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Les groupes d’entraide


25 mars 2021, Ellen Godec

membre de L’Autre « lieu » RAPA

, Marchal Christian

licencié en sciences politiques, animateur à L’Autre « lieu » – Recherche-action sur la psychiatrie et alternatives (RAPA).

La santé mentale, c’est quoi ? C’est généralement la question que je pose lorsque je fais une animation, notamment avec de futurs professionnels du soin. Cette question suscite bien souvent un grand silence... et me vaut un beau moment de solitude.

Demander ce qu’est la santé mentale, ce n’est pas tout à fait la même chose que de définir la santé mentale, où l’on me récitera le plus souvent la définition de l’Organisation mondiale de la santé. Et donc, après un moment je vais voir surgir quelques mots tels que « maladie mentale », « trouble mental », « détresse psychologique »… de temps en temps le mot « folie », de manière un peu embarrassée. S’ensuit « être équilibré », « être bien dans sa tête », « se montrer résilient », etc.

À partir de là, on peut dire que la santé mentale comporte plusieurs dimensions, que l’on peut voir comme un grand ensemble contenant trois sous-ensembles. Le premier reprend les troubles psychiatriques ou les maladies mentales qui se réfèrent à des classifications de diagnostics [1] renvoyant à des critères, à des actions thérapeutiques ciblées et qui correspondent à des troubles de durée variable plus ou moins sévères et handicapants. Un autre sous-ensemble correspond à la détresse psychologique ou la souffrance psychique issue de situations éprouvantes et de difficultés existentielles (deuil, rupture, perte d’emploi, parcours d’exil…). Le dernier est la santé mentale positive, qui recouvre le rétablissement, l’épanouissement personnel et la reconnaissance d’appartenir à une humanité commune. Les lignes qui les partagent sont floues et mouvantes. Je peux alors venir avec une première affirmation intuitive : la santé mentale concerne tout le monde. Et une deuxième, celle-là contre-intuitive : on peut souffrir d’un trouble mental et être en bonne santé mentale et, a contrario, ne pas avoir de troubles mentaux et être en mauvaise santé mentale.

Témoignage

J’ai été confrontée très jeune à la santé mentale et à la question du diagnostic, notamment de son annonce ou pas à l’entourage. Ainsi, assez tôt, j’ai pris conscience de l’importance de verbaliser, de dialoguer, de poser des mots pour soigner les maux. Pendant mon enfance et mon adolescence, cette aide se faisait avec des entretiens avec un professionnel, psychologue et/ou psychiatre.

L’expérience des groupes d’entraide est venue plus tard, notamment en milieu hospitalier. Je suis très reconnaissante de ce qu’ils m’ont apporté : introspection, équilibre psychique, reconnaissance de mes difficultés, mise en situation pour se confronter à la réalité. Et de là, la création d’un réseau soutenant. Les professionnels qui me suivent insistent fort sur la nécessité et l’importance de créer des projets et de développer un réseau afin d’avoir des repères dans son quotidien. Et, quel que soit le diagnostic, l’important est de parvenir à un bien-être et à un équilibre.

Ellen Godec, membre de L’Autre « lieu » RAPA.

La santé mentale, c’est qui ?

Dans ma pratique professionnelle, je rencontre régulièrement cette souffrance vécue. Les personnes sont psychiquement malmenées, fragilisées par la précarité. Comme Jean De Munck l’exprime : « Le centre de gravité de la santé mentale se déplace. Du traitement des maladies mentales, elle s’ouvre à l’immense périphérie des souffrances ordinaires » [2]. En effet, il y a un déplacement : ce n’est plus la folie incapacitante traitée en hôpital psychiatrique, mais tout ce qui concerne les défaillances psychiques et le mal-être quotidien. On passe de la maladie mentale à l’immense champ que recouvre la santé mentale. En termes de parcours de vie, on peut le voir comme un voyage initiatique à travers lequel on trouve les thèmes récurrents de la chute, de l’épreuve et du rétablissement. La chute inclut les ruptures vis-à-vis de soi et des autres. Ensuite viennent l’épreuve de l’exil (quand le voyageur devient étranger à son propre milieu d’origine), le calvaire de la souffrance mentale et physique, les doutes… Enfin s’enchainent l’amélioration, la stabilisation, la réintégration par la reconnaissance et l’accès à une identité autre. De là, une nouvelle place sociale composée de compétences : savoir-être, savoirs et savoir-faire inédits. Nés du vécu voire de l’expertise du patient, ils font surface et interrogent l’ordonnancement de toutes les formes de pouvoir en santé, y compris pouvoir soigner et pouvoir décider [3].

