La covidose a fait prendre conscience aux décideurs politiques et aux administrations publiques de santé que la médecine générale au sein de la première ligne était un maillon essentiel dans l’organisation de la riposte à l’épidémie.
Certes, il a fallu insister pour que la médecine générale soit associée aux réflexions menées dans les différents cénacles mis en place, comme le Risk Assesment Group où le Collège de médecine générale (CMG) a pu être représenté via la Société scientifique de médecine générale (SSMG). Et c’est parce que le CMG a été immédiatement proactif en mettant sur pied sa cellule Covid et sa cellule d’appui scientifique et universitaire que la médecine générale dans toutes ses composantes est devenue un interlocuteur crédible, sollicité, consulté et même souvent entendu. Nous pouvons donc être fiers d’avoir pu fédérer les représentants des forces vives de la médecine générale pour d’une part faire entendre sa voix et, de l’autre, nous mettre au service des généralistes. Les généralistes peuvent aussi être fiers d’avoir assumé leur rôle de santé publique dès les premiers assauts de l’épidémie sans disposer de protections suffisantes ni de munitions.
Certes il a fallu bricoler dans l’urgence et sans plan de gestion de crise pour l’ambulatoire. Mais tous les métiers de première ligne se sont mobilisés pour participer à la mise en place des centres de triage des patients et de testing, et aussi pour organiser la continuité des soins au sein de leurs pratiques, par exemple en lançant les téléconsultations. Sans ce dernier dispositif, il est quasiment certain que la première vague aurait été bien plus grave et que les effectifs auraient été beaucoup plus impactés par la maladie. Au cours de la deuxième vague et vu la stratégie de testing mise en place, les généralistes ont été cette fois submergés par des demandes d’ordre administratif, à tel point que beaucoup ont entamé des actions visant à refuser toute demande qui ne leur paraissait pas de leur responsabilité (certificats de quarantaine exigés de manière injustifiée par des employeurs ou directions d’école, par exemple). Encore une fois, syndicats médicaux et cercles de médecine générale, avec le CMG, ont agi jusqu’au niveau du nouveau ministre de la Santé pour pousser les autorités à prendre des mesures immédiates. L’évaluation dira si elles auront été opérantes ou non...
La crise n’a fait qu’éclairer les faiblesses de notre système de soins, connues et décrites depuis longtemps, mais trop peu prises en compte, voire niées par les gouvernements depuis des décennies. Quant à savoir si les leçons qui pourront en être tirées seront suivies d’effet, cela dépendra davantage de la capacité du terrain à ne pas désarmer que des politiques, qui peuvent très vite retourner aux mauvaises habitudes et aux bricolages d’avant. La crise a par exemple obligé la médecine générale à privilégier le mode téléconsultation lors de la première vague en particulier alors que ce n’est pas du tout dans son ADN. De nombreux généralistes ont découvert que, dans certaines limites, cette pratique pouvait offrir un plus à leur pratique. Cela influencera certainement les réflexions menées dans le groupe de travail « télémédecine » mis en place avant la pandémie.
La crise a également eu des effets de mobilisation, en particulier au niveau des cercles, des syndicats médicaux, de la SSMG et des départements universitaires de médecine générale. De multiples initiatives se sont créées grâce aux cercles et à plusieurs maisons médicales, une cellule Covid au sein du Collège de médecine générale et une cellule d’appui scientifique et universitaire. Mais la leçon à mes yeux la plus évidente de cette crise, c’est que nous devrions faire preuve de beaucoup plus d’humilité devant la capacité de nos systèmes de soins à répondre à des fléaux encore inconnus de la science. Devant plus d’incertitudes que d’évidences, il faut savoir rester prudent et en même temps réactif et flexible. La science biomédicale n’a pas réponse à tout. Afin de mieux anticiper de nouvelles crises, la remise en question du système de soins et de santé devrait intégrer davantage cette évidence de l’incertitude.
La GBO revendique depuis longtemps des mesures pour alléger la charge administrative en médecine générale. L’actualité lui a permis de faire entendre raison aux autorités sanitaires (facilités pour les demandes de tests et de certificats de quarantaine, par exemple) qui ont compris qu’autrement elles mettraient en péril tout le système de gestion de crise au niveau de la première ligne. Le GBO revendique depuis toujours un renforcement de cette première ligne. Au niveau régional en tous cas, l’urgence de ce renforcement ne sera plus à démontrer. Il suffit de voir comment les autorités ont fait appel aux cercles de médecine générale. Les possibilités offertes par la télémédecine, en particulier le monitoring à domicile pour la surveillance de certains paramètres, en sont d’autres exemples. Mais le chemin est encore long pour que toutes les revendications, comme l’échelonnement des soins, soient entendues.
Pour pallier les faiblesses de notre système, et pas seulement en termes de capacité de riposte face à une crise sanitaire, il faudra une réforme globale en profondeur et oser la remise en question du morcellement des compétences en santé et du fonctionnement entre entités fédérées. Ce n’est pas gagné, mais avec les nouvelles équipes ministérielles, on peut raisonnablement espérer plus de changement.
Quelques constats remis en lumière par la crise
Pas de culture de la prévention. Bien que souvent déclarée prioritaire, il n’y a toujours pas de vraie politique de prévention dans notre pays. Y compris pour prévenir des crises. Pour preuve, la saga des masques détruits et non remplacés, comme si nous étions à l’abri d’une nouvelle épidémie. La prévention, pilier de tout système de santé, reste sous-financée et mal organisée. Où en sommes-nous aujourd’hui pour l’intégration du concept de « santé dans toutes les politiques » ? Nulle part.
Pas de plan stratégique de développement de la santé publique. Le citoyen a été effaré de constater qu’il n’y avait pas de plan stratégique actualisé prêt à être activé en quelques jours en cas d’épidémie majeure. Mais au-delà de plans d’urgence en cas de crise sanitaire, le pays a besoin d’un plan global de développement de santé publique qui transcende les législatures et le morcellement des compétences.
Pas de système intégré d’information sanitaire. Les outils de collecte et d’analyse de données disponibles en Belgique ne font pas l’objet d’un véritable système intégré d’information sanitaire. Beaucoup d’indicateurs de ressources, processus, résultats et impacts ne sont pas suivis en routine.
Pas de structuration cohérente de la première ligne en Wallonie. La Flandre a pu s’organiser en zones de première ligne et « conseils de soins » [1], y compris à Bruxelles où par ailleurs Brusano [2] s’est aussi mis en place, mais sans avoir jusqu’ici défini de zones de première ligne proprement dites. Pourquoi la Wallonie reste-t-elle en rade ? En octobre 2020, la Plateforme de première ligne wallonne (PPLW) [3] a envoyé à la ministre Morreale sa note de réflexions et d’orientation relative à l’organisation de la première ligne. À ce jour, celle-ci est restée sans réponse.
[2] Brusano est le service pluraliste et bicommunautaire de coordination et d’appui aux professionnels de santé de la première ligne. https://brusano.brussels.
[3] www.pplw.be.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...