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ACTUALITE POLITIQUE

Mémorandum de la Fédération des maisons médicales : jalons pour le changement


1er mars 2014, Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones

Bientôt les élections, régionales, fédérales, européennes. Sur fond d’un grand bouleversement : la sixième réforme de l’Etat. Les enjeux pour la santé sont énormes, à tous les étages et différents acteurs envoient leurs constats, revendications et propositions vers le monde politique. La Fédération des maisons médicales a élaboré 10 jalons pour le changement au niveau des soins de santé primaires. Elle propose également de considérer la réforme de l’état comme une opportunité de changement et d’agir au niveau européen.

Les propositions de la Fédération

Le modèle capitaliste actuellement en cours dans notre société n’est pas compatible avec notre projet et détruit petit à petit la solidarité et l’équité. Nous sommes dans une société de concurrence où seuls les plus forts vont pouvoir s’en sortir.

La Fédération des maisons médicales souhaite un changement radical, mais pour l’obtenir, elle choisit de travailler au travers des réformes. Des jalons vers ce changement doivent être posés dès aujourd’hui. Nous proposons 10 jalons qui nous semblent prioritaires en fonction du contexte actuel.

1 Développer une sécurité sociale universelle et solidaire

Il est essentiel de garantir une sécurité sociale solidaire basée sur la plus large population possible au minimum le niveau fédéral en Belgique et idéalement au niveau européen. Il faut également lutter contre la marchandisation des soins de santé. Les services doivent s’adresser à tous, avec la même qualité, sans médecine à deux vitesses et selon un principe d’équité : de chacun selon ses moyens (à la source lors de la cotisation au système) et à chacun selon ses besoins (en aval lorsqu’on a besoin des services de santé).

Le financement de la sécurité sociale et celui des services de santé doivent être basés sur tous les types de revenus (capital, patrimoine et travail). Il est important de prendre en compte l’ensemble des richesses pour constituer une sécurité sociale forte et solidaire.

2 Agir davantage sur les déterminants de la santé et les conditions de vie

Pour améliorer réellement l’état de santé de la population, c’est d’abord sur les conditions de vie qu’il faut agir (habitat, enseignement, environnement…).

  • La promotion de la santé devrait être considérée comme un cadre interministériel « bien-être » qui prévoie que chaque nouvelle mesure politique soit soumise à la lecture de son impact en termes de bien-être pour la population et de lutte contre les inégalités sociales. Le ministre de la santé régional aurait la responsabilité de garantir une politique transversale en matière de santé. Cela devrait être réalisé au niveau régional (Cocom à Bruxelles), communautaire mais également au niveau fédéral. Un institut unique (qui pourrait être relié aux observatoires) pourrait avoir cette mission d’évaluation.
  • Dans ce cadre, des priorités doivent être fixées en termes d’actions régionales sur les déterminants de la santé. Des moyens dédiés aux soins devraient être transférés vers d’autres matières permettant de meilleurs résultats sur la qualité de vie.
  • Il est également impératif de décloisonner les secteurs afin de pouvoir mener des projets dans une perspective de santé globale. Un organe de concertation unique social-santé soutiendrait ce décloisonnement. Notamment, pour lutter contre les inégalités sociales de santé, il nous paraît indispensable :
    • D’attribuer l’individualisation des droits sociaux à tous les citoyens (supprimer le statut de cohabitant par exemple) ;
    • D’augmenter les minimas sociaux pour atteindre au minimum le seuil de pauvreté.

3 Renforcer la participation citoyenne dans le système de santé

Afin de connaître au mieux les besoins de la population et d’offrir les services les plus adaptés, la population doit pouvoir participer à l’élaboration des politiques de santé (et ce même si la participation citoyenne ne doit évidemment pas se substituer au devoir d’Etat). De plus, valoriser les personnes en prenant en compte leur parole et leur vécu aura pour effet d’améliorer le bien-être de la population.

Cette participation doit être organisée et encouragée à tous les niveaux du système : celui des services, des mutuelles, celui d’une concertation locale telle que mise en place dans la cadre de la réforme institutionnelle (voir plus bas), celui de la région et le niveau fédéral.

De plus, les actions communautaires en santé et leurs financements doivent être renforcés dans les services proches de la population à un niveau local, comme les maisons médicales et d’autres structures de service à la population, pour soutenir l’action collective des citoyens sur leur cadre de vie.

4 Mieux répartir l’offre de soins en fonction des besoins de la population

Aujourd’hui, certaines localités sont beaucoup mieux fournies que d’autres en termes d’offre de services de santé. Il est impératif de réaliser une programmation de l’offre de services en fonction des besoins qui seront mesurés suivant différents critères (offre existante, territoire, données socio-économiques, démographie, état de santé de la population…).

