De nombreuses questions traversent les maisons médicales depuis que la fonction de coordination est nommée. Il semble utile d’en préciser les enjeux spécifiques, non seulement par rapport à la gestion mais aussi en ce qui concerne l’interdisciplinarité : la coordination est-elle un outil pour cette pratique ? Oui… non... bien au contraire ? Réflexions à partir d’observations de terrain.
Si on se réfère à la définition du mot coordination, on trouve les éléments suivants : il s’agirait de disposer de manière cohérente, et selon certains rapports, les différentes parties d’un ensemble dans une intention déterminée. Ou organiser harmonieusement l’action de plusieurs services afin de leur donner un maximum d’efficacité dans l’accomplissement d’une tâche ou d’un objectif défini (la mission du coordinateur est parfois rattachée à celle du « chef de projet »). Dans un groupe, se coordonner exprime l’action de « se combiner harmonieusement ». Ou encore de favoriser les interactions entre les membres du groupe [1].
Au vu de ces quelques définitions, il semblerait que tout soit déjà dit. La fonction de coordination ne mériterait peut-être pas qu’on s’y attarde, tant les choses semblent simples, claires, précises. En maison médicale, il fut un temps, pas si lointain, où le métier de coordinateur n’existait pas la coordination était une fonction traversant les autres et qui semblait théoriquement « aller de soi », au point de ne pas toujours être explicite.
Le bruit court que l’apparition de cette fonction en maison médicale est concomitante à la diversité des pratiques, des compétences, des problématiques, ou encore à l’agrandissement des structures, à la complexification des situations rencontrées et des contextes. C’est probablement vrai, au moins en partie.
Les cheminements sont variés, et notamment liés au moment où la fonction est créée. Elle peut être mise en place d’emblée dans certaines équipes, surtout si elles sont grandes, et se configurer en même temps que le projet. Dans de très petites équipes, la fonction de coordination est parfois envisagée lorsque l’équipe grandit et rencontre des difficultés nouvelles dans l’articulation du travail, qui l’incitent à formaliser une coordination jusqu’alors informelle. Souvent, c’est même d’abord la fonction de gestion qui émerge, puis de là, celle de coordination, Il s’agit alors pour le coordinateur de « faire sa place », de se situer face à des attentes souvent très grandes - et parfois face à des réticences plus ou moins exprimées.
L’émergence progressive d’une fonction explique sans doute le flou qui l’entoure bien souvent, parfois même quand elle est créée dès l’origine d’un projet. Ce flou n’est d’ailleurs pas propre à notre mouvement, d’autres expériences en témoignent. Ainsi le Pôle ressources recherche formation en action sociale indique à propos du secteur social : « Comme nous l’avons déjà évoqué, il n’existe pas de définition formelle du coordinateur. A défaut, nous tentons à partir des propos entendus, dans le cadre de notre étude, de construire les éléments structurant une définition (méthode inductive). Force est de constater que cet objectif est une gageure. En première analyse, nous pourrions, de suite, conclure que chaque institution a sa propre définition. Voire même dans un certain nombre de cas, cette définition est des plus floue…Autrement dit, dans certains services, cette fonction de coordination se définit en creux » [2]. Par ailleurs, la fonction de coordination peut réactiver divers enjeux (de vision, de projet, de pouvoir), questionner des cloisonnements installés, aller jusqu’à proposer un changement de focale. On perçoit aisément pourquoi cette fonction peine encore parfois (souvent ?) à se mettre en œuvre quand elle devient un métier, c’est-à-dire lorsqu’elle habitée et portée par une personne.
En maison médicale, la fonction de gestion est souvent associée voire mêlée à celle de coordination ; ou plus souvent à l’inverse la coordination fait implicitement partie de la fonction de gestion. Les cheminements sont variés, et une formule se transforme parfois au fil du temps et de l’expérience.
Pour sortir du brouillard, il apparaît donc pertinent d’établir d’abord une distinction claire entre les fonctions de gestion et de coordination. En ce qui concerne la gestion, une réflexion menée par un groupe de travail mis en place à la Fédération des maisons médicales dès 2012 a aujourd’hui abouti à un document décrivant les missions de gestion telles qu’elles ont été identifiées en maison médicale, leurs liens avec l’organisation, et propose un canevas décrivant la fonction de gestion [3].
Les deux composantes de la fonction de coordination sont elles-mêmes à distinguer : la coordination des soins et la coordination générale, qui porte sur l’ensemble du travail en équipe.
