Dans notre société où les familles se rétrécissent et où les centres d’activité se diversifient, l’entourage naturel des personnes âgées ou handicapées éprouve de plus grandes difficultés à les accompagner que par le passé. Pour remédier à ces problèmes, deux pistes sont à explorer : le développement de l’aide par des professionnels et/ ou des volontaires, à titre principal ou en soutien des aidants proches, et la reconnaissance légale des aidants proches, avec accès aux droits sociaux.
Naturellement et de tout temps, l’accompagnement de proches, rendus dépendants par le handicap et/ou le vieillissement est assuré par la solidarité familiale.
En effet, jusqu’à nos jours, le lien familial suffisait à donner la force et le courage nécessaires à bon nombre d’entre nous pour… ASSUMER.
Aujourd’hui, les familles dites élargies, dans le sens multi-générationnel du terme, disparaissent et la qualité de l’aide apportée à un proche dépendant doit cependant se maintenir, alors que le nombre de personnes solidaires diminue fortement.
La seule aide de l’entourage proche des personnes en perte d’autonomie ne peut que rarement suffire. Les aidants proches sont eux-mêmes déforcés par les multiples contraintes de leur propre existence (familiale, professionnelle et aussi personnelle).
Au côté des professions médicales (aspects thérapeutiques), les services d’aide et de soins, soucieux de s’adapter à l’évolution des besoins se développent constamment, diversifient leurs activités et se relayent auprès de la personne en perte d’autonomie et de ses proches.
Afin de permettre le maintien à domicile, ces acteurs professionnels et aussi non- professionnels prodiguent soins, aide et accompagnement à la personne aidée sans vraiment se connaître et/ou s’apporter une reconnaissance mutuelle.
Dans ces conditions, le risque bien réel constaté est celui de tensions pouvant nuire à la coordination des soins.
La reconnaissance est essentielle pour chacun. Elle passe par un statut professionnel pour certains, un statut de volontaire pour d’autres, parfois par aucune reconnaissance officielle autre que la gratification affective : citons ici la réalité particulière des aidants proches.
La reconnaissance affective mutuelle dans le meilleur des cas suffit-elle pour permettre aux aidants proches d’exercer leur fonction sans subir de préjudice ? Faut-il officialiser leur fonction et si oui, de quelle manière ?
Une personne qui naît porteuse d’un handicap ou qui contracte une maladie et/ ou une démence souffre d’un manque ou d’une perte d’autonomie dont découlent des besoins différents.
Quels sont ces besoins ? Quel est l’accompagnement qu’espère recevoir cette personne et de qui ? Souhaite-telle voir ses enfants, son conjoint ou ses parents prendre la casquette d’aidant ou d’aide soignant ? De quoi a-t-elle besoin pour préserver au mieux et le plus longtemps possible son intimité, une qualité relationnelle avec son entourage et son indépendance ?
Avant tous autres, face au manque ou à la perte d’autonomie d’un proche, les père ou mère de famille, conjoint, enfant, amis, apportent leur aide sans se poser la question d’un choix et cela en dehors de toute rémunération. Ces personnes sont plus généralement appelées « aidantes proches » : elles sont portées par les liens préexistants à la maladie et ne se posent pas spontanément la question des limites et de la juste place à prendre.
Définis par l’asbl Aidants Proches comme étant des « intervenants non professionnels auprès d’une personne fragilisée de leur entourage (enfant ou adulte) qui, en raison d’une maladie et/ou d’une déficience physique, mentale ou psychique, requiert une disponibilité importante et souvent aussi une assistance personnalisée pour les actes de la vie quotidienne. », ils accompagnent des personnes atteintes de dépendances très différentes.
A ce temps consacré à « aider », s’ajoutent leurs activités quotidiennes, leur vie sociale et familiale ainsi que leur activité professionnelle ce qui est inconcevable à long terme sans qu’en découlent pour l’aidant proche de nombreux préjudices :
• personnels (burn-out, maladie,...) ;
• relationnels (effritement de la relation amoureuse, isolement social…) ;
• professionnels (diminution du temps de travail, perte de revenu, licenciement, incapacité de travail...).
