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Du concept aux soins de santé


2 juin 2014, Marie-Françoise Meurisse

médecin, philosophe et médiatrice attachée à la Plate-forme de concertation en santé mentale de la Région de Bruxelles-capitale.

Les situations de plaintes ou de conflits qui cherchaient traditionnellement une issue en justice se tournent de plus en plus souvent vers ce qu’on appelle « les modes alternatifs de résolution des conflits », au rang desquels on retrouve la médiation. Pourtant cette dernière ne se limite pas à la résolution de conflits. Du concept de médiation à son application dans le champ des soins de santé, Marie-Françoise Meurisse fait le point sur cette notion dans sa globalité.

Au sens le plus général, la notion de médiation s’utilise pour désigner l’interposition d’un élément médian entre deux autres éléments, créant entre eux un espace intermédiaire différent qui à la fois les unit et les sépare. L’espace médian interposé amène une rupture dans l’immédiateté de la zone de contact entre les deux éléments, il vient s’intercaler au coeur d’une relation duelle. Comment dire autrement que cet espace médian, d’une nature autre, représente le tiers ? S’il existe bien une caractéristique pour définir la médiation, c’est bien celle-là : la médiation est le processus par lequel s’introduit le tiers. La relation à deux se mue en relation à trois.

La pensée occidentale s’est habituée à fonctionner selon une logique binaire, par contraires et par oppositions. Lorsqu’elle a tenté d’introduire un troisième terme, ce fût souvent au prix d’une dissolution des deux premiers. Ainsi, par exemple, pour le philosophe Hegel, la synthèse constitue le produit résultant de l’opposition entre la thèse et l’antithèse. Il conçoit le dépassement de cette opposition par la production d’un troisième terme qui fond en lui-même les deux termes opposés. La médiation, en revanche, n’entend pas effacer la substance des deux éléments de départ. Elle ne s’attache pas à modifier leur nature, mais elle travaille sur leur point de jonction, sur ce qui les relie. Son domaine est celui de l’espace médian, celui de l’interrelation. Son projet consiste, de par sa position de tiers, à susciter du changement au niveau de l’espace interrelationnel.

Agir par et sur la communication

Au niveau empirique, la médiation se manifeste sous la forme d’une pratique, d’une discipline voire d’une véritable profession, par lesquelles une personne tierce intervient entre deux partenaires qui se trouvent en situation de différend. Parce qu’elle oeuvre au niveau de la relation, la pratique de médiation est indissociable de la communication : le processus qui se déclenche par l’entremise du médiateur entend essentiellement agir par et sur la communication.

Les théoriciens de la communication ont largement montré qu’entre individus ou groupes humains, celle-ci excédait largement la transmission d’un émetteur à un récepteur. Un auteur comme Habermas, par exemple, parle d’un « agir communicationnel » : parler avec quelqu’un, communiquer avec lui, ce n’est pas seulement lui transmettre le contenu d’un message, c’est aussi agir en vue de parvenir à une intercompréhension mutuelle. En d’autres termes, la communication est un acte langagier orienté vers l’intercompréhension. Dans une telle perspective, le médiateur joue un rôle d’accompagnateur et de facilitateur en vue de restaurer ou d’améliorer la qualité communicationnelle entre les protagonistes et de parvenir à une meilleure compréhension mutuelle entre eux.

Définir la médiation

La profession de médiateur est aujourd’hui en pleine expansion ; elle se développe dans des secteurs variés du champ social, non sans une certaine confusion. C’est pourquoi certains auteurs, pionniers de la médiation en tant que pratique ont estimé nécessaire de clarifier la situation, en distinguant la médiation d’autres activités qui s’en rapprochent. Il s’agit notamment de repérer ce qui différencie la médiation d’autres modes alternatifs de règlement des conflits, comme la négociation, la conciliation ou l’arbitrage.

Comme l’indique Michèle Guillaume- Hofnung, le foisonnement actuel de la médiation « rend urgent de préciser sa définition, son champ théorique et pratique. ( … ) Il faut une définition suffisamment rigoureuse pour rompre avec le syncrétisme qui menace la médiation, mais suffisamment large pour ne pas la tronquer ou la scléroser ». Mme Hofnung s’est elle-même attelée à fournir une telle définition, qu’elle a proposée aux autorités de l’Europe en guise de définition de référence. La médiation est, selon cette définition, « un processus volontaire d’établissement ou de rétablissement du lien social, de prévention ou de règlement des différends. Ce processus s’effectue au travers d’une communication éthique durant laquelle les personnes s’efforcent de renouer le dialogue pour trouver une solution à leur situation. Au cours de ce processus, un médiateur, tiers indépendant les accompagne de façon impartiale, et sans influencer les résultats tout en garantissant le respect des intérêts de chacun des participants et la confidentialité des échanges ».

Une autre définition de référence est celle qui a été donnée par Jean-François Six et Véronique Mussaud : « La médiation est un processus de création et de réparation du lien social et de règlement des conflits de la vie quotidienne, dans lequel un tiers impartial et indépendant tente à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions d’améliorer une relation ou de régler un conflit qui les oppose ».

La médiation en quatre critères

Ces deux définitions fournissent un ensemble de critères, nécessaires et suffisants, pour parler de médiation .

Le premier consiste à définir la médiation comme un processus. Cette notion renvoie à une suite de faits ou d’événements inscrits dans une durée relativement indéterminée, ménageant une place pour l’imprévisibilité et la créativité des partenaires, en dehors du carcan d’une formalisation stricte. En cela le processus de médiation se distingue nettement d’une procédure de type judiciaire.

Le deuxième critère porte sur les qualificatifs qui doivent impérativement être attachés à la figure du tiers médiateur pour préserver la logique ternaire : le médiateur doit être indépendant ( dégagé de toute forme de pression ou d’influence ), impartial ( absence de lien privilégié avec une des parties ), neutre ( absence de jugement ou d’influence par rapport au résultat ). Son rôle est défini comme celui d’un accompagnateur d’échange et de communication.

Le troisième critère précise que la nature du processus est essentiellement communicationnelle. Mme Guillaume-Hofnung y ajoute pour sa part qu’il s’agit ici d’une communication de type éthique, autrement dit d’une communication « horizontale » qui ménage une place pour l’intersubjectivité et l’équité entre les partenaires, et non une communication « verticale » distillant de l’information d’un émetteur actif vers un récepteur passif. Enfin, la dernière condition indispensable pour définir la médiation porte sur son objectif. Comme l’indiquent les définitions proposées ci-dessus, celui-ci consiste non seulement à apporter une solution à un problème conflictuel, mais aussi, et peut-être surtout, à restaurer ou améliorer la qualité du lien. Les dispositifs de médiation représentent donc bien davantage qu’une modalité alternative de gestion de plainte ; ils constituent un véritable mode de régulation sociale.

La médiation, révélatrice d’une nouvelle relation de soins

Le législateur belge avait-il pris toutes ces notions en considération lorsqu’il a promulgué la loi relative aux droits du patient qui institue la fonction de médiation dans le domaine des soins de santé ? Il est possible d’en douter à la lecture du terme retenu pour qualifier la fonction dans le texte néerlandais de la loi. Celui-ci parle en effet de ombudsfunctie et non de bemiddeling. Le second mot, qui correspond à la traduction de « médiation » a été évincé au profit du premier, qui évoque principalement une activité de « gestion de plainte ».

Néanmoins, de nombreux commentaires de la loi ainsi que les campagnes promotionnelles menées par le service public fédéral de la santé publique ont largement insisté sur la dimension de dialogue qui préside à l’esprit de la loi. Les médiateurs en institutions de soins, très tôt réunis en association ont eux-mêmes mis l’accent sur le fait que leur mission principale était d’oeuvrer au service d’une meilleure qualité de communication entre soignants et soignés. La création de leur fonction est d’ailleurs apparue dans un contexte marqué par un basculement important dans le paradigme de la relation de soin : d’un modèle « paternaliste », on est passé à un modèle de partenariat. Le patient, auparavant réduit à un rôle passif est de plus en plus reconnu comme un partenaire actif, capable de recevoir des informations et de participer aux décisions qui le concernent. Le modèle de relation duelle fermée, le fameux « colloque singulier », évolue vers l’ouverture au tiers, à l’interdisciplinarité et au regard. Et la figure du médiateur, qui vient s’interposer entre le patient et son soignant atteste de cette évolution.

Références

Guillaume-Hofnung M., La médiation, PUF coll. Que sais-je ?, Paris 2012, p.3.

Pour une définition européenne de la médiation, brochure de l’Université de Paris XI, Master en diplomatie et négociation stratégique, 2011.

Cet article est paru dans la revue:

n° 68 - juillet 2014

Médiation dans les soins, parapluie ou porte-voix ?

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