Plusieurs acteurs de la santé publique en France viennent de lancer, suite à la « Nouvelle stratégie de santé » définie par le Gouvernement, un manifeste. La diffusion de ce manifeste dans nos colonnes est d’actualité : on y retrouve en grande partie les réflexions qui agitent, à l’occasion de la sixième réforme de l’Etat, les acteurs en promotion financés par la Communauté française Wallonie Bruxelles. Ceux-ci se sont déjà adressés aux décideurs en 2009 [1] et en 2012 [2], et se réunissent actuellement en plates-formes centrées sur les conséquences de la modification des compétences en cours. D’autres manifestes, rapports, déclarations circulent depuis plusieurs années dans le monde de la santé publique. Si ces mouvements restent nécessaires, c’est parce que les stratégies promotrices de santé se heurtent profondément à l’organisation dominante du monde de la santé, largement axée sur les soins curatifs ; et parce qu’elles confrontent l’ensemble des politiques à la nécessité de prendre des décisions donnant la priorité au bien-être de tous. A partir de leur contexte spécifique, nos collègues français rappellent l’urgence du changement.
Nous sommes des associations, des organismes, des professionnels ou des bénévoles qui œuvrons dans les domaines de la promotion de la santé, de la santé publique, de l’éducation pour la santé, de la santé communautaire, de la prévention des conduites à risque, de la santé sexuelle, et des politiques territoriales de santé.
Nous intervenons directement auprès de la population générale, des jeunes scolarisés ou au sein des communautés vulnérables. Nous accompagnons également des intervenants de première ligne et des élus locaux en leur apportant documentation, formation et soutien méthodologique.
Notre cadre de référence commun est la charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, adoptée par la France en 1986 [3], et ses cinq stratégies d’intervention :
Profondément concernés par l’évolution de la politique de promotion de la santé et de prévention dans notre pays, nous avons fait une lecture attentive de la feuille de route pour la Stratégie nationale de santé rendue publique le 23 septembre dernier.
Nous nous réjouissons de l’intention affichée de « Prioriser la prévention sur le curatif et agir sur les déterminants de santé » et nous partageons sans réserve l’analyse de la feuille de route : « Notre système de santé doit donner toute sa place à la prévention et à la promotion de la santé, outil négligé depuis des décennies, levier majeur de réduction de la mortalité et de la morbidité évitables, ainsi qu’à la prise en compte des déterminants de santé qui agissent en amont sur l’évolution de notre état de santé ».
En effet, avec beaucoup d’autres, nous faisons le constat que l’état de santé en France est caractérisé par l’opposition entre une espérance de vie très favorable après 65 ans et une mortalité « prématurée » (avant 65 ans), dite « évitable », élevée, accompagnée d’inégalités sociales plus importantes que dans d’autres pays d’Europe. Nous savons qu’une très grande partie des causes de mortalité et d’incapacité prématurées et des causes d’inégalités est déterminée par quelques facteurs de risque ou de protection. Il s’agit en particulier des conditions de vie et de travail, des compétences psychologiques et sociales et de la qualité des relations sociales, de l’alimentation et de l’activité physique et des consommations de tabac et d’alcool.
Il est maintenant démontré que la prévention durable de ces décès et incapacités est essentiellement liée aux évolutions des conditions de vie, des conditions de travail et des comportements. Comme le constate la feuille de route de la Stratégie nationale de santé, ces conditions dépendent en général d’autres secteurs que celui de la santé. Pour les faire évoluer, il ne s’agit pas seulement d’accroître les aptitudes individuelles en matière de santé. Il faut aussi faire évoluer le contexte social, politique, économique et les conditions de vie des personnes, dans un sens favorable à leur santé, c’est-à-dire concevoir des environnements matériels et sociaux qui non seulement ne mettent pas la santé en danger, mais aussi facilitent l’adoption et le maintien de comportements favorables à la santé. Il faut également conférer aux personnes concernées (habitants, élus, responsables d’établissements, militants associatifs…) un réel « pouvoir d’agir » sur les facteurs qui ont un impact sur leur santé et celle de leurs proches.
Nous sommes convaincus que promouvoir la santé dans les milieux de vie, c’est aussi prévenir durablement maladies et traumatismes. La promotion de la santé représente aujourd’hui un axe majeur de progrès possible en santé publique car elle peut influencer des déterminants essentiels de la santé et du bien-être tels que l’alimentation et l’activité physique, la vie affective et sexuelle, la santé mentale, les conduites addictives... Elle peut aussi aider à relever les défis que représentent la santé des enfants et des jeunes, la santé au travail, le vieillissement de la population. Elle peut contribuer efficacement à la prévention des causes évitables d’incapacités et de décès prématurés et à la réduction des inégalités sociales de santé par son action globale et positive. Il y a là une marge considérable de progrès en qualité de vie et en santé pour un investissement financier tout à fait raisonnable.
Nous constatons que des dynamiques de promotion de la santé en proximité ont émergé et sont actuellement à l’œuvre dans un certain nombre de communes, d’écoles, d’entreprises ou d’autres communautés de vie. Nous regrettons cependant que ces dynamiques qui, dans certains pays, constituent la première ligne d’une politique de santé et de bien-être, soient en France peu valorisées, peu soutenues et ne bénéficient pas d’une réelle reconnaissance législative ou réglementaire. Nous regrettons également que la participation du citoyen dans les choix et les actions qui concernent sa santé et sa qualité de vie soit négligée, même si une place est faite à l’usager du système de soins ou de prise en charge.
Nous proposons sept mesures pour favoriser le développement de la promotion de la santé dans les milieux de vie et ainsi relever le défi de la réduction des décès et incapacités prématurés, mais aussi celui des inégalités de santé qui y sont étroitement liées.
Les modalités d’organisation et de financement proposées contribueraient à la reconnaissance de la promotion de la santé et des activités d’éducation pour la santé, de prévention collective et de santé communautaire qui s’y réfèrent, en tant que missions d’intérêt général au même titre que les soins ou la prise en charge médico-sociale.
Enfin, nous constatons que la place de la prévention et en particulier de la promotion de la santé en proximité est beaucoup trop réduite dans la concertation actuellement engagée autour de la Stratégie nationale de santé. Nous demandons que ce déficit soit comblé :
[1] « Pour un renforcement de la promotion de la santé en Communauté française : plaidoyer des acteurs » publié dans Santé conjuguée n°49 juillet 2009.
[2] « La santé partout et pour tous. Plaidoyer pour une politique exigeante », Le Collectif des acteurs de promotion de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Publié dans Santé conjuguée le n°62 octobre 2012.
[3] OMS, Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, 1986.
n° 67 - mars 2014
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...