En matière de réflexion sur la qualité, les acteurs de terrain agissent souvent sans attendre l’initiative des décideurs politiques. C’est le cas, à la Fédération, pour la formation des médecins, depuis longtemps soumise à l’analyse critique. Cet axe a été poursuivi pendant quelques années dans un projet d’Université Ouverte en Santé, ainsi que dans un groupe interuniversitaire, qui rassemble à la Fédération des médecins impliqués dans la formation des futurs généralistes. Conclusion : la contribution la plus spécifique que la Fédération peut apporter à la formation des professionnels, c’est probablement l’amélioration des stages en maison médicale. Récit d’un projet en cours.
Dès 1981, le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM) pointait la formation des soignants comme un des obstacles à la mise en oeuvre d’un système de santé de qualité dans notre pays.
Les premières maisons médicales travaillaient alors en étroite interaction avec le GERM. Il n’est donc guère étonnant que la Fédération ait très vite mis en place des activités destinées à améliorer les compétences et les pratiques des médecins de maisons médicales. Leur but était de les éclairer, de les outiller pour réaliser un travail différent de ce qu’ils avaient appris dans les facultés.
Ce travail de formation est toujours d’actualité ; mais il s’agit de formation continue destinée à une fraction de soignants, déjà attirés ou convaincus par une certaine pratique des soins de santé primaires. C’est bien sûr insuffisant : la formation de base est fondamentale. Plusieurs médecins de maisons médicales ont d’ailleurs oeuvré en ce sens, en occupant des fonctions d’enseignement dans les départements de médecine générale et en devenant maîtres de stage.
Depuis 20 ans, d’importantes réflexions pédagogiques et de nombreux changements ont été introduits dans le cursus et les méthodes d’enseignement, en relation avec les missions attendues du médecin dans une société en évolution. C’est un grand progrès, mais il reste insuffisant.
Le constat établi par le Groupe interuniversitaire de la nécessité d’améliorer la formation des professionnels durant les stages s’inscrit dans cette recherche d’une meilleure adéquation avec l’évolution des pratiques médicales. Il s’agit d’une étape vers une meilleure contribution des expériences dans nos équipes à la formation de tous les intervenants en santé. C’est donc une initiative de réorientation des services, une des actions prioritaires définies par la Charte d’Ottawa.
Pour alimenter cette démarche à partir de la pratique, la fédération a mené, avec la collaboration des intergroupes, un travail de recueil des attentes et suggestions des assistants et maîtres de stage.
Un maître de stage : « Il faut que ce projet soit un choix d’équipe et pas d’individu (ou pire, un choix financier !), qu’il lui donne les moyens en temps pour apprendre, lui propose une pratique variée (pas le fourretout des consultations aiguës...), ainsi qu’une place dans les activités autres que curatives, avec des responsabilités. Il faut laisser au stagiaire une place dans l’asbl, qu’il puisse regarder de près sa gestion, la dynamique associative et y participer pleinement »
Travail pratique à Liège et Bruxelles
Deux groupes d’assistants, à Liège et à Bruxelles, ont été rencontrés. Le canevas de ces rencontres prévoyait d’abord un recueil des situations satisfaisantes/insatisfaisantes, en tous petits groupes, puis un échange sur l’analyse de ces situations, afin de dégager ce qui est fondamentalement problématique.
Dans un deuxième temps, les participant-e-s étaient invité-e-s à formuler individuellement des pistes de solution par association libre, selon la méthode PAMER (que faudrait-il Permettre, Ajouter, Modifier, Eliminer, Renverser ?).
L’enquête auprès des maîtres de stage s’est faite par mail. 103 MDS pratiquant en maison médicale ont été identifiés. 27 ont répondu, représentant la diversité des universités et des anciennetés.
Un maître de stage : « Basé sur notre pratique et sur les valeurs à la maison médicale - transmettre une compétence clinique, pour améliorer la confiance en lui- même - possibilité de combiner la médecine générale avec d’autres spécialités et gérer le travail en prévention d’un burn out.
Nous leur avons posé les questions suivantes : Pour vous, en quoi accueillir un stage d’assistant est-il important ?
