Le médecin du travail (MT) et le médecin généraliste (MG) visent tous deux à maintenir et à promouvoir la santé de la population. Pourtant, l’action synergique des deux professions s’avère une évidence qui ne se rencontre qu’insuffisamment sur le terrain...
Un mémoire de fin d’études fut consacré en 2000 aux relations entre médecins du travail (MT) et médecins généralistes (MG) dans la prise en charge des travailleurs en Belgique. Cette étude portant sur 234 généralistes et 174 médecins du travail a démontré le besoin de renforcer les contacts entre les deux catégories de praticiens [1]. L’image du MT est floue : est-il en charge du contrôle de l’absentéisme ? Est-il indépendant de l’employeur ? Puis-je lui dévoiler tous mes antécédents ? Quels tests sanguins réalise-t-il et pourquoi ?…
Le médecin du travail est un médecin imposé aux salariés ; il se doit donc de gagner la confiance et de démontrer son indépendance tant vis-à-vis de l’employeur que des travailleurs et de leurs représentants, qualité essentielle et indispensable, pour remplir ses missions définies dans les arrêtés royaux du 27 mars 1998 relatifs aux services internes et externes de prévention et de protection de santé au travail et du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de santé des travailleurs :
Le médecin du travail est en charge d’analyser les conditions de travail dans un souci de prévention des risques pour la santé et la sécurité des personnes et de dépistage de nouvelles situations (nouveaux produits, nouveaux processus de fabrication). Ceci se fait en collaboration avec les autres acteurs de la prévention en entreprise si celle-ci a une taille suffisante ; parmi eux, le conseiller en prévention interne, les représentants de la ligne hiérarchique et des travailleurs. Dans les toutes grandes entreprises, il se comportera comme le médecin spécialiste de la surveillance de santé sur les lieux de travail. Dans les petites entreprises, le médecin du travail est bien souvent le seul acteur du secteur de la prévention et son rôle est à comparer à celui du médecin généraliste : il doit avoir une connaissance générale de tous les aspects en rapport avec le bien-être au travail afin de pouvoir répondre à toutes les questions posées.
Le MT examine les travailleurs sur base de l’analyse des risques observés au poste de travail. Les risques pris en considération sont les suivants :
Evaluation de santé préalable à l’affectation
L’évaluation préalable a pour objet d’examiner le candidat en vue d’estimer son aptitude à exercer l’emploi proposé, se basant sur les risques liés au poste de travail. La réalisation de tests de dépistage du SIDA ou de tests génétiques est proscrite par la loi sur les relations du travail [2].
Il convient, à ce stade, d’évoquer l’indépendance technique et morale du MT ; en effet, certains candidats peuvent avoir tendance à masquer certains antécédents pour obtenir l’emploi espéré. Ce bénéfice immédiat risque d’avoir des conséquences retardées sur la relation de confiance au sein de l’entreprise et sur sa santé [3]. Le MT doit susciter la confiance et pouvoir s’informer auprès du MG dans le respect des droits du patient. Ce dialogue permettra d’éviter tout malentendu qui serait la conséquence d’un non-partage d’informations.
Evaluation de santé périodique
L’aspect le plus important de cet examen est sans conteste l’anamnèse professionnelle qui permet de s’enquérir du vécu du travailleur par rapport à son poste de travail, au sens large, englobant l’environnement et les relations de travail. Au cours de cet examen, il s’agit aussi de s’intéresser aux risques émergents afin d’éviter de renouveler l’historique des expositions à l’asbeste, pour lesquelles le parcours professionnel était peu ou mal documenté [4]. Nous pensons à la nécessité d’établir un inventaire des expositions aux nanotechnologies [5] ou aux fibres céramiques [6]. L’examen clinique est complété de tests orientés plus spécifiquement vers certains risques professionnels ; ces tests doivent être réalisés en fonction de l’exposition récente et non par obligation du respect de la législation.
Examen dans le cadre de la reprise du travail après accident, maladie ou accouchement
Toute personne assujettie à la surveillance de santé, qui est absente pendant 4 semaines doit passer un examen de reprise du travail auprès du MT. Cet examen a pour but de vérifier si elle dispose des aptitudes à reprendre son poste de travail ou s’il est nécessaire d’adapter les conditions ou l’horaire de travail. Pour rendre cet avis, le médecin du travail devrait disposer des informations disponibles chez le médecin traitant, à propos des examens complémentaires. Le contexte juridique de ce type d’examen est fort structuré et les conséquences sociales de la décision que prend le médecin du travail peuvent être lourdes. En effet, la reprise du travail peut être imposée par le médecin-conseil de la mutuelle. Il est important de préciser que cette décision est prise en fonction du dernier poste occupé, au cours des 6 premiers mois d’incapacité et au-delà de cette période, en fonction du marché général de l’emploi. C’est pourquoi dans ce dernier cas, le risque est grand pour le patient d’être licencié vu l’impossibilité de l’affecter à un autre poste dans l’entreprise, ce qui devient de plus en plus fréquent. A nouveau, l’échange d’informations entre MT et MG dans l’intérêt du travailleurpatient prend tout son sens.
Dans le contexte de ce type d’évaluation, deux remarques importantes :
Contrôle de l’absentéisme
Le médecin du travail n’est pas en charge du contrôle du bien-fondé de l’absence pour raison de santé, rôle dévolu au médecin contrôleur. S’informer auprès du médecin traitant des circonstances susceptibles d’être à l’origine de l’absence et de l’évolution de santé est autorisé (avec pour objectif d’apprécier l’efficacité du programme de prévention, de dépister les maladies professionnelles, de favoriser la réinsertion professionnelle).
