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Le contrôle citoyen des prisons


18 juin 2018, Yves de Locht

médecin généraliste et président de la commission de surveillance de la prison de Nivelles

Que savons-nous des détenus à leur entrée en prison ? Quels sont leurs besoins spécifiques ? L’incarcération a-t-elle un impact sur leur état de santé  ? Les services de santé sont-ils équipés pour faire face aux personnes concernées et à leurs problématiques ?

Les Commissions de surveillance sont des organes composés de bénévoles qui, avec l’agrément du ministre de la Justice, ont un accès libre et indépendant à toute la prison et à toutes les personnes qui y résident ou y travaillent. Ils ont pour mission de contrôler le respect des règlements. Ils ont aussi accès aux confidences des détenus, s’ils obtiennent leur confiance.

Aucun détenu ne peut imaginer ce qui l’attend en détention. La détention, la privation de liberté, sont des conditions de vie très concrètes et particulières, générant des souffrances que l’on peut difficilement se représenter sans les avoir vécues. Le choc récent de l’arrestation et de la privation de liberté est une expérience vécue par la plupart comme très traumatisante. Peu arrivent à la communiquer et à la partager, mais ceux qui y parviennent évoquent la violence psychique, parfois physique qui l’accompagne, la honte ressentie lorsque cela se passe en présence des proches.

Les premiers interrogatoires et les éventuelles confrontations qui les accompagnent, même lorsqu’ils se passent de la façon la moins inhumaine possible, engendrent une anxiété face aux inconnues de l’avenir qui restera présente souvent pendant de longues périodes, les décisions de justice et les éventuelles condamnations ne survenant généralement que des mois, sinon des années plus tard.

Entrer en prison, pour les primo-incarcérés, constitue une plongée solitaire dans un monde insoupçonné, aux règles inconnues, au cours de laquelle le détenu ne peut se départir d’un sentiment de méfiance envahissante. Se voir défaire de ses effets personnels, devoir se déshabiller devant des inconnus, hésiter à accepter le «  bain entrant  », se voir revêtir une tenue de prisonnier et remettre un paquetage comportant des objets indispensables (couchage, toilette, alimentation) génère un sentiment d’humiliation et de non-appartenance difficile à éviter. Les vêtements ne sont pas toujours ajustés à la taille, ils sont souvent usagés, il manque des boutons, ils peuvent être maculés de taches et cette «  nouvelle peau  » augmente ce sentiment de non-appartenance à soi-même.

Tabou

Le premier passage des grilles est un moment marquant qui restera enfoui et tabou, mais le souvenir n’en reste pas moins vivace, inexprimable, chez de nombreux détenus. Il suffit de rentrer dans le cellulaire, le lieu de vie quotidienne des détenus, pour partager le sentiment et les émotions qui l’accompagnent inéluctablement. Traverser des grilles et des sas, monter des escaliers, se sentir dévisagé sans posséder les codes du comportement à adopter est stressant, s’arrêter devant la porte indiquée et s’apprêter à pénétrer dans ce qui constituera son lieu de vie personnel pour une durée encore inconnue s’accompagne d’anxiété bien compréhensible. Découvrir sa cellule, ce nouveau lieu peu spacieux, à l’éclairage restreint, à la propreté souvent relative et parfois déjà occupé par un inconnu, ne peut être préparé à la mesure des émotions vécues. Faut-il s’exprimer, serrer la main, se présenter  ? Dire de soi  ? Se taire  ? Nul ne sait, sinon se méfier, toujours, rester sur ses gardes.

