Enfin un numéro sur la kinésithérapie ! On nous a souvent dit « Vous défendez un métier bien discret », « Les kinés ne se plaignent jamais », « C’est le médecin qui sait ce dont j’ai besoin »... et bien nous nous réjouissons que l’on parle un peu de nous ! Que l’on puisse mettre en lumière notre réalité de terrain, faire les liens avec la sphère politique, syndicale, et vous parler de notre passionnant métier de mécanicien du vivant et du mouvement, de nos relations avec le corps médical et avec nos patients, de la diversité de nos pratiques, de la crédibilité à laquelle nous aspirons et de l’évolution en cours.
Vous constaterez que, bien sûr, rien n’est simple et paisible. Il s’agit bien d’une profession peu cadrée au niveau législatif, nous n’avons pas (encore) d’ordre, nous n’avons pas (encore) de spécialités, et la diversité des pratiques constitue à la fois une richesse mais également un flou intégral sur ce qui est purement médical ou relève de pratiques vaguement ésotériques. Doit-on pour se rassurer rester vissés sur des concepts purement evidence based medecine ? A-t-on vraiment la liberté et les moyens de réaliser des études poussées sur certaines constatations empiriques ?
Ce qui est certain, c’est que la diversité il y en a. Il n’existe pas deux kinésithérapeutes qui pratiquent de la même façon ; l’éventail de formations postuniversitaires est très vaste, chacun étant libre de s’orienter en fonction de ses besoins, croyances ou nécessités. En somme, une grande variété d’offres qui devrait permettre au patient de trouver le thérapeute qui est au plus proche de ses attentes, sensibilités et besoins.
Les kinésithérapeutes ne communiquent pas qu’avec leur tête. Ils observent, touchent, sont pleinement investis dans une relation verbale et non verbale. De ces aspects auxquels on ne pense peut-être pas au premier abord découle la qualité de la relation thérapeutique et donc également le succès du traitement. Écoute active, capacité à sentir en quelques minutes en face de qui nous nous trouvons et adapter la prise de contact en fonction, qualité du toucher, tact, respect du corps de l’autre, savoir-être et savoir-faire sont indispensables, comme pour tous les soignants. C’est au kinésithérapeute de s’adapter à son patient, mais aussi d’instaurer un cadre clair sur sa posture de soignant. Dans le même élan, nous allons demander à notre patient de s’impliquer activement s’il veut opérer un changement dans sa vie, dans sa santé. Il faut là aussi faire preuve d’habileté pour rencontrer ses attentes, s’y adapter, potentialiser sa motivation et l’emmener vers l’autonomie, la connaissance de son corps, l’incarnation de celui-ci. Le processus évolue ainsi : « Passer d’un état inconsciemment incompétent à un état consciemment incompétent, puis consciemment compétent à inconsciemment compétent ».
La kinésithérapie a beaucoup évolué depuis ses premières ébauches à la fin du XIXe siècle. Cette discipline est née à la suite des guerres et des nombreux blessés qui avaient besoin de réhabiliter un corps mutilé. Les méthodes parfois barbares qui ont pu être utilisées à travers le temps ont fort heureusement évolué pour laisser place à des gestes de plus en plus précis, basés sur la compréhension de la biomécanique humaine qui inclut tous les systèmes et pas uniquement le système ostéo-articulaire. Cet approfondissement des compétences du kinésithérapeute (et de l’ostéopathe par exemple) a suscité une responsabilité accrue des gestes thérapeutiques. Aujourd’hui, ceux-ci doivent être sous-tendus par une bonne connaissance de l’anatomie, de la biomécanique, à la fois analytique et globale et, de plus en plus, de la sphère viscérale et psychocorporelle, et donc de l’interaction de tous les systèmes en synergie. C’est ainsi que les compétences diagnostiques et curatives viennent étayer richement les compétences d’un médecin par exemple. Malheureusement, sur cet aspect, il est difficile de faire valoir cette richesse depuis le terrain jusqu’aux hautes sphères politiques tant la tradition de la hiérarchie au sein du corps médical est ancrée dans un schéma difficilement mobilisable. Ainsi, c’est sous prescription médicale que l’on peut avoir accès à la kinésithérapie (du moins si l’on veut prétendre à un remboursement).
Se sentant parfois un peu oubliés, les kinésithérapeutes aspirent à une meilleure valorisation de leur profession. Que ce soit en termes d’honoraires, de reconnaissance pertinente de la formation continue, de recherche scientifique ou de compétences. En riant jaune, nous nous appelons entre nous « la poubelle des médecins spécialistes », c’est-à-dire le bout de la chaîne : il est rare de voir un chirurgien dire à son patient qu’il n’a pas de réponse à lui apporter, qu’il devra vivre avec une douleur, voire un handicap qui aura des répercussions sociales. Il est plus facile (et courant) d’entendre que c’est le kinésithérapeute qui a mal fait son travail. Il est profondément frustrant de voir des gens dont ce n’est pas le métier émettre un avis sur nos outils, nos compétences, sur la pertinence d’un suivi et sur quoi nous pouvons agir ou non. Le gouvernement choisit lui aussi des experts issus de l’université, défendant un point de vue purement académique et donc pas forcément doté d’une connaissance complète du spectre immense de la kinésithérapie. Une meilleure communication et de meilleures interactions pourraient être travaillées et laisser éclore de grandes richesses.
Et le patient dans tout ça ? Voilà qu’un médecin lui prescrit de la kinésithérapie... Il arrive que ni l’un ni l’autre ne sachent de quoi il retourne. Et il y a de quoi être perdu. Vers qui s’orienter, comment trouver le praticien qui conviendra ? Faut-il s’adresser à un kiné indépendant ou en institution ? À l’hôpital ? Pourquoi aller dans un service de revalidation ? Et si je suis inscrit en maison médicale ? Ont-ils le matériel nécessaire ? À l’acte ou au forfait ? Et mon kiné, a-t-il un bac ou un master ? Est-il spécialisé ? Doit-il l’être ? Et si le docteur l’a dit ? C’est quoi la kinésiologie, la fasciathérapie, les chaînes musculaires, le LPG, le kinétec, la thérapie manuelle, l’ostéopathie... À combien de séances ai-je droit ? De combien serai-je remboursé ? Et je vais devoir me déshabiller ?
n°82 - mars 2018
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...