Ce dossier propose quelques éclairages sur un danger qui menace tous les pays européens, au-delà de leur diversité : la montée en puissance d’un capitalisme sauvage ( souvent appelé, pour moins de clarté, « néolibéralisme » ) axé sur la destruction d’une notion fondamentale en démocratie : celle du bien commun – et au-delà, des mécanismes de régulation et de solidarité ( sociale, régionale, ethnique, etc. ) qu’elle implique.
La solidarité, c’était le principe de base des systèmes de protection sociale conquis dans l’après-guerre dans la plupart des pays européens : il s’agissait d’assurer à tous une vie digne malgré les accidents de la vie. Mais les temps ont changé : les politiques de l’Union européenne entraînent le démantèlement de ces systèmes plutôt que leur pérennisation.
En principe pourtant, l’Union européenne n’a que des compétences limitées dans le domaine de la santé. Selon les traités, le principe de subsidiarité prévaut en la matière : les compétences sont attribuées au niveau le plus bas, sauf pour les questions qui ne peuvent pas être gérés individuellement par les Etats nationaux : épidémies, directives en matière alimentaires, etc. [1]. L’Union européenne soutient aussi la collaboration entre les Etats, l’échange d’expériences, la recherche et l’innovation en matière de santé - mais le budget réservé à ces activités ne représente qu’une petite partie de l’ensemble du budget européen [2].
La Plate-forme d’action Santé et Solidarité est une asbl qui rassemble des acteurs de santé d’horizons divers ( syndicats, mutualités, universités, organisations non gouvernementales et plusieurs associations ) qui ont décidé d’unir leurs forces pour défendre la santé comme droit fondamental. La Plate-forme analyse, sensibilise, mobilise et agit, en Belgique, mais aussi à l’étranger en adhérant à des initiatives internationales, pour soutenir tant l’organisation, la qualité et l’accessibilité des soins de santé que la prise en compte des déterminants sociaux, économiques, culturels et politiques qui influencent la santé.
Plus d’infos : « Santé, pour tous ? Journée de mobilisation de la Plate-forme d’action santé et solidarité », Santé conjuguée n°47, janvier 2009
L’Union européenne intervient essentiellement sur le fonctionnement du marché interne et sur la politique économique : c’est justement là que résident les principaux mécanismes à travers lesquels elle influence les politiques nationales de santé, en particulier l’organisation et le financement des services.
Influence indirecte, mais puissante et dévastatrice surtout depuis que le primat de l’austérité, censée ramener la croissance face à la « crise », guide les politiques. L’efficacité des mesures prises dans cette logique sont de plus en plus mises en doute par de nombreux acteurs, notamment des économistes - de plus en plus atterrés. Certains affirment même de manière virulente que ces mesures aggravent le mal. Pas pour tout le monde bien sûr : le malheur des uns fait le bonheur des autres, et de nombreuses analyses montrent à qui le crime profite.
Malgré ces critiques, l’Union Européenne poursuit une logique d’austérité [3].
La réduction des dépenses publiques et le développement des investissements privés vont de pair avec la libéralisation des services, qui est devenue un objectif de pointe. Cela signifie que les activités de « service au public » doivent s’ouvrir à la concurrence nationale et internationale, dans une logique de marché uniquement régi par la « loi » de l’offre et la demande, sans régulations. Faut-il s’étonner que les acteurs privés préfèrent assurer les risques de santé peu coûteux ( et donc rentables ) et laisser les risques non rentables au secteur public ?
La marchandisation des services vide de son sens la notion d’intérêt public, selon laquelle les services répondant aux besoins doivent être développés, sous l’oeil des Etats, pour le bien de tous, et non pour faire fructifier un capital au bénéfice des investisseurs et des actionnaires. Cette marchandisation entrave le fonctionnement des organisations dont la logique n’est pas marchande ( mutualités, organisation non-gouvernementale, etc. ) et leur impose un changement de mission.
Laisser détruire les principes de base des systèmes de protection sociale, tel est bien le risque majeur à l’heure actuelle. Il est d’autant plus aigu que les mécanismes à l’oeuvre sont complexes, difficilement appréhendables et parfois franchement opaques – ou plutôt opacifiés : les négociations sur le traité transatlantique évoqué dans ce dossier se sont largement développées à l’abri des regards citoyens.