Un déménagement ou un changement de vie imprévu, tout un chacun peut en imaginer le poids, qui s’accompagne pour les détenus d’une absence d’accueil, d’un isolement et d’une disparition des protections habituellement disponibles. Le choc est tel que c’est au cours des premiers jours ou des premières semaines de détention que l’on observe un premier pic de suicides. Cette solitude accompagnera le détenu tout au long de son parcours, même si chacun déploiera toutes ses ressources et compétences pour préserver ou recréer des liens sociaux, indispensables au maintien de la vie. Se maintenir en état de vigilance permanente est une nécessité souvent énoncée par les détenus, qui se sentent observés et jugés constamment  : «  lorsque je me promène au préau, si je reste seul, je suis vu comme un asocial  ; si je me joins à un groupe, comme un fomenteur de mauvais coup  ; et à deux comme un homosexuel  ». Les témoignages de ce type sont légion, et les nombreux changements de cellule qui jalonnent une détention, que ce soit d’une aile à l’autre dans le même établissement ou le transfert vers une autre prison, replongent la personne devant des regards nouveaux et des situations analogues.

Parmi d’autres, trois éléments frappent particulièrement les témoins amenés à rencontrer les détenus dans leur lieu de vie  :

- une grande solitude, même lorsqu’ils reçoivent la visite des familles et s’entretiennent par téléphone avec les proches, vu l’impossibilité de pouvoir leur venir en aide, et tout au contraire une culpabilité pour le poids et la charge qu’ils constituent  ;
- une absence de structuration du temps et des activités  ;
- un désœuvrement très répandu. Il n’est pas rare de trouver des détenus dans leur lit à toute heure du jour, parmi les très nombreux qui passent vingt-deux heures sur vingt-quatre en cellule.

L’état général des détenus

Le rapport des commissions de surveillance lève un coin de voile sur la réalité des services médicaux et leur fonctionnement.

Pour résumer, et même si tout est loin d’être optimal, la toute grande majorité des personnels soignants, dévoués et compétents, admettent que leur tâche s’effectue dans des conditions d’exercice difficile. En bref, sur le plan psychosocial, l’environnement est globalement totalement déficitaire et le trop maigre accompagnement présent (aumôniers, conseillers moraux, visiteurs de prison, surveillants aussi et services psychosociaux externes) n’est pas en mesure de combler les gigantesques besoins.

Sur le plan financier également, la précarité est omniprésente, aggravant celle qui existait auparavant. Vivre en prison sans cantiner (faire ses courses au magasin interne à la prison) est déprimant, dépenser alors qu’on ne gagne rien grève les avoirs souvent limités, et gagner de l’argent en travaillant un espoir pour beaucoup en dépit des maigres salaires horaires perçus. La prison appauvrit, c’est un fait reconnu. Le travail, insuffisant dans de nombreux établissements, est considéré comme une faveur et entretient souvent concurrence et compétition. Il est généralement peu intégrateur et quasi jamais formateur. Il est toujours peu rémunérateur et peu valorisant, quasi jamais source de fierté.

L’hygiène de vie laisse fréquemment à désirer, liée à la déstructuration des journées, que ce soit l’alimentation qui ne laisse aucune autonomie de choix (et qui ne s’accompagne guère de légumes et de fruits frais), le sport – s’il est fort apprécié – est bien peu accompagné et consiste très souvent en musculation, «  se montrer fort  » est un besoin vital dans ce milieu.

Si l’incarcération assure logement, nourriture et soins médicaux principalement somatiques, elle est incapable de pallier ce que l’incarcération engendre, en termes de perte d’identité et de confiance en soi, de dévalorisation, d’enfermement en soi-même, d’agressivité souvent retournée contre soi-même, de perte d’autonomie, d’abandon de projection dans l’avenir et de perspectives. Elle est censée protéger les détenus les uns contre les autres, mais les relations conflictuelles restent légion.

La détention, si elle assure la base vitale, propose aussi tout le contraire de ce à quoi un être humain peut aspirer pour aller mieux. D’où les plaintes et doléances nombreuses, ici celles adressées aux services de soins, récoltées par les Commissions de surveillance (voir encadré page suivante).