Reste le souci du stigmate, du stigmate caché ou de l’autostigmatisation du trouble mental et de la folie, avec toute sa gradation. Je reste toujours confondu quand je rencontre une personne pour la première fois à L’Autre « lieu », quand elle se présente au regard de son diagnostic – « je suis bipolaire », « je suis schizophrène… » – et englobe dedans l’entièreté de son identité. « Si tu vas à l’hôpital parce que tu as mal au ventre, ne dis surtout pas que tu as une maladie mentale. Sinon la première personne que l’on va t’envoyer, c’est le psychiatre », dit un membre de L’Autre « lieu ».

Les groupes d’entraide

On rencontre les premiers groupes en 1935-1939 aux États-Unis. Ce sont les groupes des alcooliques anonymes (AA), « une association d’hommes et de femmes qui partagent entre eux leur expérience, leur force, leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun et d’aider d’autres à se rétablir » [4]. À Bruxelles, le premier groupe AA s’ouvre en 1953. Parallèlement, le mouvement self-help va également gagner le secteur de la santé mentale où un vent de renouveau souffle sur la psychiatrie, initié par la psychothérapie institutionnelle [5] avec l’implication des usagers dans l’organisation de l’hôpital. Le « club thérapeutique » en est l’une des pierres angulaires. Le principe est de faire en sorte, au sein d’une structure de soins, que tout ce qui n’est pas strictement médical puisse ressortir de la compétence des patients, aidés si besoin en est par les membres du personnel. Ce principe initié au sein des hôpitaux s’est aussi développé en dehors pour donner naissance à de véritables associations d’usagers autonomes.

Dans les années 1970 et 1980, on verra apparaitre les narcotiques anonymes (NA), et plus tard les outremangeurs anonymes et les émotifs anonymes. Des groupes plus revendicatifs composés de personnes atteintes du sida émergent progressivement. La déclaration fondatrice de la Coalition des personnes atteintes du sida en 1985 est un exemple de la volonté des malades de participer aux débats sur les questions qui les concernent et d’influencer la manière dont les professionnels de la santé travaillent. Suivant leur exemple, d’autres associations d’usagers de services vont s’impliquer dans la réflexion autour des questions de santé publique [6].

On peut replacer tout ceci dans un contexte historique post Mai-68 qui voit la création des maisons médicales, des centres de planning familial, des boutiques de droit, des écoles alternatives, des associations de consommateurs et, en ce qui concerne la santé mentale, des centres de santé mentale, des centres de jour, des centres de réadaptation fonctionnelle, mais aussi le réseau international Alternative à la psychiatrie dont est issu L’Autre « lieu ».

Parler, partager

Aujourd’hui, nous nous trouvons devant une multitude de propositions : groupe d’entraide, club de loisirs, groupe de parole ou d’autosupport, groupe de self-help, club d’usagers, etc. Tous singuliers dans leur référence, modèle et finalité.

Un groupe de soutien/de parole/d’entraide est un groupe de personnes qui s’aident les unes les autres pour faire face à leurs difficultés, pour échanger sur leurs vécus et parfois pour changer des comportements ou des habitudes. Le principe est de parler de ses problèmes en présence de ceux qui traversent les mêmes épreuves afin d’aller mieux, sans culpabiliser. On peut distinguer ceux dont l’objet vise une amélioration de la santé mentale et ceux qui ont aussi un effet sur elle, mais en surcroît. Les groupes qui s’occupent des dépendances notamment, que cela soit dans une optique d’abstinence ou de réduction des risques. L’objet est le produit, mais il va avoir un effet – secondaire – positif sur la santé mentale. Les groupes sont animés soit par des pairs, soit par un professionnel pour lequel se pose la question du niveau de parole et de la distance professionnelle. Généralement, comme l’indique Jean-Claude Métraux [7], les mots du professionnel sont une « parole monnaie » : parler pour communiquer des informations (un diagnostic…), des injonctions, des banalités. La relation reste distante, il ne donne pas grand-chose de lui, il ne prend pas de risque. Mais souvent ce même professionnel a le désir d’accéder à un autre niveau d’échange et est en demande vis-à-vis de l’usager d’une parole plus intime, où il donne de lui, de son identité. C’est la « parole précieuse ». Parole monnaie contre parole précieuse, est-ce bien équitable ?

