Tabac, alcool, sédentarité, obésité, prise de médicaments… Finis les affrontements ! L’entretien motivationnel propose d’aider le patient dans son cheminement vers le changement, en partenariat avec lui et à son rythme.
L’entretien motivationnel est une approche née de la clinique de l’addiction. Elle a montré son efficacité dans de nombreux domaines liés au changement de comportement : alimentation, exercice physique, comportement à risques, traitement chronique. Elle part du constat et du principe que le patient est plus susceptible de changer de comportement s’il est maître des décisions à prendre.
L’entretien motivationnel, c’est un style de communication qui allie un état d’esprit collaboratif, non jugeant, empathique, et un soutien à l’autonomie du patient. Il s’agit d’établir une collaboration active entre deux experts : le patient qui amène une expertise quant à sa propre vie et le soignant qui amène une expertise scientifique complémentaire à celle du patient. Sans être nécessairement d’accord avec le point de vue de son patient, le soignant cherche à comprendre, à voir la situation à travers le regard de celui-ci. Il ne cherche pas à le convaincre ni à le contraindre, mais tente de faire émerger en lui ses propres raisons et arguments en faveur du changement.
Lorsque l’on envisage un changement de comportement, quel qu’il soit, l’ambivalence est souvent présente. Les arguments pour et contre se mélangent : « Je sais bien qu’arrêter de fumer serait mieux pour ma santé, mais je ne pourrais vraiment pas m’en passer ». Considérée à tort comme un manque de motivation, l’ambivalence est naturelle, et cela même dans les cas où le patient est conscient du risque pour la santé que son comportement induit.
Face aux arguments du soignant en faveur du changement, le patient a tendance à contre- argumenter pour préserver son autonomie… Une situation frustrante de part et d’autre. Dès lors, même si la tentation est grande pour le soignant de chercher à convaincre son patient, il est plus productif de l’amener à fournir lui-même les arguments en faveur du changement. En effet, l’être humain se laisse plus facilement persuader par ce qu’il s’entend dire que par ce qu’on lui dit…
Soignant : Vous êtes venue pour me demander une prise de sang pour contrôler que tout va bien. Qu’est-ce qui vous inquiète au sujet de votre santé ? (question ouverte)
Patient : J’ai pris pas mal de poids depuis un an. Je suis stressée au boulot et quand je suis stressée, je grignote, ça me calme.
Soignant : Grignoter vous calme... (reflet)
Patient : Il y a toujours un paquet de biscuits au fond de mon sac. C’est un vieux réflexe.
Soignant : Qu’est-ce que vous entendez par là ? (question ouverte, demande d’élaboration)
Patient : Je me rends compte qu’il y a plein de petites choses que je fais par habitude et que je pourrais peut-être changer pour me sentir mieux… mais ce n’est pas facile. (expression de l’ambivalence)
Soignant : C’est une bonne chose que vous m’en ayez parlé (valorisation). Nous pouvons prendre un peu de temps pour discuter de votre situation et de vos motivations. Puis, je vous examinerai un peu. Cela vous convient ? (demande d’accord, collaboration)
Patient : Tout à fait, c’est très bien, merci.
Comment faire parler le patient en faveur du changement ? Un principe simple, favoriser les questions ouvertes : « Quelles seraient les raisons pour arrêter de boire ? Qu’est-ce qui ne vous convient pas dans la situation actuelle ? Que pensez-vous avoir besoin de changer ? Que vous sentez-vous capable de changer ? Comment voulez-vous que votre vie soit différente d’ici un an ? » Répondre à ces questions permet au patient d’entendre ses propres arguments en faveur du changement et le place en position d’acteur, augmentant ainsi ses chances de réussite.
