Pas facile de suivre une personne à long terme en ambulatoire, de manière cohérente et respectueuse pour chacun : bien placés pour le savoir, des membres de l’association Similes ont mené un travail de réflexion - avec des soignants, des patients, des professionnels de divers horizons (hôpitaux psychiatriques, service de santé mentale, initiatives d’habitations protégées, services de soins à domicile, police, entreprise de formation par le travail,…). Synthèse imagée de quelques pistes issues de ce travail.
« Notre fille souffre d’un problème de double diagnostic : toxicomanie et troubles psychiques. Les troubles psychiques ont été diagnostiqués après plusieurs années de consultations. Ces problèmes se sont donc aggravés. Notre fille a été hospitalisée une première fois après plusieurs crises d’hallucinations (…). L’hospitalisation n’a duré qu’une semaine et n’a pas donné lieu à un diagnostic. Le psychiatre s’est borné à proposer des activités en hôpital de jour. Notre fille a abandonné ces activités après un jour ou deux. La mise en place d’un référent aurait permis de soutenir sa motivation. (…) A l’heure actuelle, notre fille gère difficilement l’argent de ses allocations, ce qui nous contraint souvent à intervenir financièrement. (…). Elle vit dans des conditions d’hygiène domestique qui laissent à désirer mais ne souhaite absolument pas que nous nous mêlions de ces problèmes. Un référent serait mieux placé pour demander une aide dans ces domaines. En gros notre fille n’est soutenue que par le médecin généraliste qu’elle consulte tous les quinze jours et par nous, ses parents (…). ».
Dans nombre de témoignages ressort ce besoin important d’une personne de référence vers qui se tourner pour organiser la prise en charge d’un patient avec des troubles psychiques. Face au réseau d’intervenants qui gravitent autour du patient, face au manque de lien, notamment entre le milieu hospitalier et la première ligne, mais aussi avec le patient et sa famille, les proches se sentent démunis.
« Une jeune personne a tenté à plusieurs reprises de se suicider. Chacune de ces tentatives s’est conclu par une hospitalisation de 24 heures. Lors d’une xème tentative, elle reste hospitalisée 4 ou 5 jours dans le service des urgences psychiatriques d’un hôpital général, où un suivi important est assuré (…). La personne est invitée à quitter le service, à consulter quinze jours plus tard un psychiatre dont elle n’a jamais entendu parler (…) et un traitement lui est prescrit. Elle ne se présentera jamais chez ce psychiatre. Un mois après sa sortie, elle prendra contact avec son médecin généraliste pour un renouvellement de son traitement. Le seul suivi fiable identifié par cette proche est le lien avec le médecin généraliste (…) ». (Un proche de la patiente)
« Joseph a 70 ans et vit seul. Il a un réseau social et familial très limité et est sous administrateur de biens. Il bénéficie du soutien d’un aide-familial depuis 10 ans (…), (il) est depuis 9 ans suivi par une maison médicale et un psychiatre. Il est également encadré par un service d’accompagnement de personnes handicapées et participe à des cours de yoga. Deux voisines sont aussi des partenaires dans cette situation. Depuis 18 mois, un infirmier passe hebdomadairement au domicile pour la gestion des médicaments. Lors du dernier séjour à l’hôpital, suite à un épisode de crise, il a été convenu de renforcer la présence des intervenants au domicile et d’ainsi limiter au strict minimum la durée du séjour à l’hôpital. La situation semble à présent jouir d’un équilibre qui est la conséquence de la mise en place, non pas d’une personne de référence, mais bien d’une dynamique de référents qui assurent un contact quasi quotidien avec le bénéficiaire (…) ». (Un soignant de maison médicale)
Parfois, le rôle de référent est exercé de facto par le médecin généraliste ou par un ensemble d’acteurs qui se coordonnent entre eux. Mais quelle reconnaissance pour ce rôle, y compris aux yeux des autres acteurs du réseau (l’hôpital par exemple) ? Quelle place, dans ce système, pour les personnes de confiance ? [1] Et comment faire lorsque la personne n’est pas demandeuse ?