Prescription de médicaments, d’examens dans la sphère privée
Le médecin du travail n’est pas le médecin traitant du travailleur et n’a donc pas vocation à prescrire des médicaments ou des examens, des certificats ou des examens d’ordre privé.
Le MG est bien entendu une personne de confiance pour ses patients qui pourront relater les difficultés vécues au travail, que ce soit d’une façon générale ou en relation avec un problème plus spécifique. Il ne doit aucunement hésiter à contacter le MT en direct ou au travers de son patient.
Lorsque le travailleur prend sa retraite, il perd tout contact avec le MT ; il faut savoir que le dossier de santé au travail doit être conservé par le service de médecine du travail pendant une durée pouvant aller jusque 40 ans pour l’exposition aux substances cancérigènes. Beaucoup de substances ayant des effets retardés, les symptômes sont susceptibles d’apparaître de longues années après l’exposition et donc, dans le champ de la médecine générale. La connaissance de ces symptômes doit être renforcée chez les MG puisque certaines pathologies peuvent survenir 30 à 40 ans après l’exposition (exemples : le mésothéliome et le cancer bronchopulmonaire en cas d’exposition à l’amiante [8]).
Pour établir ce suivi longitudinal de la santé de leurs patients au-delà de leur activité professionnelle, il est nécessaire de développer un document de liaison entre MT et MG identifiant les risques professionnels auxquels ils ont été exposés.
Le MG doit savoir qu’il a le droit et le devoir, comme tout praticien, de déclarer au Fonds des Maladies Professionnelles (FMP) toute suspicion de maladie professionnelle [9]. L’épidémiologie des pathologies liées au travail est à coup sûr un élément de santé publique à développer et cette institution est l’organe le plus adéquat pour recenser toutes ces pathologies [10].
Par ailleurs, le FMP développe aussi un programme de prévention des maux de dos pour favoriser la reprise du travail de salariés travailleurs en incapacité ; il doit être porté à la connaissance des MG pour favoriser le retour au travail des patients lombalgiques.
Les champs de collaboration entre MT et MG sont nombreux. Outre ce qui a été présenté ciavant, il convient d’insister sur les aspects suivants :
Méconnaissance du rôle du médecin du travail
Le médecin du travail tire son indépendance de l’exercice plein et entier de ses missions, telles qu’elles sont fixées par le cadre juridique dans lequel il évolue et par le code de déontologie qui s’impose à lui en toutes circonstances [11]. Le MT ne communique que les éléments en rapport avec les conditions de travail en s’abstenant de dévoiler quelqu’élément couvert par le secret médical.
Ignorance de l’identité du médecin du travail et difficultés de contact
Un reproche fréquemment formulé est la difficulté d’identifier le service externe et le médecin du travail. Bien qu’un document d’identification soit effectivement porté à la connaissance des travailleurs dans leur entreprise, ou que le formulaire d’évaluation de santé sanctionnant l’examen soit signé et cacheté, il faut reconnaître que cela constitue un problème sur lequel un groupe de travail se penche au sein de la Société scientifique de Santé au Travail en Communauté française (www.ssstr.be).
Sous-estimation du curriculum laboris
Dans l’anamnèse, les antécédents professionnels sont rapidement survolés, le MG n’accordant en général pas l’attention suffisante aux risques générés par le métier ou par l’environnement au sein de l’entreprise [12]. Pour établir un suivi longitudinal de la santé de leurs patients au-delà de leur activité professionnelle, il est nécessaire de développer un document de liaison entre MT et MG identifiant les risques professionnels auxquels ils ont été exposés.
Cette phrase veut illustrer les intérêts communs des MT et des MG. Cette collaboration ne peut se développer que par une meilleure connaissance du rôle de chacun. Les MT peuvent participer aux programmes de formation continue des MG pour faire connaître cette belle profession et ses nombreux axes d’intérêt.
SPF Emploi et Concertation sociale : www.emploi.belgique.be
Société Scientifique de Santé au Travail : www.ssstr.be
Fonds des Maladies Professionnelles : www.fmp.fgov.be
Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies : www.inrs.fr
[1] Detry MP., Etude des relations entre médecins du travail et médecins généralistes dans la prise en charge des travailleurs, Mémoire ULg, 2000.
[2] Article 3 de la loi du 28 janvier 2003 sur les relations de travail.
[3] De Brouwer C., La médecine dans l’entreprise, Louvain-la- Neuve, De Boeck, 1997.
[4] De Brouwer C., Le problème de la santé au travail, Paris, L’Harmattan, 2008.
[6] Publication du Conseil Supérieur d’Hygiène n° 819, Avis concernant les fibres céramiques réfractaires, mars 2007.
[7] Plante R., Bhérer L., Les examens médicaux systématiques en rapport avec le travail : serventils vraiment la prévention ?, Archives des Maladies Professionnelles et de Médecine du Travail 2003 ; 7-8 : 502-10.
[8] De Vuyst P., Dumortier, Thimpont J., Gevenois PA., Pathologies respiratoires de l’amiante, Encycl Med Chir 2000 ; 6-039-U 10.
[9] http:// www.fmp.be/ fmpweb/fr/ formulaires_ fr01.htm. (10) http:// www.fmp.be/ fmpweb/fr/ rapports_annuels_ fr01.htm.
[11] Gosselin H., Aptitude et inaptitude médicale au travail : diagnostics et perspectives, Rapport pour le Ministre Délégué à l’Emploi, janvier 2007.
[12] http:// www.orspaca.org/ depot/pdf/09- SY01.pdf.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...