La loi sur les droits des patients a intégré le droit, pour tout patient, d’avoir recours à un médiateur. Car la relation entre lui et son médecin repose sur une inégalité de statut : le patient dépendant et ignorant face au médecin dépositaire d’un savoir qui déterminera l’état de santé du premier… Dans les soins de santé plus qu’ailleurs, la médiation a un rôle de démineur essentiel au bien-être de la personne, ici le patient. Serait-ce grâce à la qualité des soins prodigués en maisons médicales que le nombre de plaintes envers celles-ci auprès des services de médiation sont si peu nombreuses, ou à cause d’un mode de fonctionnement qui les freine ?
À une époque où « le concept de communication est généralisé, il n’a jamais été aussi mal appliqué et [il] ne conduit le plus souvent qu’à une illusion d’une forme de relation. » [1]. L’illusion se révèle de manière douloureuse en cas de conflit. Le manque d’expérience de la confrontation saine [2] rend difficile, parfois impossible, le dépassement d’incompréhensions, de désaccords vécus. « Dans tout conflit se crée un espace, un vide qui isole chacun dans son vécu. Vide que chacun essaie désespérément de combler par des mots qui restent sans signification pour celui auquel ils sont adressés. Ces mots, finalement, chacun les dit pour soi-même puisque l’autre ne peut pas les entendre. Deux monologues se répondent, chacun restant isolé par un mur infranchissable. » [3]. La médiation tente de répondre à cette difficulté.
Né aux États-Unis dans les années 70, le mouvement contemporain des méthodes alternatives de résolution de conflit développe la médiation comme alternative aux méthodes juridiques réputées longues et coûteuses. à la lecture de Jacqueline Morineau, on se dit que la proximité temporelle de la naissance de ce mouvement avec celle du mouvement des maisons médicales n’est sans doute pas le fruit d’un hasard : « La médiation est essentiellement démocratique et une de ses caractéristiques fondamentales est de proposer une place et un rôle nouveau à l’individu dans la société. Non plus dans un rapport de dépendance aveugle mais dans un rapport de responsabilité et de liberté. Liberté non pas en tant que ’laisser faire’ tout ce que nous désirons, mais liberté en tant que choix de ce qui nous permet de croître et non pas de ce qui nous rend esclaves. Prendre en charge nos actes, en assumer le devenir [...] ». Le médiateur par son questionnement, « va permettre à chacun de mieux se connaître, de voir plus clair en lui-même, de retrouver une autonomie d’action qu’il pourra exercer au quotidien. » [4].
La spécificité de la médiation, c’est d’intervenir quand il y a rupture de la relation et du dialogue entre deux ou plusieurs personnes, non pas pour « agir à la place de » mais pour instaurer les conditions, pour recréer un dialogue où chacun pourra exprimer son problème et ce qu’il ressent. Le médiateur sera là pour faciliter les échanges, apaiser la situation, reformuler ce qu’il a entendu pour que chacun puisse affirmer sa réalité et entendre l’autre dans sa réalité. Il s’agira au cours du processus de traduire le conflit en besoins (derrière chaque opposition, il y a un besoin non rencontré). à partir de là, pourra démarrer une phase de négociation entre les parties qui établiront les conditions pour maintenir la relation, la collaboration à l’avenir. Il se peut qu’au terme d’une médiation, la rupture soit la seule solution envisageable pour l’avenir. Elle résulte alors d’un processus où chacun a pu être entendu et a pu décider de l’issue à donner à la situation.
Dans le secteur des soins de santé, la position de patient n’est pas toujours facile à tenir. La relation revêt un caractère inégalitaire entre le patient dépendant et le soignant dépositaire d’un savoir déterminant pour l’avenir de sa santé. La difficulté de dire son désaccord s’en trouve parfois renforcée. Le patient peut être amené à subir la situation ou à rompre unilatéralement la relation de soins sans assurer les conditions de la continuité de la prise en charge. C’est pourquoi les pouvoirs publics ont élaboré une loi définissant des droits aux patients (loi de 2002) dont le dernier est le droit de recours à un médiateur.