Nous proposons ici quelques pistes pour comprendre, en abordant des aspects théoriques et concrets, tentant le difficile exercice de clarifier sans simplifier à l’excès. La plupart des auteurs ont été invités par la Plateforme d’action Santé Solidarité à l’occasion d’une action menée en mars 2013 [4]. Ils décryptent les politiques, décrivent leurs conséquences, évoquent les multiples résistances qui se construisent à l’échelon local et international, soulignant la nécessité de se battre de manière solidaire sans céder aux tentatives de repli sur soi.
Nous avons voulu, dans ce dossier, montrer l’ampleur des dégâts – actuels et potentiels ; mais aussi susciter la mobilisation en montrant qu’une résistance est possible et qu’elle existe déjà - à chacun de trouver comment la soutenir et la rejoindre, d’où il est. Les nombreuses références indiquées permettront au lecteur de compléter l’information et de rejoindre les actions qui lui parlent.
Alors même que la résistance au Traité transatlantique se renforce, les représentants de l’Union européenne discutent depuis 2012, avec les représentants d’une cinquantaine de pays – qui représentent 70% des échanges mondiaux de services - l’Accord sur le commerce des services ( ACS, ou TISA, Trade in Services Agreement ). Celui-ci vise à la libéralisation progressive de toutes les activités de services [5] : « cette fois encore, il s’agit de démanteler les normes en matière de sécurité et d’hygiène sur le lieu de travail, les réglementations environnementales, la protection des consommateurs… Figurent surtout en ligne de mire les obligations de service universel, c’est-à-dire tout ce dont un Etat estime devoir faire bénéficier l’ensemble de sa population : santé, éducation, poste etc. » [6]
Comme toujours, Santé conjuguée invite des regards pluriels qui parfois se démarquent des positions prises par la Fédération. Toutefois ces visions se rejoignent dans le partage d’un principe intransigeant : la santé est un droit humain, la libéralisation des services s’oppose à l’exercice de ce droit. La lutte pour le droit à la santé s’enracine dans les mêmes valeurs que les luttes concernant tous les droits fondamentaux qui garantissent à chacun la possibilité de mener une vie digne.
L’Union européenne – carte d’identité
Le Conseil représente les gouvernements des États membres. Il réunit les dirigeants nationaux et européens et donne à l’Union européenne sa direction politique globale.
Le Parlement est composé de députés élus au suffrage universel direct ; il représente les citoyens européens.
La Commission représente les intérêts de l’Union dans son ensemble. Elle présente des propositions de législation qui sont en principe adoptées par le Parlement et le Conseil.
Ces trois organes interviennent donc dans le processus législatif.
Deux autres institutions jouent un rôle crucial : la Cour de justice de l’Union européenne qui veille au respect de la législation européenne et l’interprète souvent lorsqu’elle n’est pas très explicite ; la Cour des comptes qui contrôle le financement des activités de l’Union européenne.
Quelques autres organes européens : la Banque centrale européenne, le Comité économique et social européen ; la Banque européenne d’investissement ; le Fonds européen d’investissement ; le Médiateur européen ….
Le site http://europa.eu clarifie de manière très accessible ( mais peu critique… ) l’historique, l’organisation et les documents fondateurs de l’institution.
[1] Europa Nu, Gezondheid voor groei. Geraadpleegd op 21 augustus 2014 via : http://www.europa-nu.nl/
[2] Greer, S.L., “The three faces of European health policy : policy, markets and austerity”, Policy and Society, 33( 1 ), pp. 13-24, 2014.
[3] Baeten, R. ( 2010 ). Globalisering en gezondheidszorg. De invloed van Europa op de gezondheidszorgverzekering en de markt van de gezondheidszorg. Geraadpleegd op 21 augustus 2014 via : http://vve.be/vwec2010/notulen/VWEC2010_sessie_III_Rita_Baeten.pdf
[4] Julie Maenaut, “Ou Health is not for sale ! Notre santé n’est pas à vendre ! » Santé conjuguée n°65, juillet 2013.
[5] Il reprend en fait les objectifs et méthodes de l’Accord général sur le commerce des services qui l’a précédé sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce et n’a jusqu’ici pas abouti mais poursuit dans l’ombre ses ambitions.
[6] « Cinquante états négocient en secret la libéralisation des services », Raoul Marc Jennar, Le Monde Diplomatique, septembre 2014.
n° 69 - décembre 2014
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...