Le propos de cet article est de donner un éclairage sur le concept de démocratie et ses déclinaisons, démocratie participative et démocratie délibérative entre autres. Pour commencer, nous inscrirons la démocratie dans le temps. Ensuite, nous tenterons de donner une définition la plus complète possible des types de démocratie et d’en dépasser les apparentes contradictions. Enfin, nous nous questionnerons sur notre rôle de citoyen au sein de la cité et sur notre « pouvoir », notre influence sur les choix fait en matière de politique locale. Citoyen s’entendant comme membre d’une famille, appartenant à un groupe social, mais aussi citoyen, membre ou représentant d’une association locale, d’un comité de quartier…
La démocratie grandit au fil des siècles et s’adapte aux changements de contexte. Elle a pris son temps et des formes diverses. Nous ne pourrons toutes les présenter et les développer ici.
Certains auteurs voient dans les sociétés préhistoriques l’application de certains principes de la démocratie, l’ensemble des membres d’un clan ayant voix au chapitre lorsqu’une décision devait être prise. Nous préférons partir du postulat, partagé par de nombreux historiens, que le concept de démocratie remonte à l’antiquité. Démocratie vient du grec qui signifie le pouvoir (kratos) du peuple (demos). La démocratie est un régime politique dont le peuple est souverain. Mais pas tout le peuple. En effet, à l’époque, en Grèce, par peuple, on entendait les hommes libres (éleuthéros) [2]. Les femmes, les étrangers et les esclaves ne pouvaient participer à la vie politique.
Au Moyen-âge, avec le développement des villes et l’essor de l’économie, on voit apparaître une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie. Une bourgeoisie revendicatrice de droits et de garanties élémentaires par rapport à la noblesse en place.
En Angleterre, au XIIIème siècle, les revendications de la petite noblesse (barons) aboutissent à l’obtention de droits réels : la Magna Carta Libertatum ou Grande Charte (1215). Cette charte garantit le droit à la liberté individuelle. Elle limite les prérogatives du roi. C’est probablement le premier texte qui prévoit des mesures de protection précises contre l’arbitraire.
Le siècle suivant voit poindre des soulèvements populaires dans certaines parties de l’Europe. Soulèvements dans les milieux ruraux principalement, les paysans se sentant de plus en plus pressés et dominés par la noblesse en place (impôts…).
« L’ignorance est la source de l’injustice »
Socrate
A partir du XVème siècle, avec le déclin de la société féodale et l’émergence du capitalisme et de la bourgeoisie, les notions d’égalité et de liberté des hommes progressent et se renforcent avec le développement de l’humanisme durant la Renaissance, et plus tard la lutte pour la liberté de religion durant la Réforme. La sécularisation progressive de l’Etat implique une conception différente du gouvernement, qui est désormais pensé par les hommes et non par un roi de droit divin.
C’est au cours des XVII et XVIIIème siècle que la démocratie moderne apparaît.
En Angleterre, les notables s’opposent au regain de l’absolutisme royal. Cromwell [3] instaure une république dictatoriale qui dure une dizaine d’années suivie par le retour des Stuart sur le trône. Leur pouvoir sera limité par l’Habeas Corpus qui met fin aux arrestations arbitraires. Les rivalités religieuses (protestants/ catholiques) portent sur le trône une reine protestante qui concède le Bill of Rights (Déclaration des droits [4]) qui limite le pouvoir du roi au profit du Parlement [5]. C’est l’aboutissement de la Glorieuse Révolution. L’Angleterre est alors une monarchie parlementaire.
Plus tard en France, la Révolution va naître de l’hostilité de la bourgeoisie face à l’autoritarisme des aristocrates et de la révolte des dominés contre les dominants. On parle alors de liberté, d’égalité, d’universalisme mais aussi d’individualisme, de biens matériels et de marché. On voit apparaître la pensée libérale et la démocratie libérale où l’Etat doit assurer la sécurité, les libertés individuelles contre l’arbitraire et protéger la propriété.
A la fin du XVIIIème, on pourra parler des prémisses de la démocratie représentative [6]. En effet, en France, une nouvelle constitution est adoptée en 1791 qui instaure le vote censitaire. Mais seules certaines catégories de la population peuvent voter (les citoyens actifs et imposables âgés de 25 ans accomplis). Il faudra attendre le XXème siècle pour que le suffrage devienne réellement universel avec le droit de vote des femmes : en Angleterre en 1918 à partir de 30 ans, en 1928 le statut des femmes est aligné sur celui des hommes (21 ans), en France en 1944, en Belgique en 1920 pour les élections communales, en 1948 à tous les niveaux.
Cependant, les femmes, malgré leurs combats et leurs efforts, plus ou moins avortés selon les pays, même si elles peuvent voter, ne sont pas toujours représentées de manière équilibrée au niveau des instances politiques [7]. Se pose également la question de la participation des étrangers vivants depuis longtemps sur le sol et participant économiquement à la vie de la localité qui n’ont pas toujours le droit de faire entendre leur voix (excepté en Belgique pour les élections communales). En effet, cela varie selon les pays, par exemple c’est un combat que mène François Hollande en France notamment au niveau communal.
