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Formation : il y a encore du chemin !


1er octobre 2013, Marc Vanmeerbeek

médecin généraliste au centre de santé de Tilleur et chargé de cours au département de Médecine générale à l’université de Liège

« Maisons médicales : pari gagné » titrait le Journal du Médecin du 17 mai 2013. Cela fait 40 ans que le modèle attire les jeunes professionnels de santé et que le nombre d’équipes augmente régulièrement. Mais la formation en Belgique prépare-telle ces professionnels aux défis du modèle biopsychosocial ? Favorise-t- elle l’émergence de projets de santé intégrés de première ligne ?


En Belgique, les compétences en soins des professionnels de santé sont reconnues à un très bon niveau. Dans un pays encore marqué par la prééminence du modèle biomédical de la santé et par le poids des rôles historiquement établis, la santé reste de la compétence des seuls soignants. L’« éducation » (l’information ?) des patients est censée modifier leurs représentations pour permettre des changements de comportement bénéfiques. Vu la répartition actuelle des budgets entre soins de santé et promotion de la santé, on peut dire que le système de santé belge donne plus certainement accès aux soins qu’à la santé, sauf initiative volontariste.

La volonté de promouvoir la santé ne suffit pas, cela s’apprend. Il importe que les soignants aient une idée de ce qu’est la santé, selon que l’abord en est perceptuel, fonctionnel ou adaptatif, selon qu’elle est objectivée par les soignants ou ressentie et/ou manifestée par les patients. Si pour les soignants, la santé est un but en soi, pour les patients elle est essentiellement un moyen pour atteindre des objectifs de qualité de vie. Il importe aussi que les soignants prennent conscience de l’existence des déterminants de la santé, de leur influence relative sur les populations et de l’efficacité réelle mais limitée des systèmes de soins sur ces déterminants.

Comme le dit Billon [1], « le moment biopsychosocial produit la connaissance de la vie courante, des affects, émotions et représentations qui permettent de comprendre comment se structure la santé. Le moment biomédical met en place les structures objectives de la demande sociale en matière de santé dans un espace donné. »

Le médecin, mauvais communicateur ?

La compétence qui manque le plus aux soignants, parce qu’elle est peu ou pas enseignée, est la compétence relationnelle. Celle qui permet de se situer à la fois comme être humain face à son semblable souffrant, et comme expert médical face à un patient. Celle qui permet, aussi, de se situer adéquatement dans une équipe de soignants. Parfois, cette compétence est innée, souvent elle s’acquiert avec le temps et la pratique. Mais il faut bien constater que les résultats sont inégaux !

Pourtant bien communiquer est particulièrement critique dans les maisons médicales, où 40 % de la population est économiquement défavorisée. L’écoute active, le modèle de Calgary- Cambridge, l’entretien motivationnel, les groupes Balint sont autant de techniques (voir encadré) qui permettent d’acquérir et maîtriser cette compétence dans un environnement professionnel. La formation de base de tous les soignants devrait permettre d’en acquérir les rudiments théoriques et un minimum de mise en pratique.

Identifier les besoins pour réduire les inégalités

La définition européenne de la médecine générale reconnait à la profession sa « responsabilité spécifique de santé publique dans la communauté », tout en indiquant que ce point peut être générateur de tensions. Belle intuition des rédacteurs ! La santé publique est mal connue et mal aimée, mêlant dans l’esprit de nombreux professionnels la prévention, l’hygiénisme, les autorités sanitaires (perçues comme normatives), et l’assurance-maladie (toujours trop avare de ses deniers). Mais surtout, la santé publique s’occupe de toute la population et travaille à des objectifs de santé, ou du moins de réduction des risques, tandis que les soignants sont formés à travailler avec des individus, et en réponse à leur plainte.

Un effort vers la distribution des soins qui réduirait les inégalités sociales de santé comporte nécessairement une attention à tous les patients, surtout les plus défavorisés, et une bonne dose de proactivité envers eux. Cela passe d’une part par la délimitation de la patientèle (via le dossier médical global, DMG, ou l’inscription au forfait) et d’autre part par l’enregistrement structuré et codé des données cliniques et celui des données sociales dans un logiciel ad hoc. Ces deux outils permettent d’identifier les patients qui ont des besoins majorés en santé, des besoins qui ne sont pas nécessairement traduits en demandes de soins.