• Quels sont les aspects de la formation auxquels vous accordez le plus d’importance ?
• Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
• Qu’est-ce qui vous aide particulièrement dans votre rôle ?
• Qu’est-ce que vous essayez de mettre en évidence lors de l’évaluation d’un assistant ?
• Comment organisez-vous cette évaluation ?
• Qu’est-ce qui devrait changer pour améliorer la qualité des stages d’assistant en médecine générale en maison médicale ?
Les réponses aux questions ont été appariées, afin de dégager les besoins et attentes prioritaires, en vue de les croiser avec les propositions des assistants.
Enfin, dans le courant du mois de juin 2011, une série d’équipes tirées au sort en tenant compte de leur représentativité ont été invitées à constituer un groupe pour apporter également le point de vue des autres travailleurs. Dans cet échantillon, il était demandé à une personne de rassembler un groupe de 3 travailleurs nonmédecins, et de leur soumettre :
• Un questionnaire individuel : Pouvezvous donner des exemples de situations où vous pensez participer vous-même à la formation des assistants en médecine générale ? Pensez-vous qu’il devrait en être autrement ?
• Et un questionnaire collectif : Combien y a-t-il d’assistants dans votre équipe ? Depuis quand y en a-t-il ? Quel devrait être le rôle de l’équipe de la maison médicale dans leur formation complémentaire ? Estce que certaines professions ou fonctions particulières (CA ? CG ? …) devraient jouer un autre rôle ? Qu’est-ce qui pourrait aider l’équipe dans ces rôles ?
L’objectif de ce troisième volet de l’étude était moins le recueil que la mobilisation, dans la perspective de l’élargissement futur de la démarche à d’autres stages.
Le résultat de ces démarches a été analysé par le « groupe des universités » de la Fédération début juillet.
Un assistant : « Suivre (la longueur !) des discussions entre les membres de l’équipe lors des réunions : comprendre les différents points de vue, en tenir compte, faire une « synthèse », trouver un accord … pas toujours évident, parfois pas efficace et peu rentable ! »
Sur la base de cette analyse, une série de propositions ont été faites aux intergroupes : L’organisation d’un module de formation sur le stage d’assistant en médecine générale dans le contexte particulier des maisons médicales : enjeux de la santé, financement des soins, interdisciplinarité ; principes, charte, rôle et fonctionnement de la fédération et de l’intergroupe. Le « welcome-pack » des assistants, en quelque sorte.
La mise en place d’un groupe de travail des maîtres de stage pour la mise au point d’un référentiel commun pour le suivi longitudinal des compétences de l’assistant en médecin générale en pratique de groupe pluridisciplinaire. Il s’agirait de partir de ce qui existe pour l’améliorer, et l’adapter au contexte interdisciplinaire.
Une assistante : « Nous devrions recevoir une information/formation sur le travail en groupe dans une maison médicale : comment s’intégrer dans un groupe déjà constitué ? Comment (faire) prendre une décision rapidement ? Mais aussi une information théorique des principes de l’autogestion, de la dynamique d’une équipe … »
La mise à l’étude d’un dispositif d’écoute et de réflexion des AMG sur les aspects interpersonnels, la relation, … une espèce de groupe Balint ou d’intervision.
Des recommandations sont adressées aux maîtres de stage :
• Mettre en place un encadrement structuré. Pas nécessairement plus d’encadrement, mais des cadres plus formels, définis, explicites, lors d’une supervision hebdomadaire systématique.
• Organiser, dans la mesure des besoins des patients, des tandems thérapeutiques entre AMG et MG, avec des échanges et des retours.
• Organiser des consultations supervisées par le maître de stage.
• Prévoir la pratique des actes techniques ou gynécologiques en duo.
Et d’autres recommandations ont été proposées aux maisons médicales :
• Concernant les conditions matérielles, même s’il n’est pas possible de dédier un cabinet à l’assistant, avoir une attention à de petites choses concrètes qui faciliteront son confort et son intégration : disposer d’un casier de courrier, d’une armoire, d’un coin de bibliothèque.
