Il nous parait utile de préciser le cadre dans lequel les échanges ont eu lieu. Fondée en 1972, la maison médicale Norman Bethune est implantée dans la partie populaire de Molenbeek, une commune bruxelloise qui subissait à l’époque la mort de son riche tissu industriel adapté à une économie désormais obsolète et la destruction de son tissu urbain par les travaux du métro. Balafré, vidé de ses ressources, le « bas-Molenbeek » devint un lieu de passage pour les migrants qui investirent un habitat dégradé. Petit à petit pourtant, autorités locales et habitants s’employèrent à revitaliser la commune.
Au moment de « l’enquête » que nous vous présentons, le quartier est en pleine réhabilitation : les communautés issues de l’immigration ont posé définitivement les valises, les descendants des premières vagues, essentiellement du pourtour de la Méditerranée, sont maintenant les accueillants des nouveaux migrants venant principalement de l’Est ou de l’Afrique subsaharienne, dans un climat nettement moins agressif ou violent que ne le laisse supposer la publicité démesurée faite aux épisodes de frictions raciales. Espaces publics et bâtiments de logement sont rénovés, dans un environnement qui conserve un gabarit « humain » (les maisons familiales et les petits immeubles constituent le « gros » de l’habitat) et retrouve vitalité.
Les patients qui ont répondu aux enquêteurs représentent cette population : cosmopolite (le groupe le plus nombreux est d’origine marocaine), quasiment pas de belges « d’origine », des classes sociales plutôt défavorisées mais dont une partie est en phase d’ascension, malgré un taux d’emploi encore très faible. Une patiente souligne « Juste avec ta carte d’identité on voit où tu habites et tu as déjà une étiquette. On donne une mauvaise image de nos quartiers à la télévision. On ne montre pas assez de jeunes de chez nous qui essaient de s’en sortir, qui veulent étudier, qui vont dans les maisons de quartier, les mouvements de jeunesse, qui font du théâtre, de la gymnastique ». Pour elle, comme pour beaucoup d’habitants du quartier du vieux Molenbeek, la véritable émancipation sociale se joue « ailleurs ». Même si ailleurs on ne retrouvera jamais ce qui fait le charme du village Molenbeek : une certaine manière d’être voisins, des magasins, des couleurs, des saveurs, des bruits, des enfants de la rue…
n° 38 - octobre 2006
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...