de la région Provence-Alpes- Côte d’Azur confirme leur manque de formation en matière de santé au travail. Cette étude confirme aussi que les médecins généralistes manquent d’outils pour les aider à repérer l’origine professionnelle des maladies de leurs patients, et elle souligne la faible collaboration entre praticiens et médecins du travail. Leur équipe, comme la nôtre (figure 1) démontre la faible contribution des médecins généralistes à introduire une demande en réparation d’un cancer bronchopulmonaire en cas d’exposition à l’amiante. Nous envisagerons plus loin comment apporter certaines solutions à ce problème.
Ces critères ont bien sûr évolué au cours du temps. Une exposition professionnelle à l’amiante constitue un risque professionnel de cancer du poumon provoqué par l’amiante si elle a débuté au moins dix ans avant l’apparition de la maladie et si, en outre, au moins UN des cinq critères suivants est rempli :
Ces nouveaux critères sont très fortement inspirés des critères « d’Helsinki ». Ils ne tiennent pas compte du tabagisme du travailleur. Selon notre expérience, ils ont permis une reconnaissance plus juste et plus équitable que ceux qui étaient en vigueur avant 1999. Auparavant, le Fonds reconnaissait l’association d’un cancer bronchopulmonaire et de plaques pleurales. Or, nous savons que cette association n’a pas de fondement scientifique. Les plaques pleurales sont uniquement un témoin d’une exposition à l’amiante, parfois très faible et ne font pas la démonstration d’une exposition ≥ à 25 fibres/ ml x années.
Cependant, l’application de ces nouveaux critères nous amène au constat suivant : s’ils sont plus équitables, ils n’ont pas permis de reconnaître davantage de cas : de 2002 à 2007, ce nombre est resté compris entre 48 et au maximum 78 cas/an au maximum (tableau 1).
Or, si nous nous basons sur les résultats de la recherche de corps asbestosiques pratiquée à l’Hôpital Erasme sur tissu pulmonaire obtenu lors de la résection chirurgicale des tumeurs pulmonaires, nous constatons que 5% des hommes de cette population opérée présentent plus de 5.000 C.A./g TPS. En extrapolant ces données fournies par l’analyse minéralogique aux 5.000 cas annuels de cancer du poumon chez l’homme en Belgique, nous devrions arriver à ± 250 cas de cancer du poumon dus à l’amiante. Cette estimation se rapproche des données épidémiologiques évoquées plus haut. Ces cas pourraient alors être indemnisés par l’assurance maladies professionnelles.
La première, qui tombe sous le sens, est bien sûr une mesure de prévention de l’exposition au risque amiante et c’est bien le rôle premier du médecin du travail depuis de longues années. L’utilisation de l’amiante a été définitivement bannie (AR 2001) et un inventaire doit être dressé pour les lieux accessibles aux travailleurs où il en subsiste (AR 2006).
De plus, depuis la parution de l’AR sur la surveillance de santé prolongée en 2003, il apparaît clairement qu’un dossier de santé doit être établi et que selon l’Art. 83 de la soussection 2 concernant son contenu, « des données tant quantitatives que qualitatives et représentatives de la nature, de l’intensité, de la durée et de la fréquence de l’exposition du travailleur à des agents chimiques ou physiques » doivent y figurer. Ces données sont donc connues et répertoriées par le conseiller en préventionmédecin du travail et devraient systématiquement être exploitées et communiquées au FMP ainsi qu’au médecin traitant, avec l’accord du travailleur. Un tel relevé pourrait par exemple être établi au moment du départ à la retraite. Ce point permettrait de répertorier les agents cancérogènes auxquels le travailleur a été soumis au cours de sa carrière et, pour le cas particulier de l’amiante, permettrait aux ingénieurs du FMP de faire un calcul plus précis de la dose cumulée d’exposition.
Pour l’aider dans son approche de l’exposition aux agents cancérogènes du poumon, le clinicien dispose d’un questionnaire de repérage des expositions professionnelles élaboré en France (http://www.splf.org/s/IMG/pdf/questCMP-2.pdf).
En cas de suspicion d’exposition à l’amiante, lors de la mise au point d’un cancer bronchopulmonaire, les cliniciens ne doivent pas oublier de demander un LBA [3] pour analyse minéralogique lors de la bronchoscopie, chaque fois que l’état du malade le permet. Il est particulièrement recommandé de réaliser cette analyse minéralogique pour des salariés des secteurs exposés comme la construction, la métallurgie, les non-ferreux, l’électricité, etc. (figure 2). Par ailleurs, une recherche de C.A. [4] doit être entreprise de façon systématique sur les pièces de résection obtenues lors du traitement chirurgical des tumeurs pulmonaires. Ces examens offrent une bonne estimation de l’exposition en fonction de la profession et permettent une évaluation rétrospective du niveau d’exposition à l’amiante.
Rappelons que pour introduire une demande en réparation pour maladie professionnelle, il faut utiliser l’attestation médicale 503F et le formulaire 501F (http://www.fmp-fbz.fgov.be/ fr/formulaires_fr01.htm). Ceci peut se faire quel que soit le statut tabagique du patient. En effet, seule la présomption d’origine d’exposition professionnelle à l’amiante intervient dans ce cas précis. Pour soutenir les praticiens dans le domaine du bien-être au travail, le FMP devrait organiser à leur intention des séances d’information pour les aider au repérage et à l’introduction de demande en réparation de maladies professionnelles.
L’assurance maladies professionnelles offre aux salariés du secteur privé ainsi qu’à leurs ayants droit, des avantages médicaux et socio-économiques non négligeables et ces prestations ne peuvent plus être ignorées du praticien. Les cancers respiratoires d’origine professionnelle sont les plus fréquents des cancers professionnels et dominés par l’amiante comme étiologie principale. Le praticien doit rechercher et obtenir du conseiller en prévention-médecin du travail, tous les renseignements concernant d’éventuelles expositions professionnelles à des agents cancérogènes. Dans le cas d’un bilan de néoplasie pulmonaire et de suspicion d’exposition à l’amiante, nous recommandons de réaliser un LBA pour analyse minéralogique lorsque l’état du malade le permet. Si l’exérèse chirurgicale d’une tumeur pulmonaire est réalisée, nous recommandons de faire pratiquer une analyse minéralogique du tissu pulmonaire pour repérer et quantifier des expositions anciennes ou ignorées à l’amiante. Les cancers dus aux agents cancérogènes certains (groupe 1) du CIRC reconnus sur la liste belge des maladies professionnelles doivent faire l’objet d’une demande en réparation auprès du Fonds des Maladies Professionnelles.
[1] Doll R, Peto J., The causes of cancer, Oxford, Oxford University Press, 1981.
[2] Une fibre/ml x année se définit comme une exposition pendant un an, huit heures par jour, à une concentration atmosphérique d’une fibre d’amiante par cm3 au poste de travail.
[3] lavage bronchoalvéolaire ; technique permettant de prélever du matériel des alvéoles pulmonaires à fins d’analyse.
[4] corps asbestosiques.
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