Il y aura bientôt dix ans que Edouard Mairlot a quitté le centre de santé du Miroir. Celui-ci est né en 1980 de la rencontre entre un besoin et un désir. Le médecin nous livre aujourd’hui le récit de cette expérience qui se voulait pluridisciplinaire et la plus égalitaire possible. Des souvenirs qu’il évoque avec une certaine tendresse.
Au départ, il y avait la demande d’une infirmière sociale espagnole qui rencontrait de gros problèmes parmi les émigrés de son pays et demandait l’aide d’un médecin. Elle rencontrait le désir d’un médecin généraliste, sorti de l’université un an avant, de travailler en équipe pour mieux rencontrer les besoins d’un milieu pauvre. On put démarrer avec une kinésithérapeute, et bientôt un second médecin, au centre du quartier des Marolles à Bruxelles…
A l’époque, nous inspirant du GERM (Groupe d’étude pour une réforme de la médecine), on décida de s’appeler « centre de santé » plutôt que « maison médicale », pour insister sur la dimension pluridisciplinaire. Le centre serait « intégré ». Ce n’était pas innocent. Il rendrait ainsi de meilleurs services aux patients. Ne rêvait-on pas qu’un jour existerait un groupe de patients qui pourrait se développer avec un vrai droit à la parole ?
On se voulait aussi le plus égalitaire possible entre les « travailleurs » du centre. Parmi les toutes premières maisons médicales nées avant 1980, certaines poussèrent ce besoin d’égalité en assurant les mêmes revenus à chacun qu’ils soient ou non médecins. Ce besoin était lié à un style de vie plus ou moins profondément communautaire. Mai 68 continuait à inspirer… Au Miroir, cette recherche d’égalité s’est concrétisée de diverses façons.
Au niveau du travail quotidien, le partage de l’information concernant les patients du centre allait de soi. Si certains pouvaient poser des problèmes plus complexes, la réunion hebdomadaire était un moment privilégié pour partager l’information, l’analyser et prendre une décision commune si besoin. Mais c’était aussi l’occasion de partager les compétences techniques propres à chaque profession et d’élargir ainsi la formation de chacun à d’autres savoirs.
Dans les débuts, il n’était pas rare que l’infirmière, qui assurait encore un rôle d’accueil, puisse en écoutant les plaintes et l’histoire du patient, reconstituer une réelle anamnèse. Nombre de nos patients connaissaient aussi des problèmes sociaux. L’infirmière espagnole qui les voyait à domicile nous ouvrait à bien d’autres dimensions que ce qui était strictement santé.
Très nombreux étaient en effet ceux qui dépendaient du CPAS. Ce fut l’occasion d’un vrai travail d’équipe avec l’équipe des infirmières et des aides familiales du CPAS. Le médecin se mettait à leur service… et surtout à leur écoute. Puis vinrent, déjà, les premières coupes et la réduction des équipes, limitées strictement à leur travail… Mais tout cela permit aux gens du Miroir de faire l’apprentissage d’une prise en charge plus globale de nos patients au plan social. N’était-ce pas un objectif primordial des « centres de santé » ?
Peu après, l’infirmière espagnole - toujours elle - découvrira bien des cas de psychiatrie lourde, surtout parmi les jeunes, dont personne ne s’occupait. Le centre de santé du Miroir découvrira un hôpital psychiatrique particulièrement précieux pour les traiter et il intégrera bientôt les consultations d’un psychiatre de langue espagnole en ses locaux.
Pour réaliser un vrai travail d’équipe, on voulait en arriver à une réelle égalité lors de la prise de décisions concernant le fonctionnement et l’avenir du centre. Cela supposait un partage réel et complet de l’information, y compris au plan financier. Ces conditions remplies, prendre une décision se faisait aisément tout en respectant une stricte égalité entre chaque membre de l’équipe. Un vote, bien rarement utile d’ailleurs se faisait en accordant une voix identique à chacun(e).
L’égalité entre membres n’allait pas jusqu’à des rentrées financières identiques pour chacun(e). La différence entre salariés et indépendants fut respectée sur ce point. Mais quant aux relations entre les deux groupes il n’était pas question d’entrer dans des relations de subordination ou de pouvoir. Chacun accomplissait son travail selon des critères définis ensemble et en se faisant pleinement confiance, quel que soit le statut.
Mais comment assurer une réelle égalité, entre les seuls professionnels cette fois, pour la participation aux frais du centre ? Il ne s’agissait nullement d’exiger de chacun une participation identique : du médecin le plus occupé, à la doctoresse qui va accoucher durant l’année, et moins encore d’un kinésithérapeute par rapport à un médecin.
Un principe tout simple résolut ce problème : chacun participe aux frais du centre selon l’importance de ses rentrées. Une fois l’an, connaissant exactement la somme des dépenses de l’année, chaque indépendant communiquait le chiffre brut de ses rentrées durant cette même année. On se faisait confiance quant au chiffre d’affaire réalisé annuellement. Connaissant ainsi la somme des rentrées ainsi que celle des dépenses totales, un simple calcul fixait quel était le pourcentage de ces rentrées à destiner aux dépenses du centre. Ce chiffre tournait chaque année autour de 9-10%. Ce même pourcentage, appliqué aux entrées de chacun, fixait alors ce que chacun payerait concrètement pour couvrir les frais du centre, qu’il soit médecin plein temps, ou kinésithérapeute à temps partiel. Au nouveau venu, il n’était demandé aucune participation durant ses premiers mois de travail, tant que ses rentrées restaient insuffisantes.
Ce système fonctionna parfaitement durant toutes ces années et l’équipe ne connut jamais la moindre tension au sujet de questions d’argent.
Le centre utilisait des locaux loués, ce qui facilitait ce mode de fonctionnement. On sait qu’il y eut des problèmes là où les fondateurs étaient en même temps propriétaires des locaux de la maison médicale. Un médecin nouveau venu dans l’équipe était-il locataire du cabinet où il exerçait ses consultations ou, au contraire, pouvait-il - voire devait-il - devenir aussi copropriétaire et ce selon quelles modalités ? Pareilles questions furent parfois posées. Viendra ensuite l’idée d’une asbl propriétaire des locaux, ce qui pourra rendre les relations plus égalitaires au sein de l’équipe.
Le médecin fondateur porta bientôt la casquette du président de l’asbl qui se forma par la suite. N’était-il pas celui par lequel tout passe ? Cependant quand, de façon imprévue d’ailleurs, je dus communiquer à l’équipe ma décision de me retirer dans les deux mois, la transmission de chacune de mes responsabilités était réalisée depuis un bon moment. Je terminai la dernière dont je restais responsable : achever de mettre de l’ordre dans les archives du centre. C’était en 2003…
Bientôt dix ans plus tard, c’est une grande paix et un grand bonheur qui m’envahit au souvenir ce que j’ai pu contribuer à mettre en place : un centre de santé, la Fédération des maisons médicales. Aux suivants, s’ils le choisissent, de s’inspirer de ces valeurs pour tracer leur propre chemin ! A leur tour, au moment de la vérité, ils ne seront pas déçus !
n° 63 - janvier 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...