À toi Mon toit propose des solutions concrètes à des ménages disposant de faibles revenus. Via différents projets d’habitat groupé et un accompagnement social qui encourage solidarité, mixité, participation et ouverture sur le quartier, le service veut réduire progressivement l’intervention sociale de type professionnel au profit de formes d’entraides plus spontanées et naturelles.
A toi Mon toit accompagne des projets à Ath, à Chièvres et à Mons. À l’origine du service, il y a plus de vingt années d’expérience dans l’accompagnement en milieu ouvert de personnes en situation de handicap. Et un constat : le manque d’alternatives pour ces personnes en matière de logement. Quand la vie en institution n’est pas un choix et que la vie en totale autonomie est trop difficile, il faut pouvoir trouver le lieu de vie qui garantisse suffisamment de sécurité et rompe l’isolement, et cela sans l’ingérence quotidienne d’une équipe éducative et/ou paramédicale.
En 2011, l’occasion s’est présentée, par l’intermédiaire du Fonds du logement de Wallonie, de prendre en gestion un premier bâtiment à Mons pour créer un habitat groupé solidaire pour huit personnes isolées. Parce que nous ne voulions pas récréer une forme d’institution allégée et parce que l’inclusion restait notre finalité, nous avons naturellement opté pour l’ouverture à un public mixte, le plus varié possible. Un des logements a été adapté à une personne à mobilité réduite et un autre réservé à une personne présentant une déficience intellectuelle. Ceci complété par un logement intergénérationnel et trois studios ouverts à tout un chacun avec comme seule limite des ressources financières précaires ou modestes. Une condition toutefois essentielle pour intégrer ces logements : adhérer au projet. Vouloir connaitre ses voisins, passer du temps avec eux, s’entraider.
Cette condition peut sembler évidente et elle reste indispensable à nos yeux, mais il n’est pas toujours évident de s’en assurer. La crise du logement réduit en effet la capacité des plus pauvres à opérer un réel choix en la matière. C’est une réalité dont il faut tenir compte lorsqu’une nouvelle personne intègre l’habitat groupé. Depuis, d’autres projets comparables ont vu le jour à Chièvres et à Ath. Alors que la solidarité, la mixité et la participation sont restées des enjeux majeurs, l’intégration de l’habitat groupé dans son quartier s’est également imposée pour éviter que les groupes d’habitants s’essoufflent et pour leur permettre de puiser une énergie nouvelle dans leur environnement proche. Réciproquement, nous observons qu’un groupe d’habitants engagés et solidaires peut influencer positivement une dynamique de quartier.
Bien sûr, si toutes ces valeurs sont le moteur originel de nos projets, rien ne garantit qu’elles soient effectivement vécues comme telles au quotidien par chacun. Pour que les habitants de ces projets solidaires soient réellement une ressource les uns pour les autres, et pour que ce mode de vie permette de bien vivre chez soi, le plus longtemps possible, entouré d’un voisinage bienveillant, deux conditions nous semblent déterminantes : l’accompagnement du groupe par un service tiers, et l’alchimie des personnes qui composent le groupe.
Il est important que le cadre soit suffisamment clair pour que chacun s’engage en connaissance de cause dans le projet. Ce cadre, imposé par le service, précise ce qui est non négociable (les valeurs fondamentales du projet, les aspects pratico-pratiques liés aux infrastructures et au principe de gestion en bon père de famille). L’accompagnement d’un groupe commence dès sa constitution. Il permet aux candidats de faire connaissance, d’échanger sur leurs attentes et leurs craintes avant de s’engager. Il se poursuit tout au long de la vie du groupe et prend des formes multiples : réunions formelles, moments conviviaux, cogestion de projets, chantiers collectifs… Chaque groupe établit ses propres règles de fonctionnement, précise ce qui est attendu de chacun (en matière d’entraide ou de participation par exemple). Si chaque groupe place le curseur où il le veut et l’adapte au fil du temps et des expériences, une bonne communication est indispensable pour exprimer les désaccords et prévenir les conflits.
« Faire groupe », c’est aussi mener des actions et des projets communs : l’aménagement d’un jardin partagé, la création d’un compost de quartier, l’organisation d’une brocante, d’un marché de Noël… Ces projets apportent une plus-value à la qualité de vie du groupe ou sont délibérément tournés vers l’extérieur. Le groupe se cimente ainsi peu à peu. Le service d’accompagnement a également un rôle clé à jouer pour, selon les cas, initier, stimuler ou soutenir la convivialité. Que serait un groupe d’habitants organisé, fonctionnel et efficace s’ils ne prenaient pas plaisir à vivre ensemble ?
Vivre dans un habitat groupé, c’est d’abord une envie, une adhésion, un vrai choix de la personne, de la famille concernée. Un choix qui implique d’être prêt à travailler sur soi et à s’adapter à l’autre. Marthe Marandola et Geneviève Lefebvre énoncent les qualités d’un bon cohabitant [1] : la sociabilité qui s’équilibre à merveille avec la capacité à être indépendant ; l’empathie qui, pour éviter la tendance à trop se mêler de la vie des autres, trouve son complément dans la discrétion ; la responsabilité (reconnaitre ce qui lui revient sans en charger les autres) qui donne une équation formidable si elle est conjuguée à une souplesse d’adaptation ; la sincérité des attitudes et la franchise des paroles, combinée avec la douceur qui arrondit les angles et évite de blesser ; et enfin, savoir régler ses conflits et tourner la page, ce qui nécessite de les reconnaitre et les exprimer. Ces qualités ne sont jamais acquises une fois pour toutes et sont mises à l’épreuve du quotidien de la cohabitation, s’y développent, s’y façonnent. Faut-il rappeler que chaque habitant porte également sa propre histoire, son propre fardeau ? Difficultés financières, handicap ou maladie parfois, problèmes familiaux... Ces diverses formes de vulnérabilité ne sont pas toujours visibles et évoluent en cours de vie. Ainsi, quand le réseau familial et amical est particulièrement étroit, les voisins prennent d’autant plus d’importance, particulièrement pour la personne fragilisée par l’âge, le handicap ou la maladie. Cette solidarité des voisins peut être facteur de cohésion du groupe et valorisant pour les personnes impliquées.
À chaque habitant cependant de pouvoir poser ses limites (« Je suis disponible pour t’aider à te mettre au lit de temps en temps, mais je ne veux pas t’aider dans ta toilette », « Tu peux profiter de mon trajet en voiture pour faire tes courses, mais tu devras t’adapter à mes horaires »). À chacun de pouvoir oser dire ses besoins, demander de l’aide, exprimer son avis, entendre et accepter le retour de son interlocuteur (« Certains jours, je ne vais pas bien et je ne veux voir personne »). À nous, accompagnants, de mettre en place les conditions d’une communication respectueuse. À nous d’être garants si nécessaire du respect des libertés individuelles au sein du collectif. À nous de veiller à ce que les personnes qui en ont besoin puissent également être entourées du réseau de services professionnels nécessaires (infirmiers, repas, aides au ménage…) pour éviter que les voisins ne s’écartent de leur rôle. À nous d’aider le groupe à trouver et maintenir son équilibre. Vivre dans un habitat groupé solidaire et participatif, comme accompagner ce type de projet, c’est croire aux richesses de la diversité, c’est aimer les gens et leur faire confiance. C’est se remettre en question, se planter, se relever, recommencer. C’est célébrer tous les bons moments. C’est profiter des autres… dans ce que cette expression relève de meilleur.
[1] M. Marandola, G. Lefebvre, Cohabiter pour vivre mieux, JC Lattès, 2009.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...