Le soignant peut à son tour renforcer les réponses de son patient en lui demandant de les élaborer, en les reflétant ou en les valorisant. Le reflet (réadresser au patient le sens explicite ou implicite de ce qu’il vient de dire) ou la reformulation de mots, de phrases et de ressentis donnent au patient le sentiment d’être écouté et compris. Valoriser ce qu’il dit, ce qu’il a déjà pu mettre en place (venir en parler au cabinet est une étape) aujourd’hui ou par le passé permet de créer ou de renforcer la confiance en lui nécessaire pour se lancer dans le changement envisagé.
Et si le patient argumente essentiellement contre le changement ? Nous pouvons de nouveau utiliser le reflet : résumer ce qu’il a exprimé en commençant par les arguments contre le changement et en terminant par les arguments pour. Puis en le laissant réagir. La balance décisionnelle est un autre outil pour aider à travailler l’ambivalence du patient. L’idée est de faire le tour de ses arguments pour et contre le non-changement puis contre et pour le changement. De sorte que le patient est conduit à s’exprimer in fine en faveur du changement. Cette façon de procéder amène aussi le soignant à entendre ce qui est important pour le patient dans le comportement actuel et qu’il pourra être utile de compenser une fois le changement amorcé. Enfin, la balance décisionnelle permet au patient de mettre des mots sur ses craintes par rapport au changement et d’anticiper avec son soignant les différents obstacles et les pistes pour les dépasser.
Et si un patient se justifie, minimise, contre- argumente, devient agressif ou, au contraire, complètement passif ? Le premier réflexe est de se demander comment nous communiquons avec lui : « Ne suis-je pas en train de prendre parti et d’argumenter pour le changement et ainsi de créer une situation de résistance ? » Ce que parfois nous interprétons comme étant de la résistance ou un manque de motivation de la part du patient, n’est autre que l’indicateur d’une interaction non appropriée entre le soignant et son patient. Nous pouvons alors remettre l’accent sur l’autonomie du patient en lui rappelant qu’en fin de compte, c’est à lui de décider. Une chose à éviter : rentrer nous-mêmes dans la contre-argumentation ! Grâce à cette approche empathique, le patient aura tendance à s’ouvrir et à partager plus volontiers ses envies, ses émotions, ses expériences positives ou négatives permettant au soignant d’avoir une meilleure perspective sur ses ressources et ses freins face au changement. Dans un entretien motivationnel, le temps de parole du patient sera bien plus important que celui du thérapeute.
Comment partager avec le patient les connaissances qui nous semblent utiles ? Pour éviter de répéter ce qu’il sait déjà ou de l’assaillir avec des informations qui risquent de le pousser à contre-argumenter et à prendre parti pour le non-changement, Miller et Rollnick [1] préconisent de démarrer en interrogeant le patient sur ce qu’il connait du sujet : « Que savez-vous de l’effet de la prise de poids sur la santé ? ». Lui demander ensuite s’il souhaite en savoir plus permet de capter son attention et de combler certaines lacunes en amenant une information ciblée, personnalisée et en quantité raisonnable. On termine en lui demandant ce que ces nouvelles informations évoquent pour lui.
Patient : Mon fils grandit. Même lui donner son bain, ça devient difficile. Je ne suis plus aussi souple qu’avant. Je me sens vite essoufflée, toujours fatiguée quand je rentre du travail.
Soignant : C’est important pour vous de partager plein de choses avec votre enfant. (reflet)
Patient : Oui, très important. J’aimerais rester en bonne santé pour lui. Mais c’est vrai que j’aime bien me faire plaisir avec la nourriture. Ce n’est pas facile de cuisiner équilibré tous les jours. Il ne faudrait pas que ça rajoute une couche de stress. (ambivalence)
Soignant : Vous manquez de temps, mais vous aimeriez vous sentir une maman en forme. (reflet, résumé)
Patient : Oui… je ne peux plus continuer à prendre du poids, je vais essayer d’inverser la tendance. Il faut que je trouve des solutions pour m’organiser mieux. (argument en faveur du changement)
Soignant : J’entends que des choses changent dans votre discours, vous avez l’air plus décidée (valorisation). Voulez-vous que je vous aide à vous fixer quelques objectifs ?