De surcroît, ces aidants proches pratiquent cet accompagnement en dehors de tout cadre juridique et de reconnaissance officielle. A un moment donné, naturellement ou malgré lui, l’aidant proche prendra conscience de ses propres limites et de son besoin d’aide. Demander de l’aide est gênant et culpabilisant à plusieurs niveaux.
Faire appel à des compétences professionnelles est culpabilisant et induit l’acceptation par l’aidant proche de l’impossibilité d’assumer tout lui-même, quelle que soit sa proximité relationnelle avec la personne aidée.
Le nombre d’aidants proches en Belgique est estimé à 9,37 %. Leur âge moyen est de 57 ans. 63 % d’entre eux sont de femmes. 37 % exercent un travail rémunéré, 28 % sont pensionnés, 20 % sont femme/homme au foyer et 7 % sont sans emploi. Seuls 40 % des aidants proches exercent un travail rémunéré de plus de 15h/semaine. Les aidants proches actifs professionnellement soignent de manière aussi intense.
La prise en charge familiale en Flandre, Iris De Coster, Anja Declercq, Chantal Van Audenhove, Bxl, 30 nov. 2007.
C’est au moment de cette prise de conscience et s’il ne recourt pas à une aide complémentaire qu’il est le plus susceptible de se laisser submerger. S’il abandonne c’est tout un système qui s’effondre et le maintien à domicile qui est mis en jeu. Quelle responsabilité !
Le professionnel de l’aide peut repérer et soulager la culpabilité de l’aidant en apportant une complémentarité « basse » telle que la conçoit Sylvie Pandelé (voir encadré). C’est un cap à passer, suite à la demande d’aide formulée par l’aidant proche et qui peut être grandement facilité par une diffusion de l’information la plus large possible.
Mise à disposition, tel un outil, l’aide professionnelle permet le développement d’une collaboration « d’égal à égal » dans laquelle chacun apporte ce qu’il est, ses compétences sans autre considération que celle du mieux être de la personne aidée.
Cela demande peut-être aux aidants proches de développer leur confiance vis-à-vis des professionnels de l’aide et à ceux-ci de regarder l’aidant proche, non seulement comme une personne à soutenir mais avant tout comme un partenaire d’aide et de soins qui puise aussi sa force dans la reconnaissance que les « autres » peuvent avoir de ses compétences.
« ... le mot ’accompagner’ est très riche étymologiquement. Il porte à la fois la marque d’un mouvement et d’une action : il s’agit de marcher avec quelqu’un, de se joindre à lui pour aller où il veut aller. Le terme ’accompagner’ inclut aussi l’idée d’une alliance dans une relation solidaire et symétrique. Il s’agit également de marcher du même pas, au rythme de l’autre pour lui laisser le temps dans ce qu’il cherche à dire et à faire. En n, ce concept inclut également l’idée de partage, ce qui est partagé étant de l’ordre de l’essentiel. ».
La grande vulnérabilité - Fin de vie/Personnes âgées/ Handicap - Esquisse d’une éthique de l’accompagnement de Sylvie Pandelé - Editions Seli Arslan, 2007 (pages 69 et suivantes).
Reste la question de l’accès pour tous aux aides et aux soins qui, à elle seule, justifie encore trop souvent la sous utilisation, par la personne en manque d’autonomie et de son entourage, des services professionnels.
En complément de la solidarité familiale et du développement des services professionnels, le volontariat s’organise pour apporter un soutien différent qui s’exprime principalement par la rencontre de quelqu’un d’extérieur qui n’est ni proche ni professionnel, une écoute une présence relais pour l’entourage de la personne aidée.
Définis par la loi relative aux droits des volontaires du 3 juillet 2005, les volontaires sont des personnes qui se proposent pour accomplir une mission :
1. exercée sans rétribution ni obligation ;
2. exercée au profit d’une ou de plusieurs personnes autres que celle qui exerce l’activité, d’un groupe ou d’une organisation ou encore de la collectivité dans son ensemble ;
3. organisée par une organisation autre que le cadre familial ou privé de celui qui exerce l’activité ;
4. qui n’est pas exercée par la même personne et pour la même organisation dans le cadre d’un contrat de travail, d’un contrat de services ou d’une désignation statutaire.