Une fois ces patients et leurs besoins prioritaires identifiés, il reste à définir quels objectifs il serait pertinent d’atteindre, et quels moyens et quels acteurs il faudrait mobiliser pour y arriver. Les bénéficiaires devraient idéalement co-construire les différentes étapes du processus. La technique des cycles de qualité est le troisième outil qui permet de construire des programmes d’action et d’en évaluer les résultats.

Ici également, la formation initiale des professionnels devrait veiller à souligner précocement l’intérêt de ces outils et d’évaluer les processus qui permettent de se rapprocher de la « santé pour tous ».

Des outils pour mieux communiquer

• L’écoute active, ou écoute bienveillante, est un concept développé à partir des travaux du psychologue américain Carl Rogers. Initialement conçue pour l’accompagnement de l’expression des émotions, elle est opérationnelle dans les situations de face-à-face où le professionnel écoute activement l’autre. Elle consiste à mettre en mots les émotions et sentiments exprimés de manière tacite ou implicite par l’interlocuteur.

• Divers auteurs, et surtout l’approche de Calgary-Cambridge, ont donné un descriptif détaillé de la structure de la consultation médicale. Les habiletés communicationnelles ou communication skills (répertoire de stratégies propres à chaque phase de la consultation et à employer en fonction de la particularité de chaque situation) y sont divisées en trois catégories : habiletés de contenu (savoir médical), de processus (structuration de la consultation et construction de la relation) et émotionnelles (attitudes et gestion des émotions du médecin).

• L’entretien motivationnel consiste en une approche de relation d’aide. Tel que décrit par William R. Miller, l’entretien motivationnel est « une méthode de communication à la fois directive et centrée sur la personne, ayant pour objectif d’aider les changements de comportements en renforçant les motivations intrinsèques par l’exploration et la résolution de l’ambivalence ». La méthode emploie l’exploration chez la personne aidée de sa motivation, de son ambivalence, de ses capacités de changement et de ses résistances.

• Inventés par Michael Balint, les premiers Groupes Balint se sont déroulés dans le cadre de la Tavistok Clinic de Londres et étaient proposés, dès 1949, dans le cadre de la formation postgraduée des médecins omnipraticiens. Le travail de groupe visait, à partir de cas cliniques, à aider le médecin à acquérir des qualités psychothérapeutiques. Le groupe, composé de huit à douze médecins était animé par un psychanalyste et un ou deux observateurs. Le terme s’est aujourd’hui généralisé pour désigner toute sorte de travail de supervision plus ou moins inspiré par Balint et la psychanalyse.

Travailler ensemble

Peu de choses préparent les professionnels de santé à travailler ensemble ; leurs études restent cloisonnées entre disciplines, entre niveaux de diplômes. Les choses se sont encore complexifiées avec l’apparition de fonctions de support administratif ou d’encadrement pour soutenir les soignants dans des projets de santé communautaire.

Les médecins généralistes sont les coordinateurs naturels et historiques des équipes de soins primaires ; en tout cas, ils le revendiquent. Ils font toutefois figure de mal-aimés, exerçant une profession peu attractive, peu valorisée par le système d’enseignement actuel, et de surcroit régulièrement soumise au burn-out. Des tabous ont déjà été brisés en Belgique, qui peuvent conduire à éroder progressivement leur prestige : les kinésithérapeutes établissent eux-mêmes leur diagnostic, complémentaire au diagnostic médical, les sages-femmes devraient être rapidement autorisées à prescrire des médicaments, des infirmiers spécifiquement formés gèrent le quotidien des diabétiques, etc. On va indiscutablement vers un allongement des formations initiales des professions paramédicales et une spécialisation accrue des travailleurs, accompagnée en principe d’une revalorisation de leur image professionnelle. Entre ceux qui sont appelés à une extension de leurs compétences, et ceux qui risquent de perdre une partie de leur activité routinière parce qu’ils sont trop peu nombreux ou trop peu motivés pour les assumer, les tensions peuvent s’accroître.