« Pierre a 45 ans. C’est un patient très angoissé. Il est suivi par un service d’accompagnement psychiatrique dans le milieu de vie, une aide familiale et un médecin traitant d’une maison médicale qu’il voit une fois par semaine. Un jour, il débarque à l’improviste dans la salle d’attente de la maison médicale. Son médecin est absent. Il refuse d’en voir un autre. Il se sent très mal et se couche par terre. En dépit de l’intervention ferme et empathique de l’accueillante et de ses collègues appelés en renfort, il refuse de se lever et même de s’asseoir. Avec son accord, la maison médicale appelle son référent éducateur du service d’accompagnement dans le milieu de vie. Celui-ci arrive à la maison médicale. Il emmène le patient à son service. Ils reviennent quelque temps plus tard pour reprendre rendez-vous avec le médecin traitant. » (Une soignante de maison médicale)
« Un patient de 50 ans est suivi par un service d’accompagnement pour personnes handicapées, pour des problèmes d’impulsivité, de paranoïa et un retard mental. Il est également suivi par une maison médicale et a une aide familiale. Il a des contacts avec son frère. Pendant les vacances du médecin, ce patient est agressif vis-à-vis d’un travailleur du service d’accompagnement et de son aide-ménagère. Ces personnes demandent une réaction du médecin. Le médecin veut négocier le traitement mais le patient refuse, il propose une hospitalisation, le patient refuse également. Il est alors hospitalisé sous contrainte et sort quelque temps plus tard avec une médication. (…) Une collaboration avec un service psychiatrique d’aide à domicile est (ensuite) mise en place, ainsi que des réunions de concertation avec le patient, ce service, la maison médicale, l’assistante sociale de la mutuelle, et parfois le frère du patient. Cette concertation a permis d’instaurer un suivi par une infirmière de la maison médicale tous les 15 jours, une visite d’un tandem de deux médecins une fois par mois et le retour de l’aide familiale qui a accepté de revenir suite à la négociation du contrat thérapeutique.Elle a également permis au frère du patient de se réinvestir (…) ». (Un soignant de maison médicale)
Comment définir le rôle et le profil d’un référent ? Le référent est un professionnel, doté de compétences techniques qui s’adresse à des personnes qui nécessitent un suivi sur le long cours, une pluralité d’intervenants (dans le secteur de la santé, de l’administratif, de l’insertion). Sa place doit être reconnue tant par l’ambulatoire que l’hospitalier.
Son rôle est de créer ou d’activer un réseau autour du patient et de permettre la concertation entre les différents intervenants, en présence du patient et de son entourage lorsque c’est possible. Grâce à sa perception globale de la situation et en concertation avec l’entourage du patient, il accompagne un projet de soins adapté aux besoins et aux capacités de ce patient.
Le référent garantit et stimule l’autonomie du patient. Il porte une attention particulière à sa réintégration sociale, culturelle voire professionnelle dans la société. Il veille à ce que le patient et son entourage restent au centre de la prise en charge, à ce que leurs paroles soient entendues, respectées et reconnues.
Parfois ce n’est pas le patient qui est demandeur, mais c’est une personne tierce concernée par la problématique qui sollicite la mise en place de la fonction. Dans tous les cas, l’adhésion du patient, et l’établissement d’une relation de confiance avec celui-ci sont des objectifs essentiels poursuivis par le référent. De même, la famille, première concernée par le quotidien du malade, doit être incluse dans le processus.
Pour mener à bien sa mission, le référent doit posséder un certain nombre de compétences : de bonnes capacités relationnelles (empathie-écoute-communication) et une maîtrise des approches favorisant l’empowerment [2] et la participation du patient et de son entourage. Le référent doit être formé en santé mentale, il doit être formé à la coordination et à la concertation, il doit aussi connaître les lois, les droits, les devoirs et les limites de chaque corps de métier susceptible d’intervenir. Enfin, il doit avoir une bonne connaissance du réseau.
Similes est une association d’entraide réunissant des familles et proches de personnes atteintes de troubles psychiatriques.
[1] Une personne de confiance est une personne désignée-choisie par le patient (parent, proche, professionnel ou autre) pour le soutenir et le représenter au besoin auprès des intervenants. Cette personne n’a pas de pouvoir de décision mais est là pour conseiller et informer le patient.
[2] Empowerment (littéralement : accroissement de pouvoir), c’est-àdire, l’ensemble des démarches destinées à accroître les capacités psychologiques et comportementales d’une personne. ANDRE Christophe, Vivre heureux, Psychologie du bonheur, Odile Jacob, p. 145.
n° 70 - avril 2015
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...