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Politique de santé

Faut-il supprimer le numerus clausus ?


janvier 2008, Dr Olivier Mariage

Médecin généraliste, directeur à la maison médicale le Gué, permanent politique à la Fédération des maisons médicales.

Le débat sur le numerus clausus resurgit régulièrement, notamment à la faveur d’initiatives des étudiants en médecine qui estiment, au nom du principe de la démocratisation des études, qu’on ne peut en limiter l’accès.

La Belgique est restée longtemps, contrairement à la majorité des pays européens, sans système de quotas. Dans les années 70, les auditoires étaient pleins à craquer et force est de constater que, dans les années 80/90, notamment en médecine générale, il y a bien eu pléthore de médecins. A ce moment là, se posait aussi de manière ardue la question de l’explosion du coût des soins de santé. C’est alors que les syndicats de médecins convergent, pour des raisons différentes, avec les responsables de la santé publique pour dire qu’il faut planifier l’offre médicale. En 1996, la loi est votée ; les effets de la loi ne se produisirent qu’en 2003.

L’adoption de cette politique repose sur un postulat : une pléthore de médecins induit des coûts supplémentaires. Est-ce bien vérifié ? Car si d’un côté la pléthore induit un risque de multiplier les interventions inutiles, d’un autre, l’abondance et la proximité des généralistes a aussi pour effet de ralentir le recours aux spécialistes et aux hôpitaux. De plus, la forte concurrence a pour effet de dissuader le déconventionnement, ce qui renforce encore l’accessibilité à la première ligne. Ceci explique peut-être cela : le système de santé belge est resté longtemps moins coûteux que celui de ses voisins qui avaient installé un numerus clausus ; et aujourd’hui, alors que la pléthore s’estompe, la Belgique tend à rattraper le peloton de tête européen en matière de dépenses de santé.

Notons aussi que ce postulat ne s’applique qu’aux systèmes à l’acte (qui reste bien entendu majoritaire chez nous) ; dans un système de financement forfaitaire, une pléthore de soignants ne peut pas provoquer de dérapage de dépenses.

Un autre aspect de la question, c’est le ratio généralistes/spécialistes : il y a quelques années encore, on approchait les 50/50. Aujourd’hui, on peut difficilement faire ce calcul étant donné la proportion croissante de généralistes n’exerçant plus la médecine générale et l’absence de cadastre précis, mais il est assez clair que les premiers reculent devant les seconds. Avec des effets pervers : en l’absence de répartition claire des tâches, il y a de plus en plus de spécialistes qui font en fait de la médecine générale en privé, alors qu’on manque, par exemple, de pédiatres pour travailler dans les hôpitaux. Ce qui nous amène à importer des médecins extra-européens pour faire le « sale boulot » dans les salles. Ici, c’est carrément le monde à l’envers : est-il bien décent que les pays pauvres du Sud forment des médecins pour aller travailler dans les pays riches du Nord qui eux, limitent l’accès aux études ?

Si l’on examine les chiffres de l’INAMI en ce qui concerne la démographie en médecine générale, on est frappé par ceci : le nombre de médecins généralistes qui se sont installés dans les années 90 a chuté par rapport aux années précédentes, alors que le numerus clausus n’avait pas encore fait ses effets. Conscients de la pléthore, nombre de jeunes se seraient-ils détournés de ces études ?

Faut-il pour autant supprimer le numerus clausus ?

Dans notre système de financement, où l’acte reste prépondérant, ce ne serait sans doute pas raisonnable si l’on veut garantir le maintien de la sécurité sociale. Un système de régulation est nécessaire, mais le système actuel contient de nombreuses lacunes et devrait être amélioré. L’objectif principal, dans une optique de santé publique, est d’organiser une offre de soins la plus en adéquation possible avec les besoins, bien répartie, accessible, le tout à un coût supportable pour la collectivité.

Pour savoir quelle offre est nécessaire, nous avons besoin de savoir d’abord quels sont les besoins de la population. Première difficulté : un tel travail n’a jamais été réalisé en Belgique. Le système actuel n’en tient pas compte, et planifie l’offre sur base de comparaisons avec les pays voisins. Comparaison n’est pas raison, d’autant qu’on n’y observe une pénurie croissante.

Ensuite, pour pouvoir planifier, nous devons connaître l’offre existante globalement, mais aussi en terme de répartition géographique et de force réelle de travail. Et là aussi, nous ne sommes pratiquement nulle part. Le système de planification actuel prévoit une répartition par Communauté, ce qui est tout à fait insuffisant pour la médecine générale. Pour pallier à ce déficit, une loi a été votée en 2003 permettant d’organiser le cadastre des professionnels de santé. Quatre ans plus tard, il semble qu’une première ébauche se travaille ; on attend les résultats. Mais d’emblée, on sait que ce premier relevé, effectué sur base des chiffres disponibles, sera très insuffisant : certains généralistes ne travaillent pas à leur domicile, d’autres développent des activités à temps partiel, … Un état des lieux par enquête est indispensable pour mieux cerner cette question, essentielle, de la force de travail disponible. C’est un enjeu d’autant plus important sur un plan politique que les comptages par communauté ont pour effet de communautariser le dossier : nos amis flamands refusent de le ré-ouvrir parce qu’il y a plus de médecins du côté francophone. Or, le problème n’est pas là : au Nord comme au Sud, il y a des zones de pléthore et des zones de pénurie ; et ce n’est pas le nombre de médecins qui compte, mais bien la force de travail disponible.