En démocratie, les libertés et les droits fondamentaux doivent être protégés par un gouvernement dont la légitimité repose sur le consentement de tous les gouvernés.
La démocratie représentative est un régime politique dans lequel la volonté des citoyens s’exprime indirectement par ses représentants élus, censés répondre à la volonté générale. Elle s’oppose à la démocratie directe dans laquelle le peuple prend lui-même les décisions et exerce directement le pouvoir politique. Il existe aussi la démocratie semi-directe (voir encart page suivante) qu’on appelle plus communément démocratie participative qui est une forme de partage de l’exercice du pouvoir. Elle a pour objectif d’augmenter la participation des citoyens à la prise de décision politique. Elle rapproche les élus du terrain de la réalité quotidienne. Système par lequel les citoyens délèguent leur pouvoir à des représentants élus tout en conservant la possibilité de se saisir de certaines questions (par le biais de pétitions, via des conseils consultatifs ou des comités de quartiers ou encore en répondant à des enquêtes publiques). Les décisions devant être acceptées par la plus grande majorité des personnes concernées en vue de l’intérêt général.
En démocratie délibérative, les associations au sens large (en ce compris les syndicats, groupes de pression,…) jouent un rôle central en tant qu’interlocuteurs pour les autorités publiques. C’est l’idée que la société n’est démocratique que si les décisions prises le sont à partir de débats entre tous ses membres en vue du bien commun. Les conditions d’argumentation et de participation (reconnaissance des différentes opinions) sont essentielles pour qu’un tel système fonctionne. Cette forme de démocratie s’oppose à un système de marchandage où chacun amène son point de vue et négocie (donnant donnant) en défendant au contraire l’intérêt de la délibération, de peser le pour et le contre de chaque option proposée avant de faire un choix.
La démocratie participative offre un lieu de parole aux citoyens. La démocratie délibérative offre la parole aux citoyens par le biais de relais, de corps intermédiaires. Système vertical de bas en haut, du peuple vers les gouvernants, la démocratie délibérative est-elle une variante de la démocratie participative ? « Délibération » et « participation » en démocratie sont-elles des conceptions opposées ? Quel est le potentiel de l’une et l’autre ?
Elles peuvent être complémentaires. Tous les citoyens doivent avoir un réel pouvoir d’initiative, mettre leurs propositions sur la table et justifier des raisons de leurs positions.
Dépasser l’apparente contradiction entre ces concepts pour que les deux se renforcent.
On reproche à la démocratie participative qu’elle n’est souvent qu’un simple discours rhétorique, sans réalité concrète dans laquelle la représentativité des citoyens lors des débats n’est pas assurée. S’il s’agit d’une simple consultation sans échanges avec les acteurs de terrain, comment s’assurer que chacun, pour émettre un avis, a eu accès à une information suffisante et compréhensible ? Comment concilier les différents points de vue exprimés ? Comment en dégager une décision qui réponde à l’intérêt général et qui ne soit pas la somme des intérêts particuliers ?
En démocratie participative, le citoyen a le droit de se saisir de certaines questions (Légitimité populaire au sens de Bohman). La démocratie délibérative peut compléter ce processus en y ajoutant la possibilité d’un réel débat contradictoire (Légitimité délibérative au sens de Bohman), en ouvrant des espaces de partage de l’information et de rencontres des différentes subjectivités.
L’avantage de cette méthode couplée permettrait à toutes les parties prenantes d’être associées aux discussions. Les gens de terrain et leur expérience vécue de celui-ci, des experts, des scientifiques qui proposeraient un autre éclairage et un cadre plus large au débat. En effet, une des conditions pour que le débat soit serein et puisse aboutir est d’abandonner son intérêt propre à celui de la communauté. Tenir compte du contexte, des enjeux, de toutes les dimensions d’un problème, dans tous ses aspects est également essentiel.
Arriver à analyser objectivement un projet, peser le pour et le contre permettra d’aboutir à une décision. Celle-ci devra agréer le plus grand nombre au moins, la majorité dans l’idéal.
La Suisse est une démocratie à la fois directe et semi-directe. Les citoyens élisent leurs représentants aux différents conseils (communes, cantons et Confédération), mais peuvent se prononcer également sur l’approbation de textes législatifs ou constitutionnels décidés par ces conseils (par référendum), ou proposer des modifications constitutionnelles ou légales par le biais de l’initiative populaire. Les traités internationaux majeurs sont également soumis à référendum.