Lorsque le patient a résolu son ambivalence et qu’il est prêt au changement, c’est à lui de déterminer ses objectifs et le rythme auquel il désire avancer. Le piège serait de nous précipiter sur les moyens de changer avant même d’avoir discuté des raisons de le faire. Par exemple, nous parlons aisément des différentes méthodes pour arrêter de fumer, mais sans nous assurer que le patient est prêt, convaincu de vouloir stopper. De la même manière, lorsque les moyens de changer sont abordés, il convient de partir de ce que le patient connait, de ses idées. S’il n’en a aucune, il est opportun de lui proposer plusieurs possibilités de sorte qu’il puisse faire un choix et (re)devenir acteur du changement.
Selon une enquête auprès de patients dans des lieux de soins de première ligne [2], 80 % des fumeurs et des consommateurs d’alcool « à problème » ne se sentent pas concernés par le changement ou sont très indécis. La majorité de nos patients ne sont donc probablement pas prêts au changement dans l’immédiat. Il est important d’adapter notre approche afin de ne pas développer de résistances en étant trop directif.
Le processus peut paraitre lent, mais dans le domaine des changements de comportement, la patience permet d’avancer plus sûrement. L’entretien motivationnel ne prend pas nécessairement beaucoup de temps au cabinet : le changement est souvent un processus qui s’inscrit dans la durée. Dès lors, qui mieux que le soignant de première ligne peut accompagner son patient tout au long de ce cheminement, profitant de chaque occasion pour appliquer les techniques de l’entretien motivationnel ? Peut-être, ensuite, le patient demandera-t-il lui-même une consultation dédiée à son projet.
C’est avant tout le patient qui explore son ambivalence et trouve ses propres motivations au changement. C’est à nous de le guider dans une attitude résolument empathique. Et même si nous n’arrivons pas au changement, l’entretien motivationnel bénéficie tant au patient qu’au soignant en favorisant un contexte plus détendu lors des consultations. Partenaires du patient, nous évitons les dialogues de sourds, d’argumentation et de contre-argumentation. L’entretien est plus agréable et moins fatigant pour tous.
Soignant : Votre poids vous pose des soucis et vous souhaiteriez vraiment l’équilibrer, c’est bien ça ?
Patient : Tout à fait.
Soignant : Avez-vous déjà pensé aux modalités pour y parvenir ?
Patient : Pas vraiment, je me sens un peu dépassée pour mettre cela en place au quotidien.
Soignant : Vous avez pris conscience que vous deviez changer certaines choses ?
Patient : Oui, vraiment, je me dis qu’il faut peut-être que je change mon organisation pour préparer les repas.
Soignant : Comment feriez-vous cela ?
Patient : Eh bien, peut-être que je peux faire des commandes par internet chez des producteurs locaux, ça me fera gagner du temps et de la qualité.
Soignant : Quelque chose d’autre vous vient à l’esprit ?
Patient : Ben si je grignote, je prendrai les bonnes carottes et les fruits que j’aurai commandés !
Soignant : Vous avez d’autres idées ?
Patient : Bouger un peu plus, même si je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai une collègue qui m’a proposé d’aller faire des balades sur le temps de midi. Je vais me racheter une paire de chaussures de sport.
Soignant : Je peux peut-être aussi vous faire partager l’expérience d’autres patientes, qu’en pensez-vous ?
Patient : Ce serait une bonne idée, cela pourra peut-être m’aider.
[1] R. W. Miller, S. Rollnick, L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement, InterEditions, 2013.
[2] D. Berdoz et al., « ‘Combien de fois il faut que je vous dise...’ Quelques pistes données par l’entretien motivationnel », Rev Med Suisse 2005 ; 30728.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...