La récente étude du KCE1 n’a pas interrogé de détenus «  faute de temps et de moyens  » et se limite à deux points  : la surconsommation de médicaments par rapport à la population générale et la perception par les détenus de leur santé, qui est, en Belgique comme ailleurs, moins bonne que celle de la population générale. Selon l’OMS, au moins 10-15% des prisonniers en Europe souffrent d’une pathologie mentale significative, et beaucoup plus encore de troubles mentaux communs tels que dépression ou anxiété. Il serait judicieux de leur poser la question très simple de «  ce qui leur fait du bien  » et de «  ce qui nuit à leur santé  » dans leur quotidien. Outre des perspectives élargies sur leur santé, ce pourrait ouvrir des pistes sur les mesures à mettre en œuvre ou auxquelles porter particulière attention. À tout le moins aménager des conditions d’enfermement qui donnent place à des espaces «  de vie  », d’expression, et mettre en place des dispositifs visant à limiter l’enfermement en soi au-delà de l’enfermement physique. Et répondre au besoin prioritaire énoncé par les détenus à une écrasante majorité  : «  trouver quelqu’un à qui parler  ».

Des plaintes récurrentes

« Le détenu a droit à des soins de santé qui sont équivalents aux soins dispensés dans la société libre et qui sont adaptés à ses besoins spécifiques. »2 Pour rappel, la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 6 septembre 2016 pour l’état lamentable de ses conditions d’enfermement. Elle dispose de deux ans pour se mettre en règle.

Accès aux soins de première ligne. Le délai d’attente entre la demande d’un patient et la consultation est systématiquement de plusieurs jours voire de plusieurs semaines ou mois pour les dentistes et kinésithérapeutes. Les délais résultent parfois d’une insuffisante prise au sérieux des plaintes par les infirmiers et les surveillants. Des réactions soit tardives soit inadaptées semblent survenir surtout en cas de demande urgente de soins. L’accès aux soins n’est pas continu. La nuit et les jours fériés, le recours consiste à appeler le médecin de garde local (qui souvent refuse de venir) ou à faire appel au service 112.

Équipes soignantes. L’attitude de certains membres du personnel soignant est critiquée ; autoritaires, sans respect pour la confidentialité, manquant de compassion comme d’empathie. Le temps de consultation impose six minutes par patient ou deux heures/an/patient, mais beaucoup de consultations sont liées à des plaintes qui semblent futiles et chronophages au praticien. Dermatologues et ophtalmologues devraient systématiquement seconder le staff de médecine générale, tout comme le gynécologues dans les sections femmes. Il existe peu de psychothérapeutes associés alors que les besoins sont gigantesques. Il semblerait approprié que des psychiatres fassent partie de l’équipe de base, vu la haute fréquence de problèmes de santé mentale, voire psychiatriques dans le cellulaire général.

Traitements. Le refus de soins en raison d’une libération prochaine ou l’achèvement de soins entamés avant l’incarcération. Le transfert des dossiers vers les médecins traitants n’est pas systématique. De nombreux détenus se plaignent d’un changement de médication suite à leur transfert. La prise en charge des substitutions aux usages d’opiacés pose question.

Problèmes psychiques. Au moins la moitié des consultations concerne des problèmes d’ordre psychologique (sommeil, dépression, anxiété), ainsi que les problématiques de consommation de psychotropes. Aucun outil d’évaluation du risque suicidaire n’est utilisé systématiquement à l’entrée des détenus ni à aucun moment de leur incarcération.

Rendez-vous externes ou spécialisés. La proportion d’annulation et de report est très élevée. Il arrive souvent que l’extraction du détenu ne puisse pas se faire suite à un manque de personnel. Des hospitalisations de nouveau-nés sont effectuées sans la maman.

Infrastructures. Vétusté des bâtiments, état du mobilier et des installations sanitaires qui entraîne dermatites, problèmes respiratoires, infections cutanées, etc.

Cet article est paru dans la revue:

n°83 - juin 2018

Malade et en prison, double peine ?

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

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