Quand les services sociaux se multiplient sur le terrain, certains très spécialisés dans les problématiques du quartier, quels champs d’action reste- t-il pour un assistant social en maison médicale ? Beaucoup plus qu’il n’y paraît...
Je suis assistant social à la maison médicale le Cadran depuis bientôt dix ans. Celle-ci est implantée dans le quartier populaire de Sainte- Marguerite à Liège. Un quartier où vivent des femmes et des hommes fiers qui résistent tant bien que mal à une crise économique que les médias nous présentent trop souvent comme récente et soudaine (comme si elle venait de naître !), alors que nous savons tous que cette crise a commencé durant les années 70 en mettant, dans nos régions, des milliers de personnes au chômage. Un quartier cosmopolite dont les faibles loyers demandés, en regard d’une piètre qualité du logement, attirent le primo-arrivant qui, dès qu’il voit sa situation « améliorée » s’empresse de le quitter. Un quartier déserté par l’investissement public et privé qui a vu se réduire une certaine mixité sociale. Un quartier abîmé par la folie urbanistique des années 70… Mais un quartier qui retrouve des couleurs et des forces vives au travers du travail de ses associations socioculturelles et de son comité de quartier.
J’ai d’abord travaillé 15 ans comme assistant social dans une maison d’hébergement pour personnes sans logement. La pénibilité, l’usure du temps et les limites de ce travail m’ont convaincu de donner ma démission. J’ai appris, c’était en 2001, que la maison médicale le Cadran désirait engager un(e) accueillant(e). J’ai postulé pour cette fonction et ai été engagé.
J’ai commencé ma carrière en maison médicale avec une quinzaine d’heures à prester à l’accueil. C’était encore la joyeuse époque où l’accueillant(e) n’était pas autorisé à participer aux réunions de coordination pluridisciplinaire hebdomadaire. L’infirmière sociale de l’époque a quitté la maison médicale et j’ai hérité de ses six heures hebdomadaires de social, qui au fil des années, sont devenues quinze heures ou plus si nécessaire.
J’ai donc été le premier assistant social spécifique engagé par cette maison médicale. Deux réflexions se sont d’emblée imposées à moi. La première est que j’étais engagé sur fonds propres. Ce poste d’assistant social n’était pas subsidié. La maison médicale a fait le choix de consacrer une partie de son revenu pour engager un travailleur social sans attendre un quelconque subside ou maribel social. Ce choix renforçait incontestablement mon statut dans l’équipe qui estimait avoir besoin de ces compétences en particulier. J’avais aussi la chance de bénéficier d’un statut contractuel solide en comparaison de celui de bien des travailleurs sociaux qui fonctionnent sur le quartier avec un contrat aussi précaire que la population avec et pour laquelle ils travaillent.
La seconde réflexion, qui s’avère être plutôt une question est de me demander ce qu’est un assistant social en maison médicale et de quoi sont constitués les éléments de son travail et de ses missions ? En outre, n’existe-t-il pas un risque que cette fonction se substitue aux différents services sociaux déjà présents et bien implantés sur le quartier Sainte-Marguerite ?
Pour répondre à ces questions, je me référerai d’abord à l’introduction de la « définition de la fonction d’assistant(e) social(e) » en maison médicale élaborée en 2006 par le groupe sectoriel « travailleur social » de la Fédération des maisons médicales : « Le rôle et la place du travailleur social en maison médicale ne sont pas toujours bien définis et intégrés dans l’équipe pluridisciplinaire soignante. La fonction peut être perçue différemment suivant la composition de l’équipe, la personnalité du travailleur social, le contexte social dans lequel la maison médicale est implantée… Les pouvoirs publics ne perçoivent pas toujours non plus l’importance de l’intégration d’un travailleur social au sein d’une maison médicale. Cette fonction n’est d’ailleurs financée par aucun pouvoir subsidiant. ».
Ces quelques phrases traduisent très précisément mon état d’esprit de l’époque (c’était début 2002) et le contexte professionnel dans lequel j’évoluais. N’ayant aucune référence, si ce n’est un contact très formel avec l’assistante sociale de la maison médicale la Passerelle qui a construit sa fonction avec les travailleurs de son équipe et selon le contexte social du quartier d’implantation de sa maison médicale, je me suis attelé à une démarche similaire en consultant mes collègues sur leurs visions du travail social en maison médicale… et j’ai bien évidemment reçu autant de réponses qu’il y avait de travailleurs. De leur côté, mes collègues m’ont testé. Ils m’envoyaient des « cas », des situations pas encore trop complexes. Des médecins me déléguaient régulièrement des patients, d’autres jamais. Bref, je tentais de faire ma place dans une équipe pluridisciplinaire apparemment satisfaite d’avoir un assistant social à disposition mais qui ne savait comment l’utiliser.
