Arlon : une petite ville et une petite prison. L’équipe de la maison médicale rencontre et soigne régulièrement d’anciens détenus, et aussi leur famille ou leurs proches. Ici, tout le monde se connaît. Si on ne veut plus faire parler de soi, il faut déménager...
Nous comptons aussi des victimes dans notre patientèle. Un de nos patients précédemment condamné pour faits de violence s’est vu interdire tout contact avec son ancienne compagne, patiente elle aussi de la maison médicale. Les voici tous deux reliés à un endroit où ils vont être régulièrement suivis… Comment cela va-t-il se passer ? Qui gagne dans ces cas-là, la justice ou les soins ? Les consultations sur rendez-vous sont plus simples à gérer. Il nous arrive de recevoir des patients porteurs d’un bracelet électronique, ils sont soumis à des horaires précis. Nous nous organisons en fonction.
En général, les patients qui ont séjourné en prison étaient déjà inscrits chez nous auparavant. Durant la détention, leur inscription à la maison médicale est suspendue parce qu’ils n’ont plus de mutuelle. Revenir vers nous après une période d’incarcération est sans doute une démarche plus facile que d’aller consulter ailleurs. Avoir plusieurs disciplines autour d’eux – médical, social, infirmières, kinés, accueillantes qui les écoutent – fait qu’ils reviennent en quelque sorte à la maison. C’est un point de repère.
Certains font des allers-retours réguliers, davantage pour une accumulation de petits délits que pour de lourdes peines. Il y a un gros trafic de drogue dans la région. Une tranche de la population, de jeunes adultes toxicomanes, a régulièrement affaire à la justice. De la prison, ils ne parlent pas volontiers, mais après une longue absence de la maison médicale, ils nous informent généralement de la raison. Ce ne sont pas des choses qui apparaissent dans le dossier patient informatisé… Certains sont contraints à une surveillance régulière, à des prises de sang pour le contrôle des addictions, par exemple. La discussion avec le médecin ne porte pas que sur leur santé, mais aussi sur leur crainte des sanctions, sur les procédures, sur l’utilité d’aller en appel. Nous avons aussi des patients dont le conjoint ou un autre membre de la famille est incarcéré. Ces personnes-là se livrent peut-être un peu plus. Elles en souffrent. L’une d’elles m’en parle régulièrement, pas ouvertement, mais on voit clairement que ses activités, que tout ce qu’elle fait, y est rattaché.
Portes Sud fait partie du réseau Radarel, qui réunit une dizaine d’associations et de services de la région. On y aborde les situations qui ont un lien avec au moins trois intervenants différents. Ces personnes savent qu’on va parler d’elles, que l’objectif de ces rencontres est d’optimiser les actions sociales et d’éviter les redondances. On suit actuellement deux détenus. L’un est âgé d’une vingtaine d’années, il a obtenu une autorisation de sortie pour assister sa compagne qui est enceinte. Notre rôle est de voir comment l’accompagner dans sa réinsertion. Le réseau permet de multiplier les points de vue. Le mien est celui d’une éducatrice spécialisée, mais j’apporte aussi celui de mes collègues de Portes Sud. Le secret professionnel est de rigueur et il faut faire la part des choses entre ce que je peux rapporter aux membres de Radarel et, au retour, à mes collègues soignants. L’idée n’est pas que la personne ne nous confie plus rien, mais que l’on avance et qu’on l’aide.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...