Sous la pression du manque d’effectifs chez les médecins et les infirmières, l’idée d’une délégation des tâches d’un groupe professionnel vers un autre dans une direction « descendante » se répand. Ce mécanisme, déjà utilisé dans les pays voisins (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne), laisse apparaître chez les différents acteurs des difficultés liées à leur représentation de leur profession et aux responsabilités qui y sont liées.

Si chacun se spécialise, personne n’apprend vraiment à travailler avec les autres. Et la diffusion de pratiques et/ou de concepts entre professions travaillant dans la même équipe est un mécanisme qui n’est ni suffisant, ni sûr. Le rapport Jacques Morel [2] en appelle à un tronc commun des bacheliers des professions de santé pour favoriser la conscientisation du rôle social, élargir les compétences et revaloriser les filières en pénurie. Beaucoup reste à faire pour définir le contenu des formations et les modalités de mise en œuvre d’une telle réforme ; ce n’est peut-être rien à côté de l’absence de volonté politique déclarée ou des résistances au changement des corps professionnels. En tout état de cause, il semble que chaque référentiel métier devra indiquer clairement où se situe l’interface avec les autres métiers et comment doit se passer la transmission d’informations et de tâches à cet endroit.

Professionnaliser l’autogestion

Les premières maisons médicales ont fait le choix d’un modèle autogestionnaire pour être en cohérence avec les valeurs qu’elles défendaient dans leurs rapports avec les patients. Il faut reconnaître que le modèle n’a pas fait florès dans la société, et qu’au sein même des maisons médicales, il se décline sous de nombreuses variantes. Le modèle autogestionnaire tolère mal l’amateurisme prolongé, sous peine d’exacerber les tensions qui traversent naturellement tout groupe humain. Outre le support de leur Fédération, le regroupement régional d’équipes aujourd’hui indépendantes favoriserait probablement la consolidation du modèle de gestion, tout en permettant des économies d’échelle dans la gestion financière ou des ressources humaines.

Pour conclure

Actuellement, la tendance à l’association parmi les jeunes générations est massive, mais le modèle monodisciplinaire reste largement majoritaire. Pérenniser l’élan prometteur des maisons médicales tout en participant à la réorientation des services de santé dans la logique voulue par la charte d’Ottawa suppose d’y attirer encore plus de travailleurs de santé. Mais il serait contre-productif que leur motivation soit principalement dirigée par des considérations liées à l’agrément du travail en groupe. Former des travailleurs de santé qui choisissent une maison médicale dans un objectif de service à la communauté suppose d’intervenir à la racine, dès leur formation initiale.

Le développement des compétences relationnelles des futurs soignants et leur conscientisation à la responsabilité sociale et à l’équité dans les soins primaires sont des préalables qui permettront d’aborder les patients dans une relation basée sur le partenariat vers des objectifs de qualité de vie.

Par ailleurs, un travail de conceptualisation devra s’attacher à l’articulation des différents référentiels des métiers appelés à collaborer. Vu l’ampleur de la tâche et les résistances prévisibles, les partenaires décrits par Boelen dans son « pentagone du partenariat » [3] devront rapidement s’atteler à ce problème : décideurs politiques, gestionnaires de santé, institutions académiques, représentants des professions de santé et usagers.

Enfin, si le modèle autogestionnaire veut survivre, il devra se professionnaliser pour éviter les crises de croissance voire les déchirements internes, mais ceci est une autre histoire.

[1Billon J., « Essai de théorisation des modèles explicatifs de l’éducation appliquée à la santé », in Spirale, n°25, 2000, pp. 17-30.

[2Morel J., Rapport relatif à la réforme des études de la santé, 2011 : http://www.pfwb.be/letravail-du-parlement/doc-et-pub/documentsparlementaireset-decrets/documents/001346009

[3Boelen C., Vers l’unité pour la santé. Défis et opportunités des partenariats pour le développement de la santé, OMS, Genève, 2011.

Cet article est paru dans la revue:

n° 66 - octobre 2013

Sens et diversité : le terreau des maisons médicales

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...