Pour ma part, j’étais moi-même encore dans le doute en constatant qu’il existait déjà sur le quartier plusieurs services sociaux. Était-il dès lors pertinent de créer un poste d’assistant social supplémentaire ? De plus, fallait-il donner auprès des patients l’information de la création d’un poste de travailleur social dans la maison médicale ou attendre une demande qui s’exprimerait par l’intermédiaire des thérapeutes ? Autrement dit, aller à la rencontre de la demande ou l’attendre ? Enfin, les échanges avec mes collègues laissaient apparaître que les problèmes sociaux les plus rencontrés étaient le surendettement et l’insalubrité des logements. Ce qui confortait mon sentiment que ces problèmes pouvaient chacun être pris en charge par les services sociaux qui intervenaient très spécifiquement dans ces matières sur le quartier.
J’ai finalement décidé de proposer à l’équipe et aux patients d’organiser des permanences sociales à raison de trois fois deux heures par semaine. Ma fonction d’accueillant m’a donné la possibilité de présenter mon nouveau travail à certains patients et de déjà poser les premiers jalons pour de futurs entretiens sociaux. J’ai ainsi commencé à faire du travail social individualisé.
Ces permanences sociales ont été (et sont toujours) d’une richesse inouïe en termes de rencontres et relations humaines mais aussi de par la multiplicité des problématiques rencontrées. Avec l’apparition d’un nouveau questionnement : mon mandat consistait-il à relayer la demande sociale vers le service spécifique en orientant la personne ? Pouvais- je envisager de faire de l’accompagnement et du suivi en fonction des personnes et de leur contexte social ?
Avec les années d’expérience qui commencent à s’accumuler, je peux répondre maintenant que l’assistant social en maison médicale est amené à développer un travail social généraliste qui se pose tout à fait bien en perspective avec la démarche de prise en charge globale du patient. Mon expérience actuelle modifie fondamentalement ma première perception du travail social en maison médicale. Il est pour moi maintenant tout à fait évident qu’un assistant social doit figurer au sein d’une équipe pluridisciplinaire en maison médicale tout en développant des collaborations avec les services sociaux concernés par une problématique ou un usager commun. Le manque d’accessibilité, face à une demande en constante augmentation, des services sociaux spécialisés fait que la réorientation de la demande s’avère être de plus en plus difficile et nécessite la mise en place d’autres stratégies dont l’accompagnement et le suivi par l’assistant social de la maison médicale, la collaboration avec les travailleurs sociaux d’autres services, les réunions de coordination entre travailleurs de différents services… Enfin, les personnes rencontrées dans le cadre d’une démarche sociale ne sont pas toutes en relation avec un service social et peuvent parfois hésiter à s’y présenter. Avoir la possibilité de rencontrer un assistant social dans leur maison médicale peut parfois les aider à accomplir concrètement cette démarche.
En maison médicale, le travail de l’assistant social se situe donc à plusieurs niveaux. Le premier est le contact direct avec le patient. Ce dernier aura été orienté par un thérapeute ou, ce qui arrive plus régulièrement, prendra rendez- vous à la permanence sociale. Le deuxième est une réponse directe aux sollicitations des thérapeutes de la maison médicale : demandes d’informations juridiques et sociales le plus souvent. Le troisième niveau est la collaboration avec un service social tiers ou un thérapeute de la maison médicale dans l’accompagnement ou le suivi d’un patient. Tout ce travail se fait au départ de la maison médicale, et donc de la première ligne.