Le cadre légal apporté par la loi relative aux droits des volontaires est clair et ôte toute confusion possible avec une fonction professionnelle.
Pour exemples :
• La Croix Rouge de Belgique a mis sur pied le projet Hestia. Elle forme des volontaires qui proposent des visites de courtoisie à des personnes vieillissantes, les accompagnent dans certains de leurs déplacements et leur proposent des activités extérieures (Infos et contact : sandrine.boyals@redcross-fr.be).
• Télé-secours propose des séjours destinés aux personnes valides nécessitant de légers soins et aux personnes à mobilité réduite accompagnées. De nombreux volontaires assurent cet accompagnement (info et contacts : http://www.tele-secours.be/pages/ vacances.html).
Professionnels et volontaires peuvent compter sur un cadre légal pour limiter leurs fonctions, les investir mais aussi en sortir.
Tout aussi indispensables, ces personnes que l’on appelle « aidants proches » évoluent dans un contexte encore mal connu, souvent sans limites et duquel elles ne sortent que très rarement.
Etant donné l’ampleur et le temps consacré à l’accompagnement qu’ils procurent, il est normal que certains aidants proches aient dû en faire leur activité principale au point de considérer cette tâche comme leur seule activité « professionnelle » et d’avoir matériellement et psychologiquement besoin de revendiquer les droits qui en découlent.
Ce n’est pas pour autant que, s’ils avaient les moyens de choisir en toute confiance, la majorité d’entre eux ne délègueraient pas aux professionnels de l’aide une importante partie de leur rôle d’aidant pour pouvoir continuer à cultiver ce lien affectif, essence première de leur relation avec la personne aidée.
L’idéal serait peut-être de faire ensemble et surtout d’être ouvert à la collaboration.
Pour ce faire les incitants seront bien venus. Certains commencent à voir le jour comme par exemple :
• Le Photogramme récemment adapté à l’aidant proche : outil conçu par le service ’Aide à domicile en milieu rural’ permettant de réaliser un plan d’aide en veillant à soulager l’aidant proche tout en lui donnant une place de partenaire de soins ;
• L’outil de mise en relation nommé conçu et mis à disposition par l’asbl Aidants Proches a pour objectifs de susciter la même réflexion chez les différents intervenants qu’ils soient professionnels ou pas, d’identifier les interférences et de travailler le développement de complémentarités.
En plein questionnement, l’asbl Aidants Proches a commandé une recherche dont le rapport nal s’intitule « Reconnaissance légale et accès aux droits sociaux pour les aidants proches » [1]. Réalisée en étroite collaboration avec le Secrétariat d’Etat à la Personne Handicapée, la Fondation Roi Baudouin, le KenniscentrumMantelzorg et dirigée par le Centre de droits fondamentaux et lien social des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur et à la Vrije Universiteit van Brussel (Tempera), cette recherche a recensé les mesures existantes pouvant venir en aide aux aidants proches de personnes atteintes de grande dépendance et proposé pour chacune des pistes d’aménagements… Elle a aussi heureusement posé bien d’autres questions. Notamment celle de légiférer sur la reconnaissance d’une fonction issue de la solidarité familiale.
Si, de plus en plus valorisé, le maintien à domicile peut être un choix grâce au développement de nombreux services d’aide et de soins, le bien-être de la personne en perte d’autonomie ne serait pas concevable sans les actes indispensables posés sans compter par une ou plusieurs personne(s) de son entourage.
Il est donc essentiel, pour le renforcer et lui apporter une reconnaissance, de donner à l’aidant proche une place qui lui permet d’exprimer ses besoins et d’agir en tant qu’acteur dans le cadre d’une collaboration officielle avec les professionnels.
Aider l’aidant proche à déléguer tout en veillant à ne pas le déposséder et éveiller chacun à prendre une juste place pourraient être des clés d’accès à la liberté de choix essentielle pour conserver ou trouver le bien-être.
L’enjeu humain est fondamental, les réponses sont nombreuses, trop souvent mal connues, parfois inadéquates, certaines restent à créer… Nous lançons un appel à vos avis et expériences !
[1] http://www. aidants-proches.be/ fr/etudes.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...