Les réflexions, arguments, échanges devront remonter de la base vers les représentants élus. Avec un ou des intermédiaires pour réduire petit à petit le nombre d’intervenants avec à chaque étape un mandat précis mais ouvert, qui laisse place au consensus. Pas un consensus mou, un consensus assumé, qui peut nécessiter parfois plusieurs allers-retours. Le négociateur final, le représentant élu, devant être libéré de toute peur, libre de faire évoluer l’opinion qu’il apporte, fruit d’échanges avec le groupe qu’il représente, à l’écoute de nouveaux arguments.
Le débat préalable donne de la légitimité aux décisions du pouvoir politique.
L’inconvénient d’une telle procédure est qu’elle prend du temps. Temps nécessaire pour que l’accord final soit le reflet de l’opinion collective. Sera alors installée une vraie confiance entre les citoyens et les représentants élus.
Parmi les autres travers de cette démocratie mixte ? Consultative ? Citoyenne ? D’intérêt général ? Ethique ? Partagée ? C’est que rien ne garantit que tous les citoyens soient représentés, que tous s’expriment, que le « dernier » représentant du groupe ne défendra pas son intérêt personnel. Si c’est le cas, la confiance sera rompue et le vote sera le seul moyen démocratique connu pour sanctionner le politique.
Cela dépend-t-il de sa forme, représentative, participative, délibérative ? Sommes-nous tous conscients d’avoir un rôle à y jouer ? Les décisions prises sont-elles vraiment le reflet des souhaits de tous ?
Selon que l’on appartient à tel ou tel groupe social, que l’on côtoie tel ou tel milieu, école, que l’on soit du sexe masculin ou féminin, on n’a pas la même idée de l’utilité publique, de la nécessité de participer à un processus démocratique, de faire entendre sa voix, de participer à la vie de la cité.
Chaque membre d’un groupe se détermine comme faisant partie de celui-ci par une série de croyances, de valeurs et de comportements communs. C’est le contact de cet individu à la société qui lui permettra de laisser sa liberté s’exprimer. Mais sommes-nous tous capables d’exprimer cette liberté en participant, en débattant, en agissant ? Sommes-nous tous conscients de cette possibilité ? La démocratie mixte (comme nous l’avons appelé plus haut) est-elle un luxe détenu par quelques-uns ?
Selon Durkheim, la socialisation est un processus par lequel la société attire à elle l’individu, à travers l’apprentissage de règles et de normes. Ce qui favoriserait l’homogénéité de la société. Est-ce là ce que nous souhaitons ? Une société homogène, que l’on peut manipuler, formater. Durkheim ajoute que l’école joue un rôle majeur pour éviter cette dérive en ce qu’elle a pour mission de rendre les individus autonomes, de favoriser le rapprochement des individus et de développer les relations entre eux.
Les mouvements sociaux, les syndicats, le milieu associatif permettent également ce rapprochement entre individus. Notre société est en mutation. Elle se veut plus solidaire et plus soucieuse du bien-être de tous. Utilisons les outils à notre disposition pour aller vers un réel changement.
[1] Cette partie a notamment été réalisée à partir de l’article de Patrick Abeels, « la démocratie : repère historiques et réflexions générales » in Droits de l’homme et démocratie, éd.LDH et solsoc, 1998 2. Né libre. Dans le sens civil, celui qui n’est pas un esclave. Le travail étant considéré comme une activité servile ; sont considérés comme citoyens, ceux qui ne travaillent pas. Seuls les hommes libres sont considérés comme citoyens c’est-à-dire ceux qui participent de plein droit à l’activité de la cité (ex : les maîtres, les jurés, les magistrats).
[2] Né libre. Dans le sens civil, celui qui n’est pas un esclave. Le travail étant considéré comme une activité servile ; sont considérés comme citoyens, ceux qui ne travaillent pas. Seuls les hommes libres sont considérés comme citoyens c’est-à-dire ceux qui participent de plein droit à l’activité de la cité (ex : les maîtres, les jurés, les magistrats).
[3] Militaire et homme politique anglais (1599-1658).
[4] Le Bill of Rights signé à Westminster en 1689 résume les droits reconnus aux anglais et reconnaît que le souverain ne peut établir l’absolutisme. Il est interdit au roi de suspendre des lois, d’empêcher leur exécution et d’ériger une juridiction d’exception.
[5] Le Parlement est composé de deux chambres. L’une élue, la Chambre basse (les communes), l’autre héréditaire, la Chambre haute (Les Lords). L’une vote les lois et sanctionne le gouvernement, l’autre contrôle les lois.
[6] La Constitution des Etats-Unis d’Amérique adoptée à la fin du XVIIIème définit les contours d’une démocratie représentative garantissant une société ouverte et égalitaire.
[7] La moyenne mondiale actuelle serait de 18,5% à peine dans les assemblées nationales.
[8] Ces définitions sont le résultat d’une compilation de définitions recueillies sur internet et dans la littérature. L’idée étant de les retravailler afin qu’elles soient les plus complètes possibles pour nous aider dans le décryptage de ces concepts.
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