Chaque problématique sociale appartient aux personnes qui les vivent individuellement, en couple, en famille… Mais de grandes tendances se précisent lorsque nous prenons du recul et le temps d’analyser ces problématiques : problèmes liés au logement (insalubrité, propriétaire récalcitrant, législation du bail, sans domicile fixe…), endettement, séparation, problèmes de couple et violences conjugales, candidats réfugiés politiques et sans-papier, placement en maison de repos, maltraitance, assuétude, pathologies psychiatriques, analphabétisme, sanctions de l’ONEM et du CPAS, solitude et absence de réseau social…
Le travail d’intervention de l’assistant social face à ces problématiques, consiste en service et suivi social, soutien psychologique, information sociale et juridique, orientation et réorientation, travail en réseau autour et avec la personne, médiation entre la personne et les services extérieurs, aide administrative, écrivain public…
Les problématiques rencontrées avec les années passant présentent hélas de plus en plus une détresse sociale aigüe qui renforce le sentiment d’exclusion sociale chez bien des personnes. Ce sentiment d’exclusion déstructure la personne et ses relations à l’autre et aux institutions en qui il voit une forme de contrôle social mis en place par un service social qui devient prédateur et non plus soutenant. Et c’est là que peut- être se dessine pour l’assistant social une tâche ou une mission du futur : comme tous nos collègues, nous sommes les témoins directs de situations de détresses sociales individuelles qui, comme je l’ai déjà écrit, présentent des caractéristiques communes sur lesquelles il serait très pertinent de se pencher. Cette réflexion s’est souvent posée lors de nombreux débats au sein du groupe sectoriel des assistants sociaux de l’intergroupe liégeois des maisons médicales mais aussi de différentes réunions pluridisciplinaires de ce même intergroupe. Mais tout reste encore à faire. Quelles informations récolter ? Comment ? Quels interlocuteurs contacter ? Quelles alliances solliciter ? Est-il possible pour l’assistant social de partir de situations individuelles pour encourager une démarche collective de la part de nos publics ou de la population du quartier ?
Un élément de réponse peut être apporté au travers des projets de santé communautaire développés par les maisons médicales avec leurs patients, mais surtout avec la population du quartier. A la maison médicale le Cadran, à l’initiative de patients de la maison médicale, nous avons participé à la création d’un lieu de convivialité [1] pour adultes sur le quartier en collaboration avec d’autres services sociaux du quartier. Un des objectifs de cet espace de rencontre est de donner à des personnes seules l’occasion de se rencontrer et de construire ensemble un projet (démarche toujours en cours). Un assistant social ne peut que participer à la construction et au développement de ce type de projet qui relève du travail en réseau et du travail social communautaire.
J’ajouterai enfin que ma fonction d’assistant social est admirablement prolongée par ma fonction d’accueillant (ou est-ce l’inverse ?). Etre régulièrement présent à l’accueil donne une nouvelle dimension à mon travail social et à mon statut de travailleur en maison médicale. Etre présent à l’accueil, c’est évidemment faire son travail d’accueillant, mais c’est surtout être présent à un endroit stratégique où circulent toutes sortes d’informations qui concernent les personnes, le quartier, la rumeur, le fait divers, les coups de gueule… bref un lieu où dialogue et échanges peuvent nourrir la réflexion et l’action du travailleur social en lien avec les patients et le quartier. Une expérience qui octroie implicitement, et pour ma part très explicitement, le statut de référent pour les relations extérieures de la maison médicale pour les contacts avec les services sociaux entre autres, les demandes d’information sur le fonctionnement de la maison médicale ou sur les missions et objectifs du mouvement des maisons médicales en général, voire avec le tout venant.
Je conclurai en écrivant qu’un assistant social en maison médicale est un témoin privilégié de son époque qui doit s’interroger sur ce qu’il a à transmettre et à relayer au niveau politique. L’assistant social en maison médicale ne peut se contenter de faire du service social individualisé même si celui-ci constitue une partie spécifique et non négligeable de son travail. Il doit encore développer, et je me réfère ici à nouveau à la définition de la fonction d’assistant(e) social(e), rédigée par le groupe sectoriel travailleur social de la Fédération des maisons médicales : « le travail de réseau : essentiel pour un service de première ligne qu’il soit médical ou social ; la participation à la prise en charge globale : c’est-à-dire incluant le déterminant sociologique plus adéquatement traité par les professionnels du secteur ; le travail social communautaire : pouvant être considéré comme une des branches du travail en santé communautaire ».
[1] Ce projet s’appelle le Baratchache. Y participent un médecin, une infirmière, une accueillante, un assistant social et des patients de la maison médicale le Cadran, quatre services sociaux et des habitants du quartier Sainte- Marguerite.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...