Un travail dans ce sens est en cours pour les maisons médicales (à Bruxelles, une recherche a été entamée pour les secteurs ambulatoires concernés par le décret Commission communautaire française. En Wallonie, une modification de décret va dans ce sens). Ce travail devra se construire en cohérence entre les régions (Bruxelles, Wallonie, Flandre) et s’étendre à d’autres types de services, ambulatoires et hospitaliers.

5 Reconnaître les pratiques multidisciplinaires et envisager les maisons médicales comme un secteur en croissance

Une reconnaissance des maisons médicales existe au niveau régional. Mais une reconnaissance des pratiques de groupe pluridisciplinaires en tant qu’institutions de soins doit également exister au niveau fédéral, source de financement principale pour les maisons médicales. Cette reconnaissance doit être assortie de critères et d’un agrément afin d’encourager la qualité et l’accessibilité pour tous.

De nouvelles maisons médicales doivent voir le jour afin de couvrir l’ensemble du territoire et de permettre à chacun de pouvoir s’y faire soigner. Pour ce faire, les agréments doivent être attribués à chaque fois que les critères sont rencontrés, et une aide à l’installation est nécessaire.

6 Renforcer la première ligne de soins et confirmer le virage ambulatoire

Le soutien à domicile va concerner de plus en plus de personnes étant donné l’augmentation des maladies chroniques et le vieillissement de la population. Il est donc impératif de renforcer la première ligne de soins et de transférer des moyens de la seconde ligne vers la première ligne et ce dans un souci d’efficience et de bien-être. Des mécanismes de transfert de ces moyens doivent être trouvés.

Un exemple dont la période pilote se termine actuellement : la réforme psychiatrique (psy 107). Il est impératif de renforcer les moyens destinés aux services de l’ambulatoire, et notamment les maisons médicales qui soignent énormément de patients ayant des troubles de santé mentale, afin de pouvoir garder au maximum les patients à leur domicile. Aujourd’hui, les maisons médicales n’ont pas de moyens supplémentaires alors que la charge de travail augmente considérablement.

Un autre exemple est le plan de reconstruction des hôpitaux, actuellement mis en œuvre en Wallonie comme à Bruxelles. Il est l’opportunité pour la réduction du nombre de lits et le transfert du financement de ces lits vers d’autres types de services, ambulatoires ou intermédiaires. Ce plan pourrait également inclure le financement de l’infrastructure immobilière pour le secteur de l’ambulatoire.

7 Renforcer l’attractivité des métiers de première ligne de soins et la rétention des professionnels

La pénurie des soignants de première ligne est réelle. Il est donc temps d’agir : Transformer la formation des soignants pour plus de pluridisciplinarité, plus de lien avec les réalités de terrain et beaucoup plus axée sur l’humain (par exemple : la sélection des étudiants ne doit pas se faire uniquement au niveau scientifique ; la formation doit comprendre un tronc commun interdisciplinaire et/ou des modules interdisciplinaires). Valoriser le financement des soignants de première ligne en harmonisant l’ambulatoire et l’hospitalier. Notamment, l’ensemble de la nomenclature doit être revue et particulièrement celle de de la profession infirmière. Egalement, réduire les écarts d’honoraires entre les médecins et notamment entre les généralistes et les spécialistes. Définir les rôles et tâches de chacun, entre la première et la deuxième ligne et entre acteurs de première ligne. Notamment, la revalorisation des fonctions de la profession infirmière en soins de santé primaires ainsi qu’un nouveau partage des tâches entre les infirmiers et les généralistes en première ligne vont dans ce sens. Favoriser les pratiques de groupe telles qu’organisées dans les maisons médicales, reconnaître le travail de coordination et soutenir les professionnels avec des fonctions administratives et de coordination afin d’améliorer les conditions de travail de soignants.

8 Améliorer et étendre le financement forfaitaire

Le financement forfaitaire pour les maisons médicales a été réformé en 2013 et il correspond davantage aux besoins de la population. Cependant, celui-ci est loin d’être parfait et il est primordial de poursuivre son amélioration. De plus, des critères doivent être définis pour les acteurs bénéficiant de ce mode de financement, afin de mieux garantir l’accès et la qualité des soins pour tous dans une logique non lucrative.