La fonction de coordination générale sur laquelle nous nous concentrerons ici, qu’elle soit attribuée à une personne, portée par plusieurs ou par l’équipe entière plus ou moins explicitement, se décline de diverses manières. Quel que soit le parcours de l’équipe, il semble indispensable que les différents protagonistes pensent et construisent clairement la fonction, qu’ils en définissent les missions, les responsabilités et les limites ainsi que les compétences requises. Il convient aussi d’être attentif à la manière dont cette fonction s’articule avec celles de gestion et de coordination des soins et de préciser la manière dont elle sera mise en oeuvre (qui transmet les informations utiles ? Comment valider le travail du coordinateur et en assurer le suivi ? Quel regard extérieur peut-il être invité ?).
Cela paraît évident : l’approche interdisciplinaire consiste à soutenir une vision, un travail commun entre des personnes issues de différentes champs d’expertise… un décloisonnement pouvant aller jusqu’à la reconstruction d’une réalité morcelée artificiellement par le cloisonnement des disciplines. Coordination et interdisciplinarité semblent donc intrinsèquement liées.
En fait, ce n’est pas une évidence : on peut imaginer un coordinateur se limitant à répartir les tâches opérationnelles sans que les membres d’une équipe partagent vraiment leurs concepts, leurs perceptions de la réalité, leurs méthodes. Ce type de coordination pourrait même en arriver à se substituer à une pratique d’échanges, à rendre ceux-ci obsolètes au nom de l’efficacité opérationnelle… Une forme de coordination au service du cloisonnement qui irait à l’encontre de l’interdisciplinarité et serait peu efficace en termes d’approche globale de la santé.
Dans une perspective interdisciplinaire, le coordinateur doit être garant de la diversité, ne pas prétendre gommer ou se substituer aux spécificités multiples des savoirs et des compétences : coordonner signifie au contraire les mettre en exergue, en perspective et en cohérence afin de créer, susciter et renouveler le ‘match found’. On ne peut donc pas parachuter un coordinateur dans une structure, un projet, un réseau, un territoire pour « réorganiser » le travail à la place de l’équipe.
L’interdisciplinarité implique un décloisonnement. Le décloisonnement implique quant à lui une vision et un projet communs auquel chacun adhère et contribue. Il s’agit de passer d’un travail à plusieurs à un travail ensemble. Le fait de décloisonner suscitera, renforcera les interactions, la communication, puis une meilleure répartition des tâches et la création de méthodes et d’outils communs, au service de la réussite du projet : une sorte de cercle vertueux.
C’est aussi ce qui soutiendra la mise en action du concept d’équivalence des savoirs, que l’on retrouve tant au cœur de l’éducation populaire que de la promotion de la santé, approches fondatrices du mouvement des maisons médicales et de leurs démarches interdisciplinaires et interculturelles.
Explorer les liens entre coordination et interdisciplinarité rappelle une nécessité parfois perdue dans les malentendus répandus derrière le mot-valise « autogestion » : celle de structurer, d’identifier, de répartir et de déléguer des responsabilités dans la structure, dans le projet. C’est à travers une structure et une coordination de qualité que l’autogestion et l’interdisciplinarité pourront servir leur but commun : celui d’offrir des soins de qualité, accessibles, intégrés, globaux, dans la continuité. Et cela tout en assurant une qualité du cadre de travail. Alors que le flou risquerait plutôt de nuire à l’une comme à l’autre.
La coordination devrait, dans cette perspective, être pensée, construite et habitée en fonction de ce but, et cela en équipe. Si elle restait au contraire focalisée sur des objectifs opérationnels, elle risquerait bien d’être peu efficace, voire même d’aller à l’encontre de l’interdisciplinarité.
En fin de compte, le coordinateur n’est pas un décideur mais un facilitateur. Il paraît dès lors essentiel de distinguer la fonction du coordinateur de toute autre fonction qu’il pourrait occuper par ailleurs au sein de la structure ou du projet.
Coordination et interdisciplinarité peuvent donc aller de pair et se renforcer mutuellement si elles visent non seulement à une réorganisation des pratiques mais aussi plus profondément à leur transformation.
Alors, la coordination est-elle - ou non - un levier à l’interdisciplinarité ? Oui et non… (bien au contraire ?). Il s’agit avant tout d’identifier et de définir le projet commun des parties en présence. Et non l’inverse. Ce préalable aura un impact direct sur la fonction, sa pertinence et son utilisation à bon escient pour lui permettre de réaliser son objectif.
[1] http://encyclopedie_universelle.fracademic.com/34424/coordonner
[3] Fédération des maisons médicales, GECO, La fonction de gestion en maison médicale, Série « Aide à la gestion », janvier 2016.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...