Rencontrer, échanger

Ce qui relie tous ces groupes d’hommes et de femmes, c’est le besoin d’être soutenu, de rencontrer des personnes qui ont des ennuis, des problèmes similaires aux leurs, d’entendre des pistes de réponses, des trajectoires de vie vers le rétablissement, de sortir de la solitude et de la rumination en solo. Souvent, leur fréquentation est suggérée par un professionnel de la santé ou par l’entourage, la famille, les amis. La participation à certains groupes requiert un travail approfondi de réflexion et d’introspection.

Certaines réunions sont ouvertes à l’entourage de l’intéressé, ce qui permet de prendre conscience de la situation dans laquelle il se trouve. Des postes à responsabilités permettent le bon déroulement des réunions : trésorier, littérature, café et collations, organisations de séminaires. Cela peut paraitre minime, mais ces postes peuvent aider à s’accrocher sur le chemin du rétablissement et renforcer progressivement la confiance en soi. Parfois, un système de parrainage est encouragé, notamment dans les groupes qui s’occupent de dépendances. Le parrain ou la marraine aide le membre via des partages de vécus, parfois des explications, une écoute et des conseils. C’est une relation privilégiée.

Au sein des groupes dont l’objet est soumis à des stéréotypes sociaux négatifs et entraine des phénomènes de stigmatisation (AA, NA, troubles mentaux, ex-détenus, etc.), la confidentialité et l’anonymat sont assurés pour permettre aux personnes d’assister aux réunions sans crainte de répercussions sociales.

Bien que chaque vécu soit unique, les participants partagent un socle commun (mêmes souffrances et douleurs, solitude, manque, isolement, rupture familiale et sociale, abandon, etc. ; mêmes réactions et mêmes obstacles), des réalités similaires et un vocabulaire commun, ce qui va permettre une meilleure compréhension. Fréquenter un groupe peut procurer un plus grand sentiment d’appartenance et faire que l’on se sente mieux compris et plus normal.

Enfin, ces groupes d’entraide sont des lieux d’ouverture, d’échange et de soutien où s’applique une autoassistance paritaire via les partages de valeurs et de vécus. C’est parfois l’opportunité de se décharger de quelque chose d’insupportable, voire ingérable. Le partage d’expérience permet d’élaborer des solutions concrètes pour mieux rebondir et mieux vivre. Chacun peut partager sans culpabiliser sur son propre parcours. Dans les réunions, il est souligné que les partages se font dans le non-jugement et le respect mutuel afin de garantir l’ouverture d’esprit, de rendre possibles les échanges dans une ambiance bienveillante tout en respectant la parole d’autrui. Outre le soutien affectif et pratique, ce sont aussi des lieux où l’on bénéficie d’un partage d’informations et de connaissances.

S’apprivoiser et se mettre en récit nécessitent un certain temps et espace. Chacun à son rythme va permettre de se définir de façon acceptable pour soi et, de là, savoir mobiliser ses ressources propres et celles de l’entourage via des valeurs collectives. Cela favorise des facteurs de protection tels que le support social – contrairement aux paradigmes médicaux – qui accompagne les personnes par rapport à leurs déficits. Les groupes d’entraide vont miser sur le capacitaire, reconnaitre aux personnes elles-mêmes une capacité aidante, même si elles se trouvent encore dans des difficultés ou souffrances, et éviter toute misère de position.

[1La Classification internationale des maladies (CIM, publiée par l’OMS) et le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM, créé par l’Association américaine de psychiatrie) sont des classifications standard des maladies mentales.

[2J. De Munck, « « Folie et citoyenneté », Sciences humaines, n° 147, mars 2004.

[3L’Autre « lieu » - RAPA, Une démarche collective d’élaboration de savoirs en santé mentale, rechercheaction sur la psychiatrie et les alternatives, 2012. www.autrelieu.be.

[4https:// alcooliquesanonymes.be.

[5L’indistinction entre les soignants et les soignés est l’une de ses caractéristiques. En France, l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (autour du Dr François Tosquelles), les cliniques de La Borde (Dr Jean Oury) et de La Chesnaie (Dr Claude Jeangirard) en sont les lieux emblématiques.

[6Psytoyens, Comprendre, créer et faire vivre une association d’usagers en santé mentale, www.psytoyens.be.

[7J.-Cl. Métraux, « Nourrir la reconnaissance mutuelle », Le Journal des psychologues, 2007/9 n° 252.

Cet article est paru dans la revue:

mars 2021 - n°94

Les nouvelles figures de soins

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

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