Afin de rendre les soins de santé les plus accessibles possibles et d’en maîtriser les coûts, il est nécessaire d’étendre le financement forfaitaire aux autres acteurs de soins. Certaines mesures récentes vont dans ce sens. Une première étape sera d’attribuer automatiquement le Dossier Médical Global à l’ensemble de la population afin notamment de pouvoir la titulariser et d’augmenter la qualité des soins.

9 Intensifier la recherche en soins de santé primaires

Les soins de santé primaires sont bien spécifiques et nécessitent comme les autres types de soins de la recherche pour améliorer leur qualité et valoriser leur rôle au sein du système de santé. Ces recherches permettront de mieux définir les besoins des populations et des professionnels, de nourrir les organes de concertation et de contribuer à une planification rationnelle des moyens à investir et à la manière de les organiser dans le champ de la première ligne de soins.

10 Développer une politique du médicament efficiente

La première démarche concernant la politique du médicament serait d’en réduire les usages non nécessaires. Un travail de sensibilisation est nécessaire auprès des professionnels comme des citoyens sur ce point : des problèmes de santé peuvent se résoudre par d’autres voies. L’information concernant les médicaments, sous toutes ses formes, doit également être sévèrement contrôlée.

La deuxième démarche concerne le coût du médicament, tant pour la sécurité sociale que pour les usagers. Nous prônons la mise en place d’appels d’offre pour le remboursement des médicaments les moins chers (inspiré du modèle « KIWI » [1]). Nous souhaitons que la prescription en dénomination commune internationale soit encouragée, ainsi que la possibilité de prescrire à l’unité.

Nous demandons que se développe une recherche indépendante de l’industrie. Des voies sont possibles pour leur contribution à une recherche non influencée.

Il n’est pas possible actuellement de connaître l’utilisation réelle des médications par la population. Nous demandons l’enregistrement de tous les médicaments délivrés, y compris en délivrance libre et médicaments soumis à prescription mais non remboursés, via le système Pharmanet. Ceci permettra un contrôle tant des prescriptions ou consommations abusives que des effets toxiques de certains d’entre eux (benzodiazépines, AINS, par exemple).

Réforme institutionnelle : une opportunité pour poser des jalons

La sixième réforme de l’Etat prévoit le transfert d’un grand nombre de compétences santé vers les régions/communautés. Gérer un tel transfert n’est pas un objectif en soi. Il s’agit d’organiser la gestion des matières de manière à ce que cela contribue à la qualité du service rendu à la population. Cette réforme peut être l’opportunité d’avancer dans certaines propositions citées ci-dessus.

Permettre plus de cohérence et de coordination

Ce transfert va nécessiter la mise en place de nouvelles structures de gestion. L’opportunité doit être saisie pour regrouper une série de compétences qui sont reliées entre elles (aide sociale, santé, personnes âgées, handicap), pour s’inspirer des modèles de concertation qui fonctionnent bien et pour réformer ce qui doit l’être.

Ces structures de gestion devront garantir la concertation des acteurs de santé, y compris les usagers, dans un équilibre qui donne au politique sa juste place (plus importante que ce qui se passe actuellement au fédéral). Les concertations nécessiteront de se faire par secteurs mais aussi de manière interdisciplinaire, inter-secteurs, rassemblant des acteurs concernés autour de problématiques de santé. La concertation devrait se faire tant au niveau régional qu’au niveau local pour connaître au mieux les besoins de la population. Pour ce faire, une territorialisation pertinente et tenant compte des réalités locales sera nécessaire. La concertation devrait se faire également dans une cohérence inter-régionale.

Elections européennes : agir en amont

Créer une sécurité sociale et une harmonie fiscale

Les frontières économiques de l’Europe n’existent plus depuis des années alors que les frontières sociales et fiscales existent toujours. Le projet européen doit également être social afin de garantir une plus grande justice sociale. Une sécurité sociale aura plus de chance d’être solidaire si elle s’appuie sur une population importante en nombre afin de répartir davantage le risque. Aujourd’hui, les pays européens sont en concurrence fiscale ce qui empêche toute avancée en matière de fiscalité plus équitable. Cette harmonisation doit se faire dans le sens d’une plus grande équité et non en nivelant par le bas.

Avancer vers des systèmes de santé non marchands

L’Europe influence déjà énormément les états en matière de services de santé. Nous demandons que ces recommandations ou injonctions, qu’elles soient directes ou indirectes (par le biais d’autres politiques comme budgétaire ou financière) se fassent dans le sens du développement de services à la population équitables, accessibles et sans marchandisation.

Cet article est paru dans la revue:

n° 67 - mars 2014

Etre né quelque part, la santé de l’enfant, approche multidimensionnelle

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...