La relation de soins est un sujet de préoccupation central dans le quotidien des maisons médicales. Ce n’est pas qu’on y soit foncièrement plus sociaux ou charitables qu’ailleurs ! La raison d’être des maisons médicales, leurs fondements poussent les équipes à considérer que cette relation est essentielle à la qualité des soins et plus largement à la santé de la population.
La Charte des maisons médicales a été réécrite en 2006. Les acteurs d’aujourd’hui ayant trouvé important de réaffirmer ensemble les valeurs fondatrices à la lumière des évolutions de la société. On y fait explicitement référence aux soins de santé primaires. Ils ont été définis lors de la conférence internationale de l’Organisation mondiale de la santé à Alma Ata à une époque de paradigme de progrès social pour tous (1978). Cette conférence mettait l’accent sur la réduction des inégalités en santé. Les soins de santé primaires étaient présentés comme moyen de « donner à tous un niveau de santé qui permette de mener une vie socialement et économiquement productive. » [5]. La déclaration d’Alma Ata préconise ce développement « avec la participation des individus et des familles de la communauté [...] dans un esprit d’autoresponsabilité et d’autodétermination. ». Chacun est donc invité à prendre part à la planification, à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle des soins de santé primaires. Il est pour cela nécessaire de « favoriser l’aptitude des collectivités à participer ». Derrière cette invitation, c’est bien plus que l’enseignement de bonnes pratiques qui est préconisé, mais une attitude réflexive visant à un positionnement individuel et collectif.
Il est donc naturel de retrouver dans notre Charte les principes de citoyenneté, d’autonomie, le renforcement de la capacité décisionnelle, la participation à l’élaboration de politiques de santé et de politiques sociales.
Notre Charte explicite également comment les valeurs du mouvement se traduisent, notamment à travers quatre critères qui construisent une relation de qualité entre patients et soignants : la globalité des soins : la prise en compte des aspects psychosociaux et environnementaux qui participent à l’état de santé du patient nécessite un dialogue de qualité, une relation de confiance entre les professionnels et le patient. la continuité des soins : elle implique notamment une relation dans la durée avec le patient, ainsi que la transmission d’informations relatives à sa santé entre professionnels. l’intégration : dans une approche intégrée, les projets de prévention, les actions communautaires en santé, l’action sur les déterminants non médicaux de la santé se définissent notamment en fonction des besoins mis en lumière par l’action curative, de manière individuelle et collective. C’est à ce niveau également que la participation des patients à l’orientation des politiques et des services de santé se met en œuvre. l’accessibilité aux soins pour tous : sur le plan géographique, on parlera de proximité, sur le plan culturel ; on parlera d’acceptabilité ; et sur le plan financier on parlera du fonctionnement au forfait [6].
Le service fédéral de médiation « droit du patient [7] » reçoit très peu de demandes d’interventions pour des situations en maison médicale. Serait-ce le signe que tout va pour le mieux... ?
Bien que la plupart des équipes s’organisent de manière satisfaisante et efficace pour prendre en compte les conflits entre patients et soignants ou entre patients et institution, le sentiment subsiste chez certains professionnels que ces procédures connaissent des limites.
Il s’agit le plus souvent de faire intervenir un ou des tiers au conflit choisis parmi les membres de l’équipe soignante ou représentants de l’institution (le conseil d’administration). Ce qui laisse à penser que malgré les qualités que l’on rencontre parmi les travailleurs de maison médicale, l’impartialité n’est pas toujours facile à respecter. Le collègue mis en cause dans un conflit avec un patient est également le collègue avec lequel on va discuter les suivis médicaux difficiles ou l’organisation de la maison médicale...
Par ailleurs, certaines désinscriptions, qu’elles soient le fait d’un patient ou de la maison médicale, sont parfois vécues comme une solution insatisfaisante. A-t-on tenté tout ce qui était possible pour maintenir l’accès au service dans la durée ? Cette question est d’autant plus sensible que la personne concernée vit dans une situation de précarité.