• Gestion des réunions : les assistants qui débarquent sont surpris d’être impliqués dans de nombreuses réunions dont les sujets ne les concernent pas directement. Améliorer la gestion de ces réunions doit, de toutes manières, être un souci constant, mais il serait bienvenu, aussi, de clarifier avec l’assistant l’objectif de la réunion, les enjeux, en quoi ça le concerne, pourquoi on l’implique.
• Mettre en place un comité interne d’accompagnement de l’AMG.
• Équité dans l’organisation : les règles qui concernent l’organisation du travail doivent s’appliquer également à chacun-e. S’il est souvent admis que, par exemple, le fait d’avoir des enfants doit donner accès à certaines facilités, il ne convient pas que le statut d’assistant implique, en soi, une infériorité de droit ou de fait.
Enfin, pour donner aux AMG la possibilité de participer à ces activités de formation continuée et à d’autres, il est recommandé de prévoir pour ça, dans son horaire, un temps équivalent à 1 heure par semaine, soit une demi-journée par mois, soit encore, 1/48 de son temps de formation. La qualité du travail et de l’implication de l’assistant bénéficiera de cet effort des équipes. Il faut rappeler l’esprit du stage d’assistant qui ne peut pas servir à faire fonctionner le service, quelles que soient nos difficultés d’organisation.
Les équipes réunies dans les intergroupes ont réagi très positivement à ces propositions. Des séances avec les assistants ont pu être organisées à Bruxelles, Charleroi et Liège.
Les maîtres de stage ont commencé à s’emparer de la proposition à Charleroi et à Liège. Ils se saisissent de l’opportunité de se rencontrer. Une des contraintes est toutefois de développer une démarche spécifique, complémentaire à l’encadrement académique prévu. Cette contrainte répond tant à un souci d’efficience que d’articulation avec les initiatives novatrices et les forces vives dans les départements.
La perspective commune des intergroupes est de proposer un module d’accueil commun à tous les nouveaux assistants à la rentrée académique 2012.
Enfin, à l’occasion de cette démarche, le projet d’un TFE interuniversitaire sur ce sujet a refait surface, sur proposition d’une assistante.
Si la démarche présentée ici a avant tout porté sur les médecins, soulignons qu’elle est évidemment liée à la qualité des services d’une façon beaucoup plus générale. Elle rejoint en cela de nombreux travaux et réflexions qui ont participé depuis le début [1] à la construction du « modèle maison médicale », à la définition de critères de qualité pertinents et à leur mise en pratique.
Cette réflexion est constamment menée ; par exemple, le congrès de la Fédération des maisons médicales en mars 2011 mettait en valeur les « critères de qualité pour décrire des centres de santé primaires communautaires » [2]. Avec une certaine dose d’universalité à travers ceux-ci. En effet, il existe des critères d’objectifs, de moyens, de fonction et d’autres sans doute. Mais quelque chose d’essentiel relie de façon quasi philosophique ces différents éléments : les valeurs et l’engagement, clairement explicités dans la Charte des maisons médicales. [3]
La démarche entreprise au niveau de la qualité des stages au sein de la fédération a aussi cette vocation plus large (à l’avenir, d’autres métiers seront concernés, le monde médical n’est qu’une porte d’entrée), et on peut à tout niveau trouver un reflet de ce qui fait la qualité d’un centre de santé.
Par exemple, on peut décrire le projet « bibliothèque » comme étant une forme d’accessibilité à la connaissance. Les ’tandems’ thérapeutiques sont une forme de continuité auprès du patient. Des modules de formation sur les enjeux et financement participent en grande partie au volet finalité publique. Les recoupements sont là, au-delà de ces quelques exemples, et nous emmènent vers un autre modèle de société. Celle que nous voulons, celle dont nous rêvons. Plus que jamais, l’instruction, l’éducation et la transmission constitueront un vecteur social fondamental des valeurs qui sous-tendent le projet des maisons médicales.
[1] « Gestion et coordination de travaux destinés à définir le rôle des CSI dans un réseau de santé communautaire, Dominique Langenaeken, Fédération des maisons médicales Rapports de recherche 1990-1993 et 1992-1993
[2] « Des critères à tous les niveaux » dans Santé conjuguée 56, 2011.
[3] www. maisonmedicale.org
n° 61 - juillet 2012
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...