Vous êtes ici :
  1. Santé conjuguée
  2. Tous les numéros
  3. Malade et en prison, double peine ?
  4. Des tout-petits derrière les barreaux

Des tout-petits derrière les barreaux


18 juin 2018, Cécile Lamproye

psychologue et référente maltraitance à l’ONE

, Marylène Delhaxhe

médecin, conseillère pédiatre ONE (Office de la naissance et de l’enfance)

Le socle affectif et social de base de l’individu se constitue pendant les premières années, et avoir un lien privilégié ou un « attachement » avec l’une ou l’autre personne (les parents en priorité) en est une condition indispensable. Les ruptures et séparations du jeune enfant avec cette figure d’attachement constituent de réels traumatismes dont les conséquences peuvent être indélébiles. C’est pourquoi des enfants séjournent auprès de leur mère dans les prisons pour femmes et des détenues accouchent pendant leur temps de détention.

Malgré les évolutions en matière d’autorité parentale conjointe, malgré le droit des enfants à entretenir des relations avec leurs deux parents, ils sont dans la grande majorité aux soins de leur mère. La loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires de 2005 prévoit que des enfants de moins de trois ans soient accueillis auprès de leur parent détenu dans une section spécifiquement dédiée. À l’initiative et avec le soutien du Fonds Houtman, une recherche a été menée de 2011 à 2013 par une équipe de l’Université de Liège sur «  Les enfants de 0-6 ans dont la mère est incarcérée en Fédération Wallonie-Bruxelles  » [1]. Les principaux constats étaient l’absence (au moment de la recherche) de protocole général concernant la maternité en détention [2], la contradiction permanente entre les logiques sécuritaire et sociale en milieu carcéral, l’inadéquation fondamentale de l’atmosphère carcérale pour les enfants, le caractère imprévisible de la détention, la complexité du parcours de vie des enfants concernés, le manque de moyens du secteur de l’aide à la jeunesse et le manque d’information des mères détenues. Parmi les cinquante-six enfants de moins de six ans répertoriés, un sur huit vivait avec sa mère en prison, un sur quatre avec son père, deux sur cinq dans la famille proche et un sur cinq en institution ou en famille d’accueil.

La mise en évidence de parcours sociaux problématiques appelle résolument, selon les chercheurs, à une prise en charge spécifique de ces enfants plus volontariste et mieux coordonnée par les différents services compétents. Leurs recommandations visaient notamment à sensibiliser les acteurs professionnels pour limiter les séparations mère-enfant et mieux prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, à assurer une meilleure coordination des services au moment de l’arrestation, à adapter aux tout-petits les visites et autres moyens de relations avec la mère détenue, à installer une unité mère-bébé distincte des sections carcérales et mettre à disposition le protocole spécifique pour l’accueil des jeunes enfants, à mieux informer et mieux accompagner sur un plan psychosocial les enfants, les mères et les familles proches.

Infrastructure

Peu de choses ont évolué depuis vingt ans. Les mères ne bénéficient pas de régimes particuliers comme la semi-détention. La priorité n’est pas donnée au bracelet électronique pour éviter l’accueil d’un jeune enfant en prison. Les aménagements d’infrastructure et d’équipement sont rudimentaires et nettement insuffisants. L’atmosphère carcérale reste très présente  : mères et enfants sont au cœur des quartiers cellulaires avec les grilles, portes blindées, couloirs déserts, barreaux aux fenêtres. À Berkendael, un coin jeu est aménagé dans le couloir. La co-détention avec une autre détenue est possible. À Lantin, une salle de séjour/jeux/repas est exclusivement réservée aux mères avec enfants  ; les cellules sont néanmoins très petites et sans confort, inadaptées. Il n’y a pas d’espace soin et de sanitaires corrects.

