On a l’habitude de voir un lien indissociable entre capital et capitalisme. Le capital est la richesse que le capitaliste accumule et rentabilise sans fin. Dans l’optique marxiste en particulier, il le fait en confisquant aux ouvriers leur droit à la plus-value. L’autogestion trouve sa source dans ce concept-là du capital. Car une fois propriétaires de leur outil de travail sous la forme coopérative, les ouvriers bénéficient souverainement, chacun et ensemble, de tous les produits de leur peine.
Les maisons médicales naissent, il y a 40 ans, à l’époque où critique sociale du capitalisme est actualisée par les profondes remises en question cristallisées par mai 68. Conscients que le changement de société ne viendra pas des mots mais de l’action, les fondateurs des maisons médicales choisissent de fonctionner en égalité salariale et en autogestion. L’égalité salariale au service de l’autogestion : à salaire égal, pouvoir égal ! L’autogestion au service de soins de qualité, à travers l’interdisciplinarité et une nouvelle place donnée au patient, dans le sens de plus de participation et d’autonomie. Dompté de la sorte, le vilain capital n’existerait donc plus en maison médicale...
Mais comment se passe cette reprise autogestionnaire du pouvoir ? Cet exercice de la liberté économique ? Comment se jouent-ils dans des petites organisations de services aux personnes en lieu et place de grandes manufactures ? Dans des collectifs avec des métiers plus ou moins qualifiés, plus ou moins spécialisés, c’est-à-dire à l’opposé de groupes dont tous les membres ont à peu près le même rapport au travail ? Et plus précisément, dans des métiers au coeur desquels on ne retrouve pas la soumission à la machine mais la relation de soins, voire le don de soi et l’engagement militant ?
Et surtout, en 2013, comment se fonde le sens de l’autogestion alors que le pouvoir économique auquel elle est censée faire pièce a complètement muté ? En 2013, la Fédération des maisons médicales verrait-elle le bateau « autogestion » perdre son cap ? « A contre-courant ! », disent de plus en plus de travailleurs. Il faut sauver le monde ou bien il faut sauver sa peau de travailleur ! Et c’est vrai, même les méthodes de management les plus participatives entérineraient le système hiérarchique comme seul valable. En 2013, l’autogestion, on est pour ou contre. Une chose est sûre, l’autogestion c’est difficile.
Et si s’interroger sur l’autogestion commençait par déboulonner ce lien au capital qui semble aller de soi ? Capital social, capital culturel, capital santé, capital écologique... On l’entrevoit, le capital est en fait un concept résolument pluriel, éventuellement plein de contradictions. Si le capital reste cette richesse dont la détention donne le pouvoir, un examen de ses diverses conceptions pourrait permettre de tirer des conclusions quant à l’exercice quotidien du pouvoir dans les maisons médicales, et quant à la place et au sens de l’autogestion à conquérir dans toute organisation qui cherche aujourd’hui à incarner une alternative. Ainsi, par exemple, si le capital de la maison médicale, ce sont aussi les relations entre les travailleurs, comment le préserver et le développer ? De même, comment prendre en compte la diversification des parties prenantes (pouvoirs publics, patients, soignants, direction, bénévoles, communauté...) à la gestion du ou des capitaux ?
Dans ce cahier, nous vous proposons de (re)questionner cette notion de capital, et ce qu’elle implique en termes de modes de gestion. Et nous allons le faire à travers un relevé et une analyse de la diversité des significations que peut prendre le capital en maisons médicales, en proposant quelques grilles de lecture élaborées à diverses occasions par des membres de la Fédération, grâce aux apports de regards extérieurs au monde des maisons médicales sur les notions de capital et d’autogestion ou encore par la confrontation des points de vue de professionnels des maisons médicales.
Christian Legrève et Ingrid Muller, équipe d’éducation permanente de la Fédération des maisons médicales
Thomas Lemaigre et Marinette Mormont, Agence Alter
Le capital n’est pas seulement lié à l’argent, il revêt bien d’autres aspects. Des aspects qui peuvent même parfois sembler contradictoires. Les problèmes et conflits autour de l’autogestion ne viendraient-ils pas d’ailleurs de ces contradictions, non explicitées et pas toujours conscientes dans nos représentations ? Mettre en lumière ces contradictions permettrait peut-être de pouvoir les dépasser, et donc d’avoir un regard plus lucide sur nos modes de gestion. Deux portes d’entrée dans ce premier chapitre, pour décrypter ce fameux capital : la première consiste en une lecture des sens du capital et des pratiques d’autogestion dans les maisons médicales à la lumière de la pensée de Pierre Bourdieu. Seconde approche : un inventaire d’un minimum de conceptions différentes du capital. Une manière de se réapproprier ce mot et de le (re)faire sien.
n° 63 - janvier 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...