Cette absence de cadastre ne doit pas nous mettre la tête dans le sable : sur le terrain des voix s’élèvent pour crier au casse-cou. Très peu de jeunes généralistes se sont installés dans les villages reculés depuis quinze ans ; s’il n’y a pas encore de pénurie dramatique aujourd’hui, on sait que les généralistes qui y exercent ont en grande majorité plus de quarante, voire cinquante ans. Ils ne sont pas suffisamment renouvelés et on peut s’attendre à de sérieux problèmes dans les dix à vingt années à venir. C’est-à-dire juste le temps qu’il faut pour former un médecin.

Même observation dans les quartiers difficiles des grandes villes ; par contre, une ville comme Namur compte de nombreux jeunes généralistes.

Il est clair que le système actuel nous conduit tout droit à une situation à la française : pléthore dans les quartiers confortables, pénurie dans les coins difficiles, là où les besoins sont sans nul doute les plus importants. Rudy Demotte l’a bien compris en lançant Impulseo I (primes à l’installation en zone de pénurie). Mais on peut douter du résultat : la carotte de 20.000 euros, one shoot, sera-t-elle suffisante pour décider les jeunes à s’installer dans les bas quartiers de Charleroi ou d’ailleurs ? Pour résoudre ce problème, il y a une solution radicale : en venir à une programmation des cabinets médicaux. Mais, on devine déjà la réaction du corps médical : Sarkozy a lancé l’idée en France et a illico essuyé un tir de barrage. On ne joue pas ainsi avec la sacro-sainte liberté d’installation…

Il y a quelques mois, la députée fédérale Muriel Gerkens a déposé une proposition de loi permettant de lancer ce débat. L’idée est la suivante : plutôt que de limiter de manière aveugle les numéros INAMI, il s’agirait de limiter le nombre de cabinets sur base du cadastre de l’offre médicale existante, de l’analyse des besoins et d’un avis de comités locorégionaux. Un médecin ne pourrait plus ouvrir un cabinet que là où l’INAMI l’autorise. Et en cas de double candidature, elles seraient départagées sur base d’un examen. Notons ici un fait intéressant : cette proposition a été élaborée en concertation avec les étudiants en médecine, qui ont donné leur accord.

Dans un tel contexte, plus besoin de limiter l’accès aux études. Au contraire : pour s’assurer que toutes les places soient occupées, il y a intérêt à avoir un excédent de candidats. Vient ici la question du coût à l’Etat des études de médecine. Elles coûtent cher, dit-on. Sept ans, ce n’est jamais que deux années de plus qu’un master ; et les facultés de médecine, avec des auditoires de plusieurs centaines d’étudiants, ont besoin de moins de professeurs que d’autres facultés.

Reste alors la question de l’impasse pour les jeunes diplômés ne trouvant pas de travail dans la dispensation des soins. N’oublions pas que le diplôme de médecin ouvre la porte à bien d’autres métiers que la clinique : médecine du travail, Office de la naissance et de l’enfance, recherche, santé publique, assurances, industrie pharmaceutique, … Ceci doit être clairement annoncé aux candidats dès le départ, et les études adaptées en conséquence. Les universités, ici, doivent jouer leur rôle en n’axant pas toute la formation sur le soin.

Rendre leur attrait aux professions de soins de santé primaires

Si un tel système de programmation des cabinets devait aboutir, il ne suffirait pas à lui seul pour pousser les jeunes généralistes à s’installer au fin fond des Ardennes : d’autres mesures seraient nécessaires. Il est clair qu’il faut, en même temps, agir sur l’attractivité de la profession. Les écarts de revenus entre médecine générale et certaines spécialités à haute technicité sont tels (cinq fois et plus) que forcément il n’y a plus beaucoup de jeunes souhaitant s’investir dans ce métier aussi exigeant que mal payé. A titre de comparaison, les généralistes de certains pays européens gagnent près de 300.000 euros bruts par an, soit près de trois fois plus que le belge. Certaines études ont d’ailleurs montré que c’est en Belgique que les écarts de revenus entre généralistes et spécialistes sont les plus importants d’Europe.

Ce problème, lié à la revalorisation des actes intellectuels, fait l’objet de propositions dans les programmes de la plupart des partis politiques. Cela se traduira-t-il concrètement ?

La question de l’offre de soins ne se limite pas aux médecins : du côté des infirmières à domicile par exemple, on va aussi tout droit dans le mur. Il manque d’infirmières globalement, et cette situation ne va pas s’arranger avec le vieillissement de la population. Là aussi, il y a un sérieux problème de revalorisation : dans le secteur des soins à domicile, les actes infirmiers sont sous-financés et ne permettent pas de s’assurer un revenu décent, sauf de travailler 12 heures par jour. Une toilette à domicile pour cinq euros, c’est du bénévolat. Il y a à peine de quoi payer son déplacement. Et du côté des hôpitaux, c’est la pénibilité du travail qui fait décrocher une majorité d’infirmière au bout de quelques années. Loin de s’améliorer, ce problème semble s’aggraver.

Côté kinésithérapeutes, il y a un système de quotas mis en place depuis quelques années. Mais, depuis lors, l’examen de sélection n’a jamais été réalisé… vu que le nombre d’étudiants diplômés n’atteignait pas le quota en question. Ici aussi, il ne serait sans doute pas inutile de mettre en place un système de loi d’installation comme nous le pensons pour la médecine générale.

Garantir une offre de soins de première ligne est un défi à relever pour l’avenir de l’accessibilité aux soins. Et, gouverner c’est prévoir. Le prochain Gouvernement passera-t-il à l’acte, ou déclarera-t-il forfait ?

Cet article est paru dans la revue:

n° 43 - janvier 2008

Les violences liées au sexe

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...