Règles et régimes de détention

Plusieurs règles spécifiques ont été négociées dans l’intérêt de l’enfant. Les portes des cellules restent ouvertes le jour pour leur permettre de bouger et de jouer en dehors, dans l’espace jeu qui leur est réservé ou dans le préau, et aux mères de préparer des repas… Les portes sont néanmoins refermées la nuit pour des raisons d’ordre et de sécurité, ce qui peut engendrer du stress pour les mères en cas de problème, dans l’attente de la réponse de l’agent pénitentiaire. Certaines n’osent pas appeler et l’enfant vit mal cette fermeture de porte à un moment où il n’est pas encore endormi. Les contrôles réguliers nocturnes peuvent entrainer des troubles de sommeil. Les sorties au préau sont soumises à demande et autorisation, ce qui les limite effectivement. La sensibilisation des agents pénitentiaires à l’intérêt et aux besoins de l’enfant a évolué positivement avec le temps, mais leur bienveillance et leur capacité de soutien restent variables et individuelles. La formation continuée dans cette matière n’est pas organisée. Dans les situations de grève ou de détention avec règles de sécurité renforcées, l’enfant peut se retrouver enfermé avec sa mère pendant plusieurs semaines, ce qui est en contradiction avec ses droits, ses besoins et les accords établis dans le protocole de 2014. Même si elles sont devenues rares, ces situations doivent être dénoncées, car elles entrainent de gros retards de développement et des troubles psychologiques chez les enfants.

La vie sociale des enfants

L’enfant, qui n’est pas considéré comme détenu, doit pouvoir sortir de la prison régulièrement et si possible quotidiennement. Le principal aménagement lui permettant de vivre le plus possible comme les autres consiste à se rendre régulièrement dans la famille proche et/ou à fréquenter un milieu d’accueil à l’extérieur. L’ONE a pour cela réservé quatre places dans des crèches à proximité des prisons de Berkendael et de Lantin. Des bénévoles du réseau Itinérances de la Croix-Rouge les y conduisent. La maman rencontre une des personnes qui prendra soin de son enfant (puéricultrice, infirmière ou assistante sociale) et le Service de l’aide à la jeunesse (SAJ) intervient à travers un programme d’aide consentie individualisé. Certaines détenues ont parfois l’impression d’être de «  mauvaises mères  » si elles ne prennent pas complètement leur enfant en charge ou craignent qu’il leur soit retiré. Heureusement, les représentations du personnel pénitentiaire quant au bien-fondé de ces sorties des enfants vers les milieux d’accueil ont évolué favorablement avec le temps. C’est en effet la condition indispensable pour «  accepter  » la présence de jeunes enfants après de leur mère détenue.

Le soutien à la parentalité

L’angoisse et la détresse générée par la détention ont inévitablement un impact sur la relation mère-nourrisson, variable selon la personnalité des mères, mais également selon la durée de l’incarcération et les ressources familiales dont elles disposent. Elles se sentent coupables d’imposer cette vie à leur enfant. Il importe de ne pas renforcer ce sentiment, mais de positiver en relevant le fait, par exemple, qu’elles sont dégagées des contraintes matérielles de l’extérieur et qu’elles auront l’occasion de consacrer beaucoup de temps à leur nourrisson. Elles sont fragilisées, coupées de leur entourage ; l’enfant est parfois leur seule compensation affective. Se séparer de lui est alors particulièrement douloureux et un accompagnement est souvent nécessaire pour comprendre ses besoins, différents des leurs, et adhérer au projet d’accueil en crèche. Le rôle de «  bonne mère  » constitue souvent leur seule reconnaissance sociale et l’enfant est hyper investi. Ce rôle s’exerce sous le regard de la collectivité carcérale, ce qui engendre un très grand stress. Il est particulièrement compliqué de concilier le statut de ces femmes à la fois détenues et mères, d’allier les aspects répressifs et sécuritaires inhérents à leur détention avec une attitude de soutien à la parentalité qui passe par l’empathie et la valorisation de leur compétence de mère.

Accès au réseau médico-psychosocial

Les professionnels de l’ONE – médecin, travailleur médicosocial (TMS), psychologue – accompagnent les mères, les futures mères et les enfants qui vivent en prison en tenant compte de ce contexte spécifique. Leur présence régulière et stable garantit un accompagnement médico- psychosocial préventif cohérent et en relation directe avec les structures médico-psychosociales en Fédération Wallonie-Bruxelles.

À son arrivée, la maman reçoit un document reprenant les caractéristiques de l’accueil et les différents intervenants possibles, leurs actions et leurs coordonnées. Il présente aussi les dispositions prévues pour les grossesses et les accouchements. Depuis 2017, ceux-ci se passent à l’hôpital d’Ixelles et au CHR de la Citadelle, sous la surveillance des agents pénitentiaires. La direction de la prison y autorise la visite des proches. Une concertation a eu lieu entre la direction de l’établissement pénitentiaire et l’ONE pour garantir les meilleurs soins. Le TMS aborde avec la mère les divers aspects de la vie avec l’enfant (repas, jeux, sommeil, éducation, santé…). Une consultation médicale préventive organisée à la prison et/ou dans la crèche permet de suivre l’évolution de l’enfant, sa croissance, son développement psychomoteur, sa santé en général. Les vaccins y sont réalisés.

La mère, la future mère et l’enfant sont pris en charge par le service des soins de santé des établissements et les médecins généralistes qui y collaborent. Même si la possibilité est théoriquement admise, aucun accès à un médecin librement choisi par la mère ou la future mère n’est effectif et elle ne bénéficie pas de permission de sortie pour se rendre à son cabinet ou à l’hôpital avec son enfant. Le service des soins de santé pénitentiaires a des accords avec des hôpitaux pour les soins spécialisés, gynécologue et pédiatre, qui se rendent dans l’établissement pénitentiaire.

Quand l’enfant ne peut plus rester avec sa mère, le TMS l’aide à préparer les conditions de cette sortie, conditions qui seront souvent garanties dans le cadre du programme du SAJ. De même si l’incarcération de la mère prend fin, et pour autant que ce terme soit connu, le TMS l’aide à organiser la poursuite du suivi médical préventif et du soutien psychosocial en se mettant en rapport avec le réseau des consultations pour enfants de l’ONE et/ou d’autres partenaires.

Documents de référence

Le « protocole d’accord relatif à l’accueil d’enfants en bas âge auprès de leur parent détenu et l’accompagnement des femmes enceintes en prison » a été établi en mai 2014 entre l’ONE, le ministre de la Justice, le ministre de l’Enfance, de l’Aide à la jeunesse et de l’Aide aux détenus [3]. Ses principes généraux rappellent que l’enfant n’est pas détenu et que la détention ne remet pas en cause le principe de l’exercice de l’autorité parentale. Le parent détenu est un partenaire à part entière dans toutes les interventions. Il précise que les conditions d’accueil doivent permettre à l’enfant de bénéficier d’une vie compatible avec les exigences de sa croissance, son développement et sa dignité d’enfant. Il reprend les principes et les droits qui servent de repères dans l’organisation de l’accueil, les missions et engagements des différents intervenants ainsi que les partenariats à installer, l’organisation des soins de santé et l’aide individuelle qui doit être apportée. La recommandation du Comité des ministres européens aux États membres concernant les enfants de détenus, adoptée le 4 avril 2018, est en complète adéquation avec ce protocole d’accord signé en Fédération Wallonie-Bruxelles. [4]

« La prise en charge et l’accompagnement des enfants en bas âge dont la mère est incarcérée en Belgique francophone » [5] : en complément de la recherche menée par l’Ulg de 2011 à 2013, ce guide de bonnes pratiques a été élaboré et discuté par des acteurs de terrain des différents secteurs professionnels concernés. L’objectif est de créer une réflexion et une remise en question des pratiques aux différents moments du parcours de détention d’une mère avec des enfants en bas âge afin que l’intérêt supérieur de l’enfant puisse vraiment être pris en considération. On y retrouvera l’arrestation, l’entrée en prison, le maintien du lien, les aménagements de la détention, les visites à la prison et l’accompagnement de l’enfant dans ses lieux de vie.

[1S. Megherbi, L. Nisen, F. Schoenaers, Centre de recherches et d’interventions sociologiques, Ulg, Faculté des sciences sociales, 2014.

[22. Protocole d’accord relatif à l’accueil d’enfants en bas âge auprès de leur parent détenu et l’accompagnement des femmes enceintes en détention, 23 mai 2014

[3Disponible sur demande via www.one.be

[5Disponible sur demande via info@houtman.be

Cet article est paru dans la revue:

n°83 - juin 2018

Malade et en prison, double peine ?

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

Dans ce même dossier