Comment situer la place de l’éthique médicale entre les exigences d’un pouvoir juridique et des préceptes philosophiques voire religieux ?
« La médecine est de tous les temps et de tous les lieux. Véritablement utile aux hommes quand on l’exerce avec zèle et intelligence ; souvent elle leur donne plus que la santé, elle leur rend le bonheur, car tant de maladies viennent de l’âme ».
Charles Augustin de Sainte-Beuve
Depuis des temps immémoriaux, médecine et religion étaient confondues. La crainte fondamentale de la mort et le désir inconscient d’une garantie pour l’au-delà en étaient la motivation essentielle. Dans la mythologie égyptienne, nous relevons, à titre d’exemple, l’existence de Sekhmet, déesse à tête de lionne, patronne du corps médical, qui était responsable des maladies mais disposait aussi du pouvoir de les guérir…
Peu à peu, l’apparition du rationalisme et le début d’un certain positivisme devaient engendrer une distinction entre les prêtres ou druides guérisseurs et l’homme médecine qui préparait les remèdes pour guérir.
La médecine spirituelle devait donner naissance à une médecine empirique et logique, tout en gardant une sorte d’empreinte philosophique.
Par ailleurs, les dysharmonies et certaines faiblesses des pouvoirs en place, ont souvent joué en faveur de l’apparition de sectes, dites « guérisseuses », attirées par des gains faciles.
Après une période relativement nébuleuse suite au déclin de l’Empire romain, les moines des abbayes ont assuré la fonction de médecin et de préparateurs de médicaments jusqu’en 1271. A cette date, la faculté de médecine de Paris imposait la création d’une corporation, celle des apothicaires.
Les siècles dits des Lumières devaient conforter le principe d’une médecine libre et indépendante, c’est-à-dire la médecine libérale. C’est en 1865 que Claude Bernard va rédiger son « Introduction à la médecine expérimentale ». Elle est à l’origine de la médecine scientifique comme telle. Nous devons citer la remarque de cet éminent physiologiste : « … L’observation montre, l’expérience instruit… ».
Très vite, le développement de la technologie du XXe siècle, les découvertes en pharmacodynamie, ont complété les objectifs de la médecine qui s’est muée en médecine plus sociale et devenue néo-libérale. La médecine actuelle est donc devenue autonome et rationnelle.
Toutefois, en 1963, Michel Foucault, dans son ouvrage intitulé Naissance de la clinique va insister sur le type d’organisation médicale marquée, selon lui, par une empreinte apparentée au principe et au précepte religieux.
D’autres auteurs insistent sur la notion du dolorisme chrétien, thème marquant dans cette religion. Cette exaltation de la valeur morale de la douleur notamment physique serait actuellement en régression, selon J. Delumeau, historien. On assiste plutôt à la mise en valeur de la capacité d’empathie avec le malade.
Dans les religions monothéistes, selon N. Martin et A. Spire, le corps est saisi en tant que corps physique en opposition avec l’entité, corps et âme (Dieu aime-t-il les malades ?).
D’autre part, dans Une certaine idée de l’Islam, l’imam Soheib Bencheikh écrit : « Dans la religion musulmane, l’individu n’est pas propriétaire de son corps… Le corps est l’enveloppe de la vie, laquelle est un don de Dieu… L’individu n’est que le gestionnaire de ce sacré, de cette vie et ce corps ».
Le rabbin Marc-Alain Ouaknin cite dans son ouvrage Maladie et guérison dans la Bible et le Talmud : « Pour la tradition juive, l’homme est donc responsable de sa maladie, mais il n’est pas responsable de sa responsabilité ».
Nous respectons, bien entendu, les recommandations de ces différents auteurs. Mais ces derniers avis ne changent en rien les possibilités d’une qualité des soins. L’approche est différente, les principes de l’éthique médicale demeurent.
L’intervention de l’Etat n’est pas nouvelle. Le bio-pouvoir stigmatise le système relationnel entre les objectifs sanitaires de la vie et l’Etat providence. L’art de guérir doit assurer sa mission au milieu d’un dédale où la notion de santé est liée à une série de recommandations économiques, géographiques, politiques, sociales et autres.
D’une part, la thérapie ponctuelle est maintenue avec une polarité individuelle, mais d’autre part, elle est complétée par une approche plus globale qui s’efforcera d’éviter toute éclosion ou tout essaimage d’un facteur agressif. Cette action de type collectif complète la thérapie ponctuelle.
Cette nouvelle approche va assurer la mise en place d’un processus de gestion de santé, autrement dit d’un système de planification des moyens et ressources pour améliorer la santé des individus.
A côté de la gestion et des objectifs sanitaires, on ne peut oublier le comportement relationnel du médecin ainsi que sa responsabilité. Cette dernière demeure engagée et se traduit par une « obligation morale » d’être garant des actes qui lui sont propres, tout en étant associée à une relative liberté individuelle.
Le non respect de cette garantie peut être à l’origine d’un dommage, voire d’une réparation par le truchement de la responsabilité civile, pénale et le droit disciplinaire sur le plan des règles imposées par l’éthique médicale. Le corps médical n’échappe pas à la règle…
Le droit disciplinaire, déclare madame S. Moreau, magistrat assesseur, est : « un droit particulier apparenté au droit pénal (devoirs, règles, sanctions) mais s’en diversifie par l’esprit et l’évaluation propre au conseil disciplinaire ordinal ».
Ces aspects sont péjoratifs pour le médecin qui comprend très peu la position du pouvoir judiciaire. L’image castratrice qui s’en dégage pourrait paralyser le médecin dans la pratique de son art de guérir.
Pourtant ces normes édictées par la société ont comme but celui de la protection de toute personne et y compris les docteurs en médecine. Elles constituent un véritable rempart en limitant les devoirs et les droits de chacun. Tout ceci est corroboré par les préceptes de la déontologie médicale.
Le corps humain n’existe plus en tant que tel. Il est représenté comme une machine électronique ou au travers d’une carte dite « génomique ». Ce sont des informations qui représentent le malade. Il s’agira de la scintigraphie numéro x ou y pour désigner un patient. L’être souffrant qui relève de l’écoute n’est plus entendu.
Des paramètres sociaux influencent ce type d’esprit dans cette nouvelle mentalité, à savoir :
le besoin de performance ;
le progrès scientifique ;
le prix élevé de la santé.
Dans le même ordre d’idée, le corps est-il objet du droit : chose ou personne ? La réponse est difficile et certains auteurs comme Crignon-De Oliveira et Gaille-Nikodimov plaident la création d’une autorité sociale et d’un Comité consultatif national d’éthique. Dominique Memmi (Les gardiens du corps - Dix ans de magistère bioéthique) suggère l’édification de centres de réflexions pour dire ce qui est digne ou indigne de faire au corps humain.
Le droit souhaite une harmonisation des individus avec des relations équitables mais la médecine est devenue dépendante de l’information médicale. La nouvelle loi relative aux droits du patient va dans le même sens encore qu’elle devrait être considérée dans un sens de positivité. Le médecin a comme mission d’informer le patient mais aussi de l’éclairer et d’ouvrir sa démarche diagnostique et de thérapeute. Toutes ces considérations sont modulables.
La réflexion bioéthique, et l’éthique médicale qui constitue son bouclier permanent, conservent leur raison d’être dans la nature de l’essence du médecin et dans son engagement.
Comment définir la notion d’éthique médicale ? Il s’agira d’une manière d’être cohérente dans le projet de vie professionnelle dans une relation interpersonnelle « respectée » vis-à-vis de l’individu ou de son patient. La bioéthique constitue le système de réflexion quant à la responsabilité morale des médecins dans leurs recherches en se basant sur le principe du respect défini par l’éthique.
In fine, l’objectif ultime consiste à maintenir ou à redécouvrir cet état de bien-être qu’est la santé. Mais que demande le malade ? Pourquoi est-il en position de dépendance ?
Pratiquement, le patient formule quatre exigences :
être compris et écouté ;
être aidé sur le plan thérapeutique ;
être réadapté pour retrouver une position de confort en regard d’une société dite de performance ;
être respecté suivant le principe de l’éthique en tenant compte des règles morales déontologiques.
Cette attente est logique quand on apprécie l’inéquation entre la norme et celui qui présente une certaine déficience. L’homme « vit sa vie », soumis à des contraintes négatives appelées « passivités de diminution », comme le déclare Teilhard de Chardin. Elles forment des éléments négatifs. Le praticien ne doit pas les sous-estimer.
La nature de l’engagement médical reposera clairement sur la qualité des soins. Le médecin devra répondre de ses actes vis-à-vis du ou des patients dont il assume la charge. Les interrogations de la bioéthique sur l’environnement de la santé restent certainement valables et souhaitables. Mais sur le plan de l’éthique, la responsabilité générale du médecin demeure entière et totale. Nous pouvons remémorer les accents de Jean Guitton : « …Le médecin ne doit pas oublier qu’il est aussi solidaire parce qu’au service de la collectivité… » (assises françaises de la société d’éthique).
Enfin, l’éthique bien comprise avec les conditions évoquées plus haut, constituera une continuité dans le cadre de la qualité des soins. Elle permettra de réaliser une promesse morale, individuelle dans une condition optimale…
Bibliographie
C. CRIGNON, DE OLIVEIRA et M. GAILLE-NIKODIMOV, A qui appartient le corps humain ? Médecine, politique et droit, Ed. Les belles lettres, 2004.
N. MARTIN et A. SPIRE, Dieu aime-t-il les malades ?, Ed. Anne Carrière, 2004.
D. SICARD, La médecine sans le corps, Ed. Plon, 2002.
M. NOLLEVAUX, Responsabilité médicale, Bull. Ordre de la province de Namur, 1991.
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