Régulièrement la Fédération des maisons médicales est interpelée par des patients à la recherche d’une instance proche de leur maison médicale et susceptible d’intervenir dans un conflit.
Tout ceci, ainsi que le souci de garantir au mieux nos critères de qualité, a incité la Fédération des maisons médicales [8] à rassembler des groupes de patients et de soignants pour réfléchir à différents points : la place de la médiation dans notre modèle de service de santé ; la pertinence d’un tel dispositif en fonction de besoins exprimés ; les conditions auxquelles il pourrait être utile d’organiser un dispositif de médiation qui tiendrait compte des spécificités de la relation patients/soignants dans nos centres.
Ce projet est en cours. Une première phase s’est déroulée dans la région liégeoise. Elle a permis de révéler que les attentes en matière de médiation dépassent le strict cadre de la loi sur les droits des patients en restant centrées sur la qualité des soins, si on les considère de manière globale. on pense en premier lieu aux difficultés rencontrées par le système du forfait, un fonctionnement très organisé et règlementé qui modifie la manière dont les patients utilisent un service de santé. Que faire en cas de non-continuité des soins entre deuxième et première ligne ? Les professionnels aussi souhaiteraient pouvoir faire appel à un dispositif de médiation afin de maintenir une relation sereine dans la durée. Certains conflits entre usagers dans la salle d’attente posent problème à la maison médicale en termes de qualité de service de santé. Les relations entre maison médicale et comité d’usagers participent à la qualité des soins fournis à la population de la maison médicale. Elles ne sont cependant pas prises en compte par la loi. Il en va de même pour tout ce qui est de l’extra-curatif (prévention, action communautaire en santé...). Quant aux questions liées à la déontologie, elles ne sont pas mentionnées de manière explicite dans la loi.
Les personnes concertées (patients et professionnels) estiment que la médiation doit être menée de manière professionnelle. Cependant, ils estiment pouvoir jouer un rôle en amont et en aval de la médiation. En amont pour soutenir le médiateur dans sa compréhension des réalités vécues au quotidien dans les centres. En aval, pour participer à un dispositif qui permettrait de faire évoluer l’organisation des services à partir d’une analyse des types de situations traitées. En aval, encore pour participer à un dispositif qui permettrait, sur base de l’expérience vécue en médiation, de construire et diffuser une « culture de la médiation » qui soutiendrait les professionnels, les institutions et les usagers dans une plus grande autonomie de la gestion des conflits. Cet aval est à penser et construire. C’est l’objet d’une seconde phase de projet dans laquelle il s’agit également d’élargir la concertation des professionnels et des usagers dans les provinces de Hainaut, Namur, en région Bruxelloise et en région Flamande.
Appel à participation !!! Si vous êtes patient en maison médicale et que vous souhaitez réfléchir à cette question de la médiation, il est possible de participer à un groupe de travail dans votre région.
Pour plus d’informations, vous pouvez contacter : Ingrid Muller
02 514 40 14
ingrid.muller-AT-fmm.be
[1] L’esprit de la médiation, Jacqueline Morineau. Erès 1998.
[2] Concept développé par Patrick Lencioni (consultant américain spécialisé dans le développement des organisations et des équipes), mais qu’il est intéressant d’envisager au-delà des dynamique d’équipe en entreprise.
[3] L’esprit de la médiation, Jacqueline Morineau. Erès 1998.
[4] id.
[6] Accord entre le patient, sa mutuelle et la maison médicale qui assure l’accès aux soins en fonction des besoins du patient à condition qu’il soit en ordre de mutuelle. C’est la mutuelle qui paye directement la maison médicale suivant un système de forfait.
[7] Qui fête ses 10 ans cette année.
[8] Avec le soutien de la Fondation Roi Baudouin et du service éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
n° 62 - octobre 2012
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...