La qualité des soins, au coeur de la grande majorité des plaintes dans les soins de santé est une notion très subjective. Parmi les différentes approches sur la qualité des soins, un point commun : la place centrale accordée à la relation interpersonnelle. Relation, regards différents, divergences, dialogue… Quels liens peut-on établir entre qualité et médiation ?
Toute discussion sur la qualité des soins est encadrée par la reconnaissance du droit humain fondamental qu’est le droit à la santé. Ce droit est défini dans de nombreux traités internationaux, à commencer par la charte de l’Organisation mondiale de la santé de 1946 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ( 1966 ). L’observation générale n°.14 sur « Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint » ( art. 12 du Pacte ) fut adoptée en 2000 pour aider les états parties à respecter ce droit et mettre en oeuvre des mesures permettant d’atteindre le « meilleur état de santé susceptible d’être atteint ». Cette observation définit quatre éléments qui composent le droit à la santé, et notamment l’élément qualité ( voir encadré ci-dessous ).
Ces traités, s’adressant aux états examinent avant tout les systèmes de santé au niveau national et ne répondent donc pas aux questionnements sur la qualité au niveau d’une structure de santé ou au niveau du patient.
Observation générale n° 14 : les quatre éléments du droit à la santé
La disponibilité : l’existence, en quantité suffisante, installations, de biens et de services ainsi que des programmes fonctionnels en matière de santé publique et de soins de santé.
L’accessibilité : les installations, biens et services en matière de santé doivent être accessibles à tous. L’accessibilité comporte quatre dimensions qui se recoupent mutuellement :
• la non-discrimination ;
• l’accessibilité physique ;
• l’accessibilité économique ;
• l’accessibilité de l’information.
L’acceptabilité : Les installations, biens et services en matière de santé doivent être respectueux de l’éthique médicale, appropriés sur le plan culturel et réceptif aux exigences spécifiques liées au sexe et au stade de la vie.
La qualité : Les installations, biens et services en matière de santé doivent être scientifiquement et médicalement appropriés et de bonne qualité.
La notion de qualité des soins est définie de manière variable. Cependant, toutes les définitions intègrent la manière dont les soignants et les structures de santé répondent aux besoins de l’individu et de la population afin de garantir leur bien-être, dans la mesure du possible.
Pour l’Organisation mondiale de la santé, une démarche de qualité des soins « doit permettre de garantir à chaque patient la combinaison d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats, et de contacts humains à l’intérieur du système de soins » ( 1982 ).
Avedis Donabedian ( 1919-2000 ), physicien et chercheur à l’école de santé publique de l’université du Michigan a développé dès 1966 un cadre pour évaluer la qualité des soins. En 1980, il proposait la définition suivante : « Les soins de haute qualité sont les soins visant à maximiser le bien-être des patients après avoir pris en compte le rapport bénéfices/risques à chaque étape du processus de soins. ».
Troisième définition régulièrement citée : celle de l’Institute of Medicine ( IOM ) des Etats-Unis. Il s’agit de la « capacité des services de santé destinés aux individus et aux populations d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ».
En 1997, la Fédération des maisons médicales a relevé les critères de qualité des soins proposés par la littérature sur les soins de santé primaires, un travail qui s’est largement référé au cadre et aux concepts développés par Donabedian [1]. Ce premier inventaire a été développé dans le cadre d’une rechercheaction menée pendant deux ans avec un groupe d’équipes. Un ‘carnet de bord en assurance de qualité’ a été élaboré, et reste central dans le cadre des formations toujours proposées aujourd’hui par la Fédération aux travailleurs des maisons médicales. Cet outil comporte notamment une liste de 14 critères : certains sont issus de la littérature tandis que d’autres ont été formulés avec les travailleurs ( de plusieurs disciplines, ce qui leur confère un intérêt particulier ) à partir de leurs valeurs et de leur expérience de terrain.
La qualité des soins comporte plusieurs dimensions, et Donabedian en propose trois : structure, processus, et résultats. Il place les considérations spécifiques liées au patient dans la dimension « processus ». Le modèle Institute of Medicine ( Crossing the Quality Chasm ) [2] propose les éléments de sécurité, efficacité, efficience, réactivité ( timely ), équité, et centré sur le patient. Ce dernier élément est issu d’un travail sur la qualité des soins du point de vue des patients élaborée par le Pickler/Commonwealth Program for Patient-Centered Care en 1988 [3]. Le cadre Pickler avait identifié les huit caractéristiques de qualité des soins qui sont les plus importantes du point de vue du patient :
• le respect pour les valeurs, préférences, et besoins exprimés par le patient ;
• les soins intégrés et coordonnés ;
• l’éducation et information claires et de haute qualité pour le patient et sa famille ;
• le confort physique, y compris la gestion de la douleur ;
• le soutien émotionnel et atténuation de la peur et de l’anxiété ;
• la participation appropriée des membres de la famille et des amis ;
• la continuité ;
• l’accessibilité.
Les aspects qui représentent la perspective du patient sont tout aussi importants dans une démarche qualité que les aspects « techniques » ou cliniques. La qualité du contact entre soignant et patient, l’information partagée avec le patient, la continuité des soins, la satisfaction du patient, ses préférences individuelles, le comportement du soignant doivent être pris en compte. La qualité perçue ou ressentie par le patient est complémentaire à la qualité délivrée par le soignant et par la structure, et doit être intégrée à une évaluation globale de la qualité des soins.
Le développement du mouvement des droits du patient ( et notamment l’élaboration en 1994 de la Charte d’Amsterdam au niveau européen, la loi belge,... ), le développement important du concept de « soins centrés sur le patient », les évolutions dans le champ de communication en santé, et le développement de processus spécifiques tels que la prise de décision partagée ( shared decision-making ) sont différentes manière de prendre en compte la place du patient dans une approche qualité.
Une approche centrée sur le patient n’implique pas la primauté du point de vue du patient. Les points de vue du patient et du soignant ou de la structure de soin peuvent ainsi se heurter, nécessitant une communication et si nécessaire une confrontation de ces points de vue. Dans cette approche centrée sur le patient, la médiation est complémentaire aux autres processus existants.
La médiation peut être particulièrement utile au niveau des soins de santé primaires : de multiples trajectoires de soins peuvent s’y déployer, et la perspective du patient devient essentielle pour développer un trajet de soins réussi. Elle permet un espace supplémentaire de communication et de résolution des conflits. En offrant cet espace de communication, la médiation renforce l’autonomie du patient – par ailleurs une des valeurs clé de la Fédération des maisons médicales. Elle est également une opportunité pour les professionnels de santé. Confrontés à une perspective complémentaire ou parfois divergente, la médiation les incite à réévaluer et parfois modifier leur mode de fonctionnement.
Il est difficile de mettre en évidence les liens de cause à effet entre une approche centrée sur le patient et les impacts sur la qualité des soins – et sur l’état de santé luimême. La dimension interpersonnelle de la qualité des soins, notamment l’instauration d’un climat d’écoute et de confiance ainsi que le partage d’informations est un facteur important qui contribue à l’état de santé et à la qualité de vie du patient - même si cela est difficilement mesurable. La communication dans le domaine de la santé est un champ de recherche relativement récent et même si certains liens sont clairs – diminution de stress suite à un échange, par exemple - les effets restent le plus souvent diffus.
Ainsi, le guide The Knowledgeable Patient : Communication and Participation in Health, publié en 2011 par le groupe Cochrane constate que « la communication est l’intervention la plus répandue dans le système de santé » mais note que l’evidence base reste encore à développer. Une revue Cochrane datant de 2011 a examiné plus spécifiquement les outils d’aide à la décision ( decision aids ), et a conclu que leur utilisation apporte au patient une meilleure perception des risques, un plus grand nombre de décisions compatibles avec ses valeurs, et un niveau réduit de conflit décisionnel interne.
Globalement, la littérature semble clairement indiquer l’impact positif d’une participation active de la part du patient. Nous pouvons en déduire que la médiation peut renforcer ce climat de confiance entre la structure de prise en charge et le patient, et ainsi faciliter la participation active de celuici. La médiation devient une méthode de communication parmi d’autres, qui rend la relation thérapeutique plus efficace, soutient le patient dans sa prise de responsabilité, et promeut une meilleure compréhension ainsi qu’une prise de décision partagée.
Le patient n’est plus considéré comme un simple usager de services, mais comme un partenaire à part entière dans la prise en charge de ses soins. En ce sens, la médiation, à côté d’autres processus renforce le positionnement du patient face à la prise en charge de son état de santé ; elle contribue donc à une démarche de qualité des soins.
En offrant au patient une opportunité supplémentaire de prise d’autonomie et même d’empowerment, et d’autre part, en permettant au soignant ou à la structure soignante d’améliorer son offre et son soutien face au patient, la médiation semble être un élément utile à la qualité. Au-delà des bénéfices pour l’individu, elle pourrait devenir un outil de suivi important, complémentaire aux autres outils de démarche qualité. Indépendamment de ce qui précède, il reste essentiel d’offrir un accès à la médiation qui permet à tout individu de « participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en oeuvre des soins de santé qui lui sont destinés » ( article IV de la Déclaration d’Alma Ata ).
Références
Hurlimann C., « Approche conceptuelle de la qualité des soins », adsp no.35, juin 2001.
Volck r ick E., « Médiation et santé : l’expérience belge », Revue de Prévention et de Règlement des Différends, vol 6, no. 1, 2008.
Counte M.A., Présentation « Health Care Quality Assessment » pour la Global Health Education Consortium.
WHO Quality of Care : A Process for Making Strategic Choices in Health Systems, 2006.
« La qualité des soins en France : comment la mesurer pour l’améliorer ? », IRDES DT n. 19, décembre 20.
Mc Question M.J., Hopkins J., Bloomberg School of Public Health, Presentation « Quality of Care ».
Tchagnaou H., Manuel synthétisé de formation des prestataires sur le concept d’assurance qualité des soins et services de santé, 2009.
Charte d’Amsterdam. Déclaration sur la promotion des droits des patients en Europe, www.patientevertriedung.lu/mmp/ online/website/menuvert/legislation/158/88_ FR.html
« Defining quality of care », Soc Sci Med, 2000 Dec, 51( 11 ) :1611-25.
Street RL, Campbell SM, Roland MO, Buetow SA, « How does communication heal ? Pathways linking clinician–patient communication to health outcomes », Patient Education and Counseling, Volume 74, Issue 3, March 2009, Pages 295–301.
Holmström I., « The relation between patientcenteredness and patient empowerment : A discussion on concepts », Patient Education and Counseling, Volume 79, Issue 2, May 2010, Pages 167–172.
Epstein R., « The Values and Value of Patient-Centered Care », in Annals of Family Medicine, Vol 9 no 2 March/April 2011.
« Shared Decision-Making – The Pinnacle of Patient-Centered Care », N Engl J Med 366,9, March 1, 2012.
Wig et al., « Investigating the use of patient involvement and patient experience in quality improvement in Norway : rhetoric or reality ? », BMC Health Services Research 2013, 13 :206.
Pathways from Communication to Health Outcomes : Mediators and Moderators, chapter 3.
[1] Lire Santé conjuguée, n°21.
[2] Institute of Medicine « Crossing the Quality Chasm », La qualité des soins en France : comment la mesurer pour l’améliorer ?, IRDES DT n. 19, décembre 2008.
[3] Shared Decision Making – The Pinnacle of Patient-Centered Care.
n° 68 - juillet 2014
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...