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Acte et forfait : une même finalité


8 octobre 2020, Pauline Gillard

chargée d’études à la Fédération des maisons médicales

La Fédération des maisons médicales (FMM) a pour particularité de rassembler des maisons médicales financées au forfait et des maisons médicales financées à l’acte. Cette diversité constitue une richesse pour l’ensemble des acteurs, mais elle peut être aussi une source de tensions.

Depuis la création de la Fédération en 1981, les maisons médicales à l’acte ont toujours été sous-représentées. Cette répartition inégale des deux types de structures est intrinsèquement liée à l’histoire du mouvement qui, dès sa constitution, a plaidé en faveur d’un mode de financement alternatif au paiement à l’acte au sein des structures de soins de première ligne afin d’assurer une plus grande accessibilité aux patients et de renforcer la solidarité entre malades et bien portants (voir encadré p. 39). Aujourd’hui, la FMM compte 96 maisons médicales au forfait et 25 maisons médicales à l’acte. Une large majorité de maisons médicales affiliées (80 %) sont donc toujours financées au forfait. Les maisons médicales à l’acte représentent toutefois une proportion non négligeable et celle-ci a augmenté au cours des dernières années, passant de 12 % en 2012 à 20 % actuellement.

Aspirant à un système de santé fondé sur le développement d’activités de promotion de la santé, la prévention, la globalité ou encore l’interdisciplinarité, la FMM promeut le financement forfaitaire des institutions de soins de santé primaires et soutient le passage de l’acte au forfait des structures qu’elle fédère. Elle veille aussi à prendre en compte les besoins de tous ses membres et à fonder son plaidoyer politique sur les valeurs et objectifs qui les unissent, quel que soit leur mode de financement.

Il arrive pourtant que des maisons médicales à l’acte questionnent la place qui leur est réservée au sein du mouvement et mettent en cause les représentations qui circulent à leur propos : accueil d’une patientèle plus aisée, recherche du profit au détriment de la qualité des soins, absence d’actions en santé communautaire, etc. « On se sent souvent délaissés. Dans l’esprit de certains, le forfait c’est le modèle et ce que nous faisons, c’est un peu un pis- aller », témoigne un médecin d’une maison médicale à l’acte. Les professionnels de santé de ces structures pointent aussi la méconnaissance de leurs réalités de travail et de leur engagement à offrir des soins de première ligne accessibles à l’ensemble de la population.

Une recherche participative

La Fédération mène actuellement une recherche participative dédiée aux maisons médicales à l’acte. L’objectif est d’aller à la rencontre de professionnels et de pratiques qui s’estiment en retrait de ses préoccupations et de comprendre avec les principaux concernés les raisons qui les ont incités à opter pour ce mode de financement, de comprendre les réalités de travail qui leur sont propres et leurs besoins spécifiques. À la suite d’entretiens individuels avec des coordinateurs et des médecins généralistes, la Fédération organisera au cours du second semestre 2020 un focus group avec d’autres acteurs de ces structures pour approfondir les questions abordées lors de la première phase de la recherche. Le rapport final sera disponible sur le site de la Fédération en décembre 2020.

Le choix de l’acte

Les maisons médicales récemment créées en Région wallonne fonctionnent le plus souvent à l’acte [1]. D’après les professionnels interviewés, diverses raisons incitent les jeunes collectifs de santé à opter pour ce mode de financement.

- Dans les zones (semi) rurales, les médecins généralistes travaillant en solo sont souvent réticents à l’idée qu’une structure collective s’implante dans leur commune, a fortiori au forfait. Ils semblent redouter – et surestimer – la concurrence qui découlerait de la mise à disposition de pratiques de soins plus accessibles, alors même que la pénurie de généralistes est criante dans leur localité. « Nous ne sommes pas passés au forfait pour éviter de heurter la sensibilité des autres médecins. Si nous étions passés au forfait, les patients seraient peut-être venus plus facilement ici plutôt que de payer une consultation ailleurs », témoigne une gestionnaire de maison médicale à l’acte. Le choix de l’acte peut donc être posé dans le but d’atténuer la méfiance de prestataires externes. Il arrive pourtant que les relations avec ces confrères restent conflictuelles quelques années après la création d’une maison médicale.
- Le système de paiement à l’acte est mieux connu dans la population et susciterait moins de méfiance, en particulier dans les zones rurales. De jeunes collectifs avancent que le recours aux pratiques forfaitaires bousculerait les habitudes de patients attachés aux prestataires de soins qu’ils consultent de longue date. Choisir l’acte revient donc à garantir la liberté de choix des patients et à faciliter l’adhésion au projet d’une nouvelle maison médicale.
- Avant d’opter pour une pratique groupée, des professionnels de santé ont parfois exercé une activité rémunérée à l’acte. Convaincus des opportunités de ce système pour dispenser des soins de qualité et accessibles dans le respect de la philosophie de la FMM, ils ne souhaitent pas expérimenter le forfait. Certains désirent aussi maintenir leurs activités dans une autre structure de soins (polyclinique, centre de planning familial, etc.), ce qui est, sauf exception, incompatible avec une pratique forfaitaire en raison des conditions strictes qui l’encadrent (voir ci-contre).
- Enfin, la création d’une maison médicale au forfait exige de disposer de liquidités qui font souvent défaut dans les jeunes équipes. Il n’est donc pas rare que des structures fonctionnant à l’acte basculent quelques années plus tard vers le forfait. Les choses ne sont donc pas figées et l’acte offre la possibilité aux équipes convaincues dès le début par les avantages du système forfaitaire d’y recourir une fois que leurs rentrées financières se sont stabilisées.

Les modes de financement des soins de santé de première ligne

Instituée en 1945, l’assurance maladie-invalidité organise la prise en charge partielle du coût des soins de santé par la Sécurité sociale. Sous-tendus par des conceptions idéologiques différentes (médecine libérale vs médecine sociale), le financement à l’acte et le financement au forfait sont tous deux pensés lors de la création de la Sécurité sociale, mais seul le financement à l’acte entre en vigueur en 1945 [2]. Dès lors, quand les premières maisons médicales ont vu le jour au début des années 1970, leurs prestataires n’ont eu d’autre choix que d’être rémunérés à l’acte pour les soins qu’ils dispensaient. Leur revendication du paiement forfaitaire est finalement entendue à la fin des années 1970, suite à l’échec d’une grève des médecins s’opposant à l’instauration d’un contrôle démocratique sur les dépenses en soins de santé. Institué en 1982, le système de paiement forfaitaire sera mis en œuvre pour la première fois en 1984.

Le paiement à l’acte. Il s’agit du mode de financement des soins de première ligne le plus répandu en Belgique. Les professionnels de santé perçoivent un honoraire pour chaque acte (consultation, visite, etc.) qu’ils prestent. Dans ce système, deux cas de figure peuvent se présenter : soit le patient s’acquitte du montant total au moment de la prestation et il se fait ensuite rembourser une partie de ce montant par sa mutualité selon le tarif conventionnel (seul le ticket modérateur ou quote-part personnelle reste à sa charge) ; soit le patient s’acquitte uniquement du ticket modérateur et le prestataire transmet l’attestation de soins à l’organisme assureur qui lui paie directement le tarif conventionnel pour la prestation concernée. Ce deuxième cas de figure est le système du tiers payant qui permet au patient de ne débourser que le montant réellement à sa charge.

Le forfait. Le système de paiement forfaitaire est basé sur un contrat tripartite entre le patient, sa mutualité et une maison médicale. Il permet à un patient inscrit dans une maison médicale de bénéficier des soins administrés par un médecin généraliste et/ou un kinésithérapeute et/ou un infirmier sans contribution financière personnelle (hormis pour les actes techniques). Chaque mois, la mutualité paie une somme fixe par patient abonné, appelée « forfait à la capitation ». Ce montant, qui varie en fonction du nombre de patients inscrits et de leur statut d’assuré social, est alloué indépendamment du nombre de contacts établis entre le patient et la maison médicale. En contrepartie, le patient s’engage à ne consulter que dans ce centre de soins intégrés pour ses soins généraux de première ligne (sauf en cas d’indisponibilité des prestataires concernés).

Conformément au règlement de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) qui institue le forfait en 1982, et à l’instar des patients inscrits dans une maison médicale au forfait qui s’engagent à s’y rendre pour les soins de première ligne qui y sont dispensés, les prestataires de soins qui optent pour le forfait ne peuvent pratiquer à l’acte en dehors de l’institution dans laquelle ils travaillent (excepté dans les circonstances particulières d’une garde ou d’une urgence). Cette « double exclusive » vise à éviter de sélectionner les patients dans l’un ou l’autre mode de financement en fonction de leur état de santé.

Des réalités méconnues

À la lumière des entretiens réalisés, plusieurs représentations sur les maisons médicales à l’acte peuvent être nuancées.

- Il s’avère qu’elles brassent aussi un public mixte sur le plan socioéconomique et qu’une grande attention est portée aux personnes plus démunies (personnes précarisées, réfugiées, sans-papiers). Reconnues en tant qu’associations de santé intégrée (ASI) en Région wallonne, les maisons médicales à l’acte regroupent uniquement des professionnels de santé conventionnés, ce qui garantit un meilleur accès aux soins de santé. En outre, le tiers payant y est largement appliqué, le recours à l’aide médicale urgente est fréquent et les patients qui ont le plus de difficultés ne doivent pas s’acquitter du ticket modérateur. « Le fonctionnement à l’acte ne constitue donc pas un frein pour les patients qui ont peu de moyens », conclut la coordinatrice d’une maison médicale à l’acte.
- Comme les maisons médicales au forfait, les maisons médicales à l’acte témoignent d’une forte intégration dans la vie associative locale en nouant de multiples collaborations et partenariats. Des ateliers, conférences et campagnes de communication sont organisés en collaboration avec des centres de planning familial, des associations de jeunesse, des associations d’aide aux personnes âgées ou en situation de handicap, etc. Bien qu’ils soient plus difficiles à financer que dans le modèle forfaitaire, des projets en santé communautaire sont également menés sur des thématiques telles que les assuétudes, l’alimentation ou l’activité sportive.
- Enfin, les espaces de réunion de la FMM étant organisés par zones géographiques et secteurs professionnels (médecins généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, travailleurs psychosociaux…), il semblerait que les maisons médicales à l’acte aient peu de contact entre elles et que leurs équipes ne se connaissent pas ou peu. L’organisation d’un focus group donnera l’occasion à des acteurs engagés au sein de maisons médicales à l’acte de se rencontrer et d’échanger sur leurs représentations du monde et leurs réalités de terrain.

L’enjeu de l’étude en cours n’est pas de réalimenter la division entre maisons médicales à l’acte et au forfait. Au contraire, elle met en lumière leur appartenance à un même système assurantiel qui mise sur la solidarité pour garantir l’accessibilité des soins de santé de première ligne.

[1Cl. Van Tichelen, Maisons médicales : quels impacts sur l’accès aux soins de santé pour les personnes précaires ? Rapport de recherche de l’IWEPS n° 32, 2019.

[2P. Grippa, « Acte ou forfait ? Petit historique d’une confrontation », Santé conjuguée n° 3, janvier 1998.

Le pouvoir d'agir : saisissons-le !
Cet article est paru dans la revue:

n°92 - septembre 2020

Le pouvoir d